Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Raila Odinga

Réunion du 21 octobre 2009 à 11h30
Commission des affaires étrangères

Raila Odinga, Premier Ministre du Kenya :

Je vous remercie de votre aimable accueil, monsieur le président, et je me réjouis de pouvoir présenter brièvement à votre commission ce qu'est la situation dans mon pays et dans l'ensemble de la région.

Comme vous l'avez rappelé, notre pays a traversé une crise politique née de l'élection présidentielle très contestée de 2007. Le Kenya avait pourtant été, depuis l'indépendance, épargné par les maux qui ont frappé de nombreux pays africains – coups d'État militaires, troubles sociaux etc. Mais cette stabilité politique s'accompagnait d'un régime de parti unique. Depuis l'introduction du multipartisme à la fin du siècle dernier, trois élections ont permis des avancées, jusqu'à la dernière élection présidentielle, entachée de fraudes aux yeux de nombreux Kenyans. L'annonce des résultats par la commission électorale a provoqué un violent mouvement de contestation, notamment des manifestations de rue. La police a reçu l'ordre de tirer sans sommation sur les manifestants, faisant de nombreuses victimes : 60 % des tués lors de la crise politique sont décédés par suite de ces tirs. À ces victimes s'ajoutent celles des milices constituées par d'autres groupes politiques.

Grâce à la médiation de la communauté internationale, sous l'égide de l'ex-secrétaire général des Nations Unies, Kofi Annan, nous avons signé un accord de paix qui a permis de mettre un terme aux violences et partagé le pouvoir dans le cadre d'un grand gouvernement de coalition. Nous nous sommes engagés à mettre en place des réformes d'ampleur, afin d'édifier le développement du pays sur un socle solide et d'éviter que de tels événements ne se reproduisent.

Il s'agit d'abord de réformes constitutionnelles. Le projet de révision constitutionnelle rejeté en 2006 par référendum laissait trois points en suspens : la question de la structure de l'exécutif – faut-il opter pour un régime présidentiel, parlementaire, ou un système hybride à la française ? – ; la question de la décentralisation des pouvoirs ; le choix entre le mono- ou le bicamérisme.

Nous engageons également une réforme agraire. Alors que la question foncière est un enjeu essentiel dans notre pays, il n'y a pas eu de réforme agraire depuis l'indépendance. Les Kenyans demandent une réforme agraire d'envergure, afin que les terres soient mises à la disposition du peuple.

Nous comptons réformer aussi l'appareil judiciaire, la magistrature et le parquet, ainsi que la police, afin que ces institutions répondent mieux aux besoins du pays en matière de sécurité, de meilleure gouvernance, de lutte contre la corruption et pour les droits de l'homme. Il convient également de mettre fin aux injustices qui perdurent depuis l'indépendance. L'ensemble des services publics et de la fonction publique devra de même être réformé.

À plus court terme, nous travaillons énergiquement à réconcilier les communautés qui se sont opposées lors de la crise, notamment dans les zones qui ont été les plus touchées. Avec le président, nous y avons porté la bonne parole de la réconciliation, de la compréhension et de la paix. Par ailleurs, le gouvernement a organisé, au niveau de l'administration locale, des chefs et des commissaires de district, et avec la participation des chefs religieux, des ateliers et des rencontres destinés à favoriser la réconciliation de la société civile.

Quant au demi-million de personnes déplacées au moment de la crise, elles ont été réinstallées, à l'exception de quelques dizaines de milliers. Sur ce nombre, certains craignent de retourner sur leur territoire d'origine, soit qu'ils redoutent une reprise des violences, soit, s'agissant d'anciens criminels, qu'ils veuillent échapper à la vengeance ; d'autres enfin, la majorité, ne sont pas de véritables réfugiés, mais rallient les camps dans l'espoir de recevoir du gouvernement des terres et de l'argent.

Le projet de réforme du foncier adopté par le gouvernement, le plus ample depuis l'indépendance, a été soumis au Parlement. Le processus de révision de la Constitution est en cours : le groupe d'experts que nous avons constitué a pratiquement achevé de travailler sur les trois points de discorde que j'ai évoqués. Une commission « Vérité, justice et réconciliation » a été mise en place, sur le modèle de la commission mise en place par Mgr Desmond Tutu en Afrique du sud, et elle est d'ores et déjà à pied d'oeuvre.

Quant à la réforme de la police, un groupe d'étude a été constitué qui nous a remis un rapport provisoire le mois dernier. Le limogeage du chef de la police est une première étape. Nous avançons également sur la réforme de l'appareil judiciaire, le groupe d'étude ayant remis son rapport la semaine dernière : il s'agit notamment combattre la corruption.

La dissolution de la commission électorale qui avait gâché l'élection présidentielle ne s'est pas faite sans mal, du fait de l'opposition de la partie de la coalition qui était satisfaite de ses travaux. Sa dissolution et son remplacement par une commission indépendante chargée de travailler à la réforme électorale témoignent de notre détermination à mettre en oeuvre des réformes d'envergure.

Une commission spéciale réexamine les frontières administratives et électorales, ce qui n'avait jamais été fait depuis l'indépendance. Enfin une commission sur la cohésion nationale a été instituée pour travailler sur les relations interethniques.

Le processus de réforme suit donc son cours. C'est un processus extrêmement complet, et nous espérons qu'une grande partie de ces mesures se concrétisera dans le courant de l'année prochaine, et que l'ensemble aboutira avant le prochain cycle électoral.

Je tiens à dire en conclusion qu'un gouvernement de coalition est très difficile à piloter. Vous l'avez vu en Allemagne : c'est encore plus difficile en Afrique, où c'est une première. Le processus décisionnel est lent, chaque étape faisant l'objet de consultations. Mais les deux partis de la coalition se sont engagés à mettre le pays sur la voie du développement social et économique.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion