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Intervention de Jean-Jacques Guillet

Réunion du 28 octobre 2009 à 11h15
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Jacques Guillet, Rapporteur :

J'en viens donc aux suggestions contenues dans le rapport qui permettraient, selon nous, de dépasser les crispations actuelles entre l'Union européenne et la Russie et de favoriser entre elles des relations mutuellement plus fructueuses dans le domaine de l'énergie. Cela passe avant tout par la construction d'une réelle politique européenne de l'énergie. Le sujet est un véritable serpent de mer : la construction européenne s'est fondée initialement sur une coopération dans le domaine du charbon, puis dans celui de l'acier, puis dans celui du commerce à l'instigation des Allemands, tandis que les Français promouvaient plutôt le Traité Euratom. Même si ce dernier a peu servi, il demeure utile. Il est donc paradoxal que l'Europe ait laissé si longtemps en jachère la politique de l'énergie.

Nous disposerons bientôt du cadre nouveau que ne va pas manquer de fournir l'entrée en vigueur, désormais proche, du Traité de Lisbonne. Celui-ci crée une nouvelle base juridique au service d'une politique européenne de l'énergie, un domaine qui figure désormais au rang des compétences partagées entre l'Union européenne et les États membres. Par rapport à la rédaction qui figurait dans la Constitution européenne, le nouveau traité fait désormais référence à l'« esprit de solidarité entre les États membres » en matière énergétique. Or nous avons plutôt eu, jusqu'à présent, des exemples d'individualisme, de la part de l'Allemagne traitant directement avec la Russie, de la part de l'Italie soutenant le projet de gazoduc South Stream en concurrence frontale avec le projet Nabucco… À cette absence de solidarité vis-à-vis de l'extérieur s'ajoute, à l'intérieur de l'Union, un manque de solidarité qu'a crûment révélé la crise de janvier dernier, s'agissant de l'absence de mutualisation des stockages, par exemple. Il faut donc saluer le principe de solidarité promu par le nouveau traité.

Mais faire vivre la politique de l'énergie inscrite dans le Traité de Lisbonne ne se fera pas sans de grands énergéticiens européens. C'est pourquoi nous proposons de faire établir par le prochain commissaire européen chargé de l'énergie, dès son entrée en fonctions, des lignes directrices pour la durée de son mandat, qui s'appuient sur ce que nous appelons trois principes d'apaisement : à l'égard des grands groupes énergétiques, entre institutions communautaires compétentes et vis-à-vis des partenaires extérieurs.

On sait qu'il y a eu des conflits larvés entre la Commission et GDF, E.ON, ENI ou EDF à propos de la séparation patrimoniale entre activités de production, de transport et de distribution d'énergie. Si l'on allait au bout de cette logique, un groupe comme GDF Suez en serait réduit à une simple activité de trader sur le marché de l'énergie ! Par ailleurs, si l'on devait vendre des réseaux de transport entiers, dans le gaz par exemple, qui pourrait s'en porter acquéreur, sinon Gazprom ? D'où la mise au point par la Commission d'une « clause anti-Gazprom » irritante à l'égard de la Russie et parfaitement inutile. Un autre exemple d'incompréhension interne à l'Union est la négociation d'un accord sur la rénovation des infrastructures ukrainiennes de transit gazier par la commissaire en charge des relations extérieures sans que les énergéticiens en soient informés.

Il faut donc « enterrer la hache de guerre » entre la Commission européenne – sa direction générale de la concurrence en particulier – et les grands énergéticiens européens. La politique européenne de l'énergie ne se fera pas sans ces grands groupes. Dès lors, le compromis trouvé à l'occasion du vote au Parlement européen, fin avril, sur le « troisième paquet énergie », un compromis obtenu grâce à l'opiniâtreté du Conseil – c'est-à-dire des gouvernements des États membres – ne doit pas être vu comme une simple solution d'attente.

Une fois cette mise en ordre interne effectuée, pour apaiser les relations UE-Russie, nous préconisons en premier lieu de mobiliser le réseau des missions économiques, ou de leurs équivalents européens, afin d'encourager la prospection du « marché de l'efficacité énergétique » en Russie. Le gaspillage est tel à l'heure actuelle qu'il y a là, dans le contexte des négociations de Copenhague, un véritable filon. À l'échelon communautaire, il faudrait d'ailleurs envisager la création d'un programme ad hoc permettant de créer un cadre juridique et financier rassurant au bénéfice des PME désireuses de conquérir des parts de marché dans ce secteur.

Deuxièmement, à propos des choix à effectuer, dans la « géopolitique des tubes », entre les gazoducs Nord Stream, South Stream, Nabucco et l'Interconnexion Turquie-Grèce-Italie, il faut faire confiance aux grands énergéticiens européens pour apprécier la rentabilité des différents projets et tempérer de ce fait les visées trop exclusivement géopolitiques des gouvernements des États membres et de la Russie. Cela évitera de disperser les moyens communautaires alloués aux projets en cours ou à venir. J'ai d'ailleurs à titre personnel quelques réserves sur le projet Nabucco, qui n'est viable que si l'on y fait circuler du gaz iranien, ce qui pour l'heure est inenvisageable. Ce gazoduc serait alimenté par du gaz venant de la Caspienne, donc d'Azerbaïdjan et surtout du Turkménistan ; or la Russie a préempté – fort cher d'ailleurs – l'essentiel du gaz turkmène exporté.

Troisièmement, nous préconisons d'accompagner de manière beaucoup plus ambitieuse qu'aujourd'hui les investissements permettant le recours au GNL, en palliant là où cela est nécessaire le manque d'initiative privée par le recours à des cofinancements européens. Les gains en termes de sécurité énergétique comme la pression concurrentielle à la baisse sur le prix du gaz feront de ces cofinancements des investissements rapidement rentables. Les Russes aussi essaient d'ailleurs, non sans mal, de développer le GNL. Il existe aujourd'hui, depuis quelques mois, un unique port méthanier en Russie, sur l'île de Sakhaline, et encore a-t-il été construit par un consortium alliant des entreprises japonaises et la firme Shell. Un autre projet existe, encore très hypothétique à mon avis, à proximité du gisement de Chtokman.

Enfin, développer le nucléaire comme chapitre spécifique de négociations avec la Russie est tout à fait souhaitable, au besoin en créant dans un premier temps une forme de « coopération renforcée de politique extérieure » sur ce thème, afin que les États membres qui le souhaitent puissent se retirer des débats sur ce sujet précis. Voilà qui m'amène à évoquer la déclaration de Corfou de 1994 sur l'importation en Europe de matières fissiles, sujet sensible pour la partie russe. Cette déclaration est obsolète ; il y a là un malentendu à lever, de même qu'il y a un malentendu à lever concernant le Traité sur la Charte de l'énergie. En effet, si nous acceptons des dérogations à l'application de ce Traité pour la Norvège, il n'y a pas de raison pour que nous refusions tout traitement particulier de la Russie. Tels sont deux exemples de l'attitude constructive que l'Europe pourrait, avec profit, adopter vis-à-vis de ce grand voisin dans le domaine de l'énergie.

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