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Intervention de Patrick Gandil

Réunion du 13 octobre 2009 à 17h00
Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire

Patrick Gandil, directeur général de l'Aviation civile :

Merci de me donner l'occasion de dire ce qui va et ce qui ne va pas dans notre système de contrôle aérien, et de revenir sur des réalités qui ont été considérablement déformées par certains journaux.

Le temps de travail des contrôleurs aériens, tel qu'il découle de différents textes réglementaires, est de 1 420 heures par an et de 32 heures par semaine, en moyenne, avec 56 jours de congé. Mais ces personnels doivent en outre assurer un service 24 heures sur 24, sept jours sur sept, et ne peuvent prendre comme d'autres leurs congés en juillet ou en août, qui font partie des quatre mois les plus chargés de l'année, où un service maximal doit être assuré. Sur ces points, la réglementation française est comparable à celle des autres pays européens.

Je précise que ce temps de travail n'est pas consacré en totalité au seul contrôle aérien. Ces personnels doivent obligatoirement suivre un certain nombre de formations, pour entretenir leurs compétences techniques et leurs compétences en anglais. Ils peuvent en outre avoir à participer à des groupes de travail : en ce moment, par exemple, certains testent sur des simulateurs les nouvelles procédures d'un système extraordinairement complexe, dans le cadre d'une étude sur le relèvement des trajectoires en Île-de-France. Si l'on déduit ces activités de leur temps de travail, on obtient le potentiel disponible de contrôle aérien, le temps maximal qu'il est possible de consacrer à ce contrôle.

Mais on n'a pas forcément besoin de tout ce temps de travail. Dans les grands aéroports, la programmation des compagnies est connue à l'avance et l'on peut prévoir, en s'assurant une marge de sécurité, les besoins maximaux. Il faut faire en sorte de réunir, sur les plateformes, un effectif suffisant pour y faire face. Cependant, l'activité réelle est fonction du nombre d'avions qui se présentent. Sur les grandes plateformes, la réalité est proche de la programmation mais il peut se produire que les avions soient en retard, qu'ils soient moins nombreux à une heure donnée, et plus nombreux à l'heure suivante. De telles fluctuations peuvent être relativement importantes. Voilà pourquoi, tout en prenant nos précautions pour être à même d'affronter les pointes de trafic, une partie du personnel peut être placée « en pause supplémentaire », en salle de contrôle ou de repos, pendant les creux de ce même trafic.

Si je parle de pause « supplémentaire », c'est que l'activité de contrôle aérien est source de stress, à l'égal de celle de pilote de long courrier, ce qui oblige les contrôleurs à observer régulièrement des pauses. C'est là une caractéristique inhérente à leur métier.

L'organisation du contrôle n'est donc pas une affaire simple. Il convient de prendre en considération plusieurs éléments : le potentiel réglementaire disponible de contrôleurs, la programmation des vols et le contrôle réalisé. Intervient alors ce qu'on appelle « clairance » : l'écart entre la programmation, les besoins maximaux estimés, d'une part, et le potentiel théorique à un moment donné, d'autre part. C'est dans un tel contexte que le chef d'équipe peut être amené à laisser partir un agent ou même à lui accorder un jour de liberté – c'est une forme d'autorisation d'absence qui n'est sans doute pas ce qu'on peut souhaiter de mieux, mais qui s'explique par un tel écart. Aucun chef d'équipe ne prendrait d'ailleurs le risque de laisser partir un agent en s'exposant à tomber en dessous de l'« armement » nécessaire pour assurer le bon contrôle du trafic. Il n'y a rien qui puisse corroborer ce qui a été écrit à ce propos dans la presse, à savoir que cette pratique compromettrait la sécurité des vols. Il est exact, en revanche, que les contrôleurs peuvent ne pas travailler jusqu'à trois jours par mois en raison de ce phénomène de clairance. C'est sans doute plus que la dizaine de jours par an d'autorisations d'absence accordées aux agents de la fonction publique, mais très loin de ce que prétendait un certain article, à savoir que les contrôleurs aériens ne travaillaient que la moitié du temps réglementaire.

Puisqu'il a été reproché une « gabegie » préjudiciable à la sécurité, je vais esquisser une comparaison avec les autres systèmes de contrôle aérien.

Pour ce qui est de la sécurité même, nous disposons d'assez peu d'éléments pour des comparaisons internationales : on n'a pas, pour le contrôle aérien, le même suivi que pour l'aviation en général. La raison en est que les accidents de contrôle sont très rares. En revanche, nous faisons des suivis très détaillés de nos propres « événements de sécurité ». Ceux-ci sont systématiquement signalés au BEA, le Bureau d'enquêtes et d'analyses, qui intervient dès lors qu'ils lui semblent dignes d'intérêt au regard de ses critères. Nous soumettons également à un suivi systématique ce que nous appelons les « airprox », situations dans lesquelles des avions se retrouvent trop proches l'un de l'autre : réduction de la distance de 50 %, événement sérieux (HN50), ou de 70 %, événement relativement mineur (HN 70). Je me fais donner régulièrement les chiffres de la navigation aérienne sur le sujet et je dois dire que nous constatons une amélioration continue : le nombre d'« airprox » a été divisé par deux en quelques années. Cette évolution n'était pourtant pas aisée : à Roissy, les deux doublets de pistes n'ont pas l'écart correspondant aux paramètres de séparation des avions en vol. Autrement dit, si deux avions décollaient en même temps sur les deux pistes parallèles des doublets nord et sud, une fois en l'air, ils se trouveraient en « airprox » – en HN 70. Il faut donc décaler les décollages dans le temps ou décaler les avions en altitude.

Sans remonter à l'affaire du plan « Clément-Marot » à Nantes, au milieu des années soixante-dix – affaire exceptionnelle, une situation de grève ayant conduit à faire appel aux contrôleurs militaires –, nous ne recensons que deux vrais accidents de sécurité dus au contrôle aérien. Le 5 décembre 1989, il y a eu une collision à Lille entre un A320 et un avion léger, qui avait pénétré sans autorisation sur une piste. Le contrôle aérien a demandé à l'A320 de remettre les gaz, mais cela n'a pas évité qu'il touche de son train l'avion léger, dont les occupants ont été tués. Le 25 mai 2000, un petit avion de transport, de type SHORT 330, est entré en collision avec un MD-83. Cette fois, le premier avait l'autorisation d'accéder à la piste, ce qu'il a fait. Le MD-83 a alors « décapité » le petit avion, tuant les deux pilotes.

Il s'agit là des seuls accidents liés au contrôle. Dans d'autres cas, comme celui de la catastrophe du mont Sainte-Odile, le contrôle n'a joué que pour une part, parmi bien d'autres éléments. Il en fut de même avec l'A310 de la TAROM en 1994 : alors qu'il ratait son interception d'ILS, il s'est livré à des évolutions dignes d'un avion de voltige et a fini par se récupérer ; le contrôle l'avait fait descendre trop vite et intercepter l'axe d'ILS en descente sans que la trajectoire ait été préalablement stabilisée. Dans cette affaire, il y a une composante de contrôle et une composante de pilotage. Il en fut de même encore avec un DHC-8 311, à Roissy, en 1993 : le contrôle a proposé trop tard une baïonnette, que le pilote a acceptée, mais ce qui a provoqué un accident se soldant par quatre morts.

Je ne peux donc pas prétendre qu'il n'y ait pas d'accidents de contrôle, mais ils restent une composante secondaire de l'accidentologie aérienne. On ne peut pas considérer qu'il y ait des raisons de s'inquiéter quant à la sécurité du contrôle aérien, ce qui ne nous empêche pas de demeurer vigilants.

La comparaison entre le fonctionnement global du système français et celui d'autres systèmes fournit un autre élément d'appréciation. Si la majorité de nos effectifs passait son temps en congés, les effets devraient s'en faire sentir sur la qualité de service ou sur les résultats économiques. Tous les personnels du contrôle aérien sont rémunérés sur les redevances de navigation aérienne qui, en France, sont les moins élevées d'Europe. Le système de comptabilité analytique étant le même dans toute l'Europe, les comparaisons sont possibles d'un pays à l'autre. Or nos résultats économiques sont tout à fait présentables. Depuis quinze ans, le contrôle aérien français est quasiment le moins coûteux d'Europe – seule l'Espagne a fait mieux au début, mais elle est maintenant la plus chère de tous les pays d'EuroControl, les salaires s'étant envolés après toute une série de grèves.

Une unité de service sert à évaluer le coût du contrôle aérien pour le transport en route ; il est assez proche du coût, pour les compagnies aériennes, de ce contrôle rapporté à l'heure de vol. Nos coûts sont restés à peu près constants sur toute cette période, aux alentours de 60 euros. En Allemagne et en Italie, ils sont de 63 euros ; en Belgique et au Royaume-Uni, de 75 euros ; en Espagne, de 85 euros – soit une moyenne de 70 euros pour nos voisins. L'écart avec ceux-ci est donc assez substantiel et se maintient dans la durée.

La comparaison des coûts est possible en Europe, EuroControl assurant à la fois les recouvrements des redevances et la surveillance de l'ensemble des autorités nationales de navigation aérienne. En revanche, l'exercice est impossible avec les États-Unis, dans la mesure où le contrôle aérien n'y est pas facturé de la même façon – il l'est en partie sur la base du coût du kérosène – et où il n'y existe pas de système comparable de comptabilité analytique. Mais, au vu du nombre de contrôleurs de la FAA rapporté au trafic, je doute fort qu'ils soient plus productifs que nous.

On nous a opposé que ces comparaisons n'avaient pas beaucoup de valeur, au motif que l'espace aérien du Benelux et de l'Allemagne, notamment, serait beaucoup plus « chargé » que le nôtre. Je conteste cette assertion : Roissy est le premier aéroport d'Europe pour le nombre de mouvements.

Nous avons également essayé d'apprécier ce que l'on a appelé « l'heure composite », tenant compte à la fois des survols et des opérations d'atterrissage et de décollage par rapport à une composition moyenne du trafic. Elle est calculée par EuroControl pour l'ensemble des États. Bien que les écarts soient un peu plus faibles, la DSNA – direction des services de la navigation aérienne – française reste la moins chère, à 389 euros pour cette heure de vol composite tenant compte, en outre, des opérations terminales ; les Allemands et les Anglais se situent respectivement à 419 euros et à 428 euros, et les Espagnols à 577 euros.

Cela s'explique si l'on rapporte le temps de travail des contrôleurs à leur salaire. Un contrôleur français travaille 155 jours par an en activité effective de contrôle, un contrôleur de l'espace de Maastricht – Benelux et nord de l'Allemagne – 160 jours et un contrôleur suisse 200 jours. Le coût du contrôleur français est de 105 000 euros, celui du contrôleur espagnol est de 330 000 euros – le triple ! –, celui du contrôleur de Maastricht de 184 000 euros, celui du contrôleur allemand de 155 000 euros, celui du contrôleur anglais de 136 000, celui du contrôleur suisse de 140 000 et celui du contrôleur italien de 143 000 euros.

Pour résumer, le contrôleur français n'est certes pas un stakhanoviste, mais son temps de travail n'est pas ridicule si on le compare à celui de ses collègues européens et son niveau de salaire est plus faible, malgré un niveau de formation plutôt plus élevé. L'évaluation du coût rapporté au temps de travail est favorable au système français, sans que la sécurité de notre système n'ait jamais été mise en cause par EuroControl et la qualité de notre service est parmi les meilleures de tous les pays. Ainsi, Charles-de-Gaulle, dont j'ai déjà dit qu'il détenait le record de mouvements en Europe, est rarement dans le « top 20 » des retards, à la différence de Londres. On n'y tourne plus avant de se poser, sauf en situation de crise, et les retards dus au contrôle sont inférieurs à une minute par vol, ce qui fait partie des très bons scores européens.

Voilà pourquoi j'ai réagi parfois un peu vivement à l'article qui mettait en cause notre organisation. Notre système est sûrement critiquable sur certains points, mais pas suffisamment pour le vilipender de cette façon, surtout en comparaison avec la situation dans les autres pays.

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