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Intervention de Annie Guilberteau

Réunion du 16 juin 2009 à 16h00
Mission d’évaluation de la politique de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes

Annie Guilberteau :

Les CIDFF ont une mission d'intérêt général d'information des femmes sur leurs droits afin de favoriser leur autonomie personnelle, sociale, professionnelle et économique ainsi que l'égalité entre les femmes et les hommes. Outre cette mission, ils ont développé des services spécialisés d'information et d'accompagnement des femmes victimes de violences sexistes. Notre réseau a fait le choix d'afficher et de rendre effective une prise en charge de toutes les formes de violences dont les femmes sont victimes, quelles que soient la nature et la gravité des violences subies : violences au sein du couple, viols, agressions sexuelles, mutilations sexuelles, mariages forcés.

Il nous est apparu difficile de segmenter les formes de violences auxquelles les femmes sont exposées. Les faits relatés par celles-ci montrent que les violences dites masculines exercées contre elles s'inscrivent dans des stratégies historiques de domination. Lorsque nous employons des termes comme « analyse des systèmes de domination », « logique d'emprise », ceux-ci ne relèvent pas d'une démarche partisane, d'un jugement de valeurs ou d'un registre de croyance ou d'opinion mais résultent de l'observation de faits sociaux qui nous ont conduits à construire une grille d'analyse des violences faites aux femmes conditionnant pour une grande part les méthodologies d'intervention de notre réseau et des réseaux associatifs avec lesquels nous travaillons.

Regroupant 114 associations et proposant plus de 1 000 points d'information, le réseau des CIDFF travaille en lien très étroit avec les collectivités locales, les institutions, les associations et les élus. D'ailleurs, un très grand nombre de victimes sont orientées vers les permanences des CIDFF par les collectivités et par les élus.

En 2008, sur 808 700 demandes d'information traitées par notre réseau national, 42 500 concernaient des violences sexistes, dont 26 500 relatives à des violences au sein du couple.

Pour un certain nombre de ces demandes, il y a prescription. Mais, bien que le nombre des faits prescrits reste encore élevé, on observe une diminution de celui-ci sur les vingt dernières années, ce qui laisse penser que les femmes parlent plus tôt et que les campagnes d'incitation à la prise de parole et le maillage territorial conduisent beaucoup de femmes victimes à sortir du cadre de l'omerta.

À l'instar d'autres constats, nous notons une augmentation régulière des demandes des femmes victimes. Cependant, nous ne pensons pas que cette augmentation témoigne d'un accroissement significatif des passages à l'acte. Les victimes se sentent plus libres de parler. Les campagnes menées en la matière sont incitantes et, de ce fait, aidantes. La publicité faite aux évolutions législatives récentes, notamment celles de 2004 et 2006, inscrit ces violences spécifiques dans l'espace public et montre que la société condamne les comportements violents.

Paradoxalement, cela ne veut pas dire que les réponses apportées aux victimes et l'accompagnement de ces dernières sont toujours adaptés. Beaucoup de femmes rencontrent encore des obstacles à faire valoir leurs droits. L'honnêteté intellectuelle nous pousse cependant à préciser que personne ne dispose aujourd'hui d'indicateurs fiables permettant de fonder une analyse « scientifique » sur ce point. Les tendances qui se dégagent de nos observations sont que, l'omerta se levant et les victimes parlant davantage, les cas de violence sont mieux identifiés.

Certaines analyses s'appuient sur les données de la police pour affirmer que les situations de violence augmentent. Une évolution dans le traitement des dépositions a fait basculer un grand nombre de mains courantes en plaintes, ce qui a donné plus de lisibilité aux situations de violence. Mais cela ne signifie pas qu'elles ont augmenté.

Le maillage territorial, qui s'est fortement développé ces dernières années, grâce notamment à l'impulsion des plans triennaux qui ont poussé les différents acteurs à travailler ensemble – police, justice, gendarmerie, monde médical, associations –, a renforcé la capacité des victimes à faire connaître les violences subies. Même si ce n'est pas idéal, des leviers se mettent en place.

Il convient, également, de souligner que les lois, notamment celles de 2004 et de 2006, ont permis des avancées significatives. Je n'en citerai qu'une : aux dires de certaines femmes, le renforcement du quantum de peine a, bien que les peines ne soient pas appliquées à leur quantum maximal, une vertu pédagogique en exerçant un effet dissuasif sur certains auteurs de violences. Toutefois, cela n'a pas d'effet sur d'autres qui continuent à avoir des comportements inacceptables.

À notre grand regret, nous constatons que ces évolutions législatives que nous appelions de nos voeux sont malheureusement encore trop peu souvent appliquées dans certaines régions, à tel point que nous nous demandons parfois si nous habitons sur le même territoire national. Sans remettre en question, bien sûr, l'autonomie des procureurs, il est étonnant de constater les disparités qui existent dans l'application de la politique pénale en matière de violences faites aux femmes. Nous allons jusqu'à dire que cela crée des discriminations dans le rapport au droit.

Par exemple, malgré les réserves exprimées par le guide de l'action publique en matière de recours à la médiation pénale en cas de violences au sein du couple, certains parquets y recourent quasi systématiquement. Nous sommes favorables au développement de la médiation pénale mais pas dans ce domaine : elle ne doit pas être considérée comme une mesure alternative aux poursuites, car cela revient à considérer que la victime porte une part de responsabilité dans le délit et conduit donc à lisser les responsabilités. Il ne faut pas confondre conflit et délit. Dans un conflit, les deux parties portent une part de responsabilité ; celle-ci est copartagée mais le délit se situe dans un autre espace.

Les violences envers les femmes s'inscrivent dans un système inégalitaire et de domination que la médiation pénale occulte et qui, de ce fait, ne peut être perçu ni par les victimes, ni par les auteurs. Il ne s'agit pas d'un problème de formation des médiateurs, comme cela a été avancée par l'IGAS (l'inspection générale des affaires sociales) mais d'un problème de fond.

Le fait que des victimes soient parfois à l'origine des demandes de médiation ne caractérise pas davantage son opportunité. D'ailleurs, il ne revient pas à la victime d'aiguiller le choix d'un parquet en matière de poursuites.

Par ailleurs, notre réseau constate très régulièrement les conséquences sur les femmes victimes de violences au sein du couple et, également, sur les enfants du défaut d'articulation entre les procédures civiles et les procédures pénales. Cette absence de coordination met souvent en jeu la sécurité des victimes et des enfants. De ce point de vue, l'information du juge aux affaires familiales par le parquet de l'existence d'une procédure en cours pour violences conjugales devrait être rendue obligatoire. De même, à l'occasion du dépôt de plainte, le recueil d'informations relatives à une éventuelle saisine du JAF ou du juge des enfants ou à une procédure en cours devrait être systématique, ce qui permettrait au parquet d'être informé dès que la plainte lui est transmise.

Je souhaite également souligner qu'en cas de violences au sein du couple, la garde alternée est parfaitement inadaptée.

Faut-il, pour autant, répondre aux dysfonctionnements observés par la création d'une juridiction et de magistrats spécialisés, spécifiquement consacrés aux violences faites aux femmes, comme le prévoit la proposition de loi relative à la lutte contre les violences à l'encontre des femmes et comme le demande le collectif national des droits des femmes ? Pour notre part, nous y sommes défavorables. Cela reviendrait, au nom d'une volonté, certes, aidante, à stigmatiser les femmes et à mettre en place une juridiction fondée sur le sexe des victimes.

Certes les violences faites aux femmes ne sont pas des violences comme les autres. Elles marginalisent fortement les victimes. Mais faut-il répondre à la marginalisation par une marginalisation supplémentaire ? Notre réponse est négative. La spécificité des violences faites aux femmes ne peut pas, de notre point de vue, justifier que les victimes fassent, au niveau judiciaire, l'objet d'un traitement spécifique. Elles restent des citoyennes à part entière, titulaires des mêmes droits que n'importe quel autre citoyen. L'idée de créer une juridiction spécialisée vient du fait qu'il y a trop peu de magistrats véritablement formés à la prise en charge des victimes mais elle nous semble totalement inadaptée. La justice doit être la même pour tous, quel que soit le sexe de la personne poursuivie ou de la victime.

La proposition de loi sur les violences faites aux femmes prévoit une formation spécifique, obligatoire et évaluée en matière d'égalité et de non-discrimination en raison du sexe et sur la violence à l'encontre des femmes dans les cours de formation initiale et continue des magistrats, des greffiers, des forces de police et de gendarmerie et des médecins légistes. Nous y sommes très favorables. Aucun magistrat ne serait exempté de l'exigence de l'acquisition d'une compétence en la matière. Cela nous semble beaucoup plus adapté pour résoudre les difficultés rencontrées actuellement dans le traitement judiciaire des violences faites aux femmes.

La proposition de loi prévoit également une mesure judiciaire de protection et de sûreté des victimes : l'ordonnance de protection. Cette mesure mérite d'être étudiée. Nous sommes convaincus de la nécessité d'obtenir dans les plus brefs délais, notamment dans les situations de danger pour la plaignante, des mesures relatives au logement, au droit de visite, au régime des prestations. Toutefois, nous ne pouvons adhérer à la mesure qui prévoit que l'ordonnance de protection serait prononcée par le juge spécialisé dans les violences faites aux femmes, en raison de notre refus de la spécialisation. Nous nous sommes demandé s'il ne serait pas plus opportun de faciliter la saisine en référé du JAF ; notre réseau n'a pas un avis complètement arrêté sur le sujet.

J'aborderai maintenant la question des violences psychologiques. De nombreuses femmes sollicitent les CIDFF pour ce motif et des avis divergents s'expriment sur l'opportunité de les définir pénalement.

Nous sommes favorables à ce que les violences psychologiques soient introduites dans le code pénal et sanctionnées comme telles mais nous sommes très réservés sur l'établissement d'une définition pénale. Outre le fait que les violences physiques et leur mode opératoire ne sont pas détaillés en tant que tels, définir les violences psychologiques – même si elles sont relativement stéréotypées – ne peut se faire de manière exhaustive, et il convient de rappeler que, en la matière, l'imagination des auteurs est sans bornes.

Par exemple, nous avons à connaître de nombreuses situations où la violence psychologique s'exprime par le fait de rester silencieux, de ne répondre à aucune question, d'ignorer la présence de l'autre. Va-t-on considérer que le silence est une forme de violence psychologique ? Oui, dans une logique d'emprise, mais pas en tant que tel. Une autre forme de violence s'appuie sur le chuchotement : l'auteur murmure une sollicitation, un ordre, jusqu'à ce que la victime lui demande de parler plus fort, ce à quoi il lui répondra : « Fais-toi déboucher les oreilles. De toute façon, tu n'écoutes rien.». Ce sont là des manipulations qui créent un état de déstabilisation mais sur lesquelles il est très difficile d'agir.

Les violences psychologiques sont constitutives du système d'emprise mis en place par l'auteur des violences. C'est la récurrence des faits qui impacte au plan psychologique mais rarement le fait isolé. Si nous les définissons dans le code pénal, il faudra préciser leur mode opératoire et exposer les phénomènes d'emprise, ce qui semble problématique, d'autant qu'il faudrait faire de même pour les violences physiques.

En conséquence, nous considérons qu'il faut laisser à l'appréciation des magistrats la qualification des faits, à condition de renforcer l'établissement d'éléments constitutifs de preuves : certificats médicaux adaptés montrant les conséquences de ces violences sur la victime ; témoignages, de proches notamment, sur la récurrence des faits. La rédaction de certificats médicaux relatifs aux violences psychologiques nécessitera de considérablement renforcer la formation des médecins généralistes pour qu'ils soient capables de déceler l'impact de stratégies perverses sur l'équilibre d'une personne.

Par ailleurs, les violences psychologiques étant quasi systématiquement liées aux violences physiques, les définir en tant que telles présente le risque de segmenter les violences et de diminuer le quantum des peines prononcées. Ces dernières sont souvent déjà très faibles au regard de la gravité des faits, et l'on note une forte tendance à la déqualification : les viols sont encore trop souvent déqualifiés en agression sexuelle et les violences sexuelles sur le lieu de travail en agression morale ou harcèlement moral. Nous craignons un même processus.

En ce qui concerne la prise en charge des auteurs de violences, le CNIDFF est favorable à ce que des dispositifs se développent à l'image de ceux de Douai ou du Val-d'Oise. Nous avons toujours considéré les auteurs des violences comme étant une partie du problème - et même la partie la plus importante du problème - mais ce n'est pas aux associations de victimes de travailler directement avec les auteurs ni même aux budgets destinés à aider les victimes de supporter la mise en place de dispositifs d'accompagnement des auteurs. L'exemple de Douai nous semble très utile, même si, de l'avis même du procureur Frémiot, il mérite d'être amélioré et sans doute professionnalisé. Le dispositif de Douai comme celui du Val-d'Oise ne confondent pas le statut d'auteur et celui de victime mais apportent des réponses différenciées dans des espaces différenciés. Le CNIDFF est défavorable à ce que des associations de victimes soient également des lieux d'accueil pour les auteurs de violences au sein du couple et encore plus pour des auteurs d'agressions sexuelles.

Paradoxalement, les victimes, parfois, le demandent. J'ai rencontré beaucoup de femmes qui me demandaient de voir leur mari, dans l'espoir qu'il m'entende. Pratiquée de manière individuelle, une démarche de ce type peut être opérante mais pas dans le cadre d'une association dont le but est de répondre aux femmes victimes de violences. Un grand nombre de femmes ne viendraient pas se renseigner ni demander de l'aide si elles savaient que le lieu auquel elles s'adressent accueillait également des auteurs de violences. Il est indispensable de préserver la singularité et la spécificité des lieux d'accueil des victimes.

Toutefois, il serait primordial que les associations d'aide aux femmes victimes soient associées, sans intervenir directement, aux dispositifs auprès des auteurs. Nous avons construit des analyses – parfois contre des disciplines qui ne voulaient pas voir la violence en face ni admettre qu'un problème de société pouvait guider des comportements déviants – qui peuvent être utiles à ces intervenants. Nous avons un devoir de transmission de nos savoirs sur la problématique des victimes.

Notre connaissance de la problématique des violences au sein du couple nous conduit à penser que les approches collectives, notamment les groupes de responsabilisation, sont parfaitement adaptées pour les auteurs. Elles permettent de se dégager d'une stricte approche clinique renvoyant l'auteur à une problématique individuelle et d'inscrire le passage à l'acte violent dans une dimension globale de leur rapport aux femmes. Dans l'expérience du Val-d'Oise, les groupes de responsabilisation sont co-pilotés par un psychologue et un sociologue et proposent une véritable réinscription du comportement des auteurs dans une relation globale aux femmes.

D'autres points mériteraient débat et je ne fais que les citer : la dénonciation calomnieuse ; les classements sans suite dont la plupart ne sont pas motivés ; les enfants témoins, qui sont des enjeux majeurs dans le processus des violences et pour lesquels nous avons encore très peu de réponses.

En conclusion, nous sommes peu favorables à une nouvelle loi du type loi-cadre, bien que nous reconnaissions l'intérêt du travail d'investigation réalisé par le Collectif national des droits des femmes et d'un certain nombre de propositions formulées, qui sont, d'ailleurs, pour partie reprises dans la proposition de loi de décembre dernier. Nous considérons plus urgent de se mobiliser pour faire appliquer les droits acquis et intégrer dans nos différents codes et règlements les dispositions manquantes.

Nous insistons sur la nécessité de renforcer la politique de prévention des comportements sexistes – et ce dès le plus jeune âge – par une formation des enseignants et, des acteurs, tous professionnels confondus, qui sont confrontés régulièrement ou potentiellement aux femmes victimes de violences.

Nous disposons d'un arsenal législatif qui est quasi-complet. Même s'il n'est pas encore idéal et nécessite quelques compléments, il mérite d'être appliqué.

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