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Intervention de Brice Lalonde

Réunion du 14 octobre 2009 à 10h00
Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire

Brice Lalonde, ambassadeur chargé des négociations sur le changement climatique :

Nous sommes dans une négociation complexe, dans le cadre des Nations unies, qui s'organise autour de deux instruments juridiques. Le premier est la convention-cadre sur le climat, adoptée à Rio de Janeiro en 1992, qui demande à chaque État d'agir, mais sans donner d'indication chiffrée sur ce qu'il convient de faire. Le second instrument est le premier protocole d'application de cette convention, le protocole de Kyoto de 1997, entré en vigueur en 2005.

L'un des problèmes politiques majeurs de cette négociation vient du fait que la Convention de Rio répartit les pays en deux catégories, correspondant à la situation géopolitique de l'époque : les pays de l'annexe I, c'est-à-dire les pays industrialisés, qui ont des obligations – lesquelles ont été précisées ensuite dans le protocole de Kyoto –, et les autres pays, à qui on ne demande que de la bonne volonté. Or, dans cette deuxième catégorie regroupant les pays en développement, figurent la Chine, l'Inde, le Brésil, c'est-à-dire les puissances émergentes.

Quant au protocole de Kyoto, il organise une première période d'engagement des pays industrialisés à réduire les émissions de gaz à effet de serre, entre 2008 et 2012.

La négociation actuelle comporte deux volets. D'une part, les pays signataires de la Convention de Rio s'engagent à prendre des dispositions supplémentaires, sans que l'on sache encore lesquelles. Parmi les pays concernés figurent non seulement les grands pays émergents, mais aussi les États-Unis – qui n'ont pas ratifié le protocole de Kyoto. D'autre part, une négociation est engagée sur l'après-2012.

Une difficulté vient du fait que si le protocole de Kyoto ne concernait déjà au moment de sa signature que 50 % des émissions gaz à effet de serre de la planète – du fait de la défection des États-Unis –, désormais il n'en concerne plus que 30 %, en conséquence de la croissance des émissions des pays émergents : beaucoup de pays renâclent à rester dans le cadre d'un texte qui couvre une part de plus en plus réduite des émissions mondiales.

C'est à Bali, il y a deux ans, que les négociateurs des deux instruments juridiques ont reçu mandat de continuer à travailler sur les prochains engagements, tant des signataires de la Convention de Rio que des signataires du protocole de Kyoto, sur quatre thèmes.

Le premier est la réduction des gaz à effet de serre, appelée mitigation. Le deuxième, objectif devenu aussi important, est l'adaptation au changement climatique, celui-ci étant déjà commencé – et inéluctable puisque les gaz à effet de serre qui sont dans l'atmosphère y restent pendant une centaine d'années – et suscitant une inquiétude croissante, notamment dans les pays en développement et dans les petites îles menacées par la montée du niveau de la mer. Le troisième est le financement, tant de la mitigation que de l'adaptation ; sur ce point, une discussion à caractère très politique porte sur la « responsabilité historique » : les pays en développement réclament des dommages et intérêts pour deux cents ans de pollution provoquée par les pays industrialisés ; à quoi nous répondons qu'il ne faut pas oublier, pour le futur, la responsabilité de l'Inde et de la Chine, dont les émissions ne cessent d'augmenter. Le quatrième thème, enfin, est celui de la technologie : la question est surtout de savoir comment organiser la coopération afin de diffuser les nouvelles techniques, le transfert de celles-ci se heurtant aux droits de propriété intellectuelle.

Nous savons maintenant que pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, la méthode la plus simple, qui malheureusement n'a pas été utilisée suffisamment, est celle de « l'efficacité énergétique » : sur la réduction des émissions de 50 % qui est envisagée d'ici à 2050, 40 % proviendront de l'efficacité énergétique, c'est-à-dire des économies d'énergie dans la production, les bâtiments et les transports. Mais pour y parvenir, il faut envisager des aides et incitations car les investissements dans ce domaine ne sont pas immédiatement rentables. Pour le reste, la réduction des émissions sera obtenue par le développement des énergies renouvelables, par le nucléaire et par la « déforestation évitée ». La forêt est un point important des négociations puisque la déforestation compte pour 20 % des émissions de gaz à effet de serre, les arbres abattus rendant leur carbone à l'atmosphère ; apporter une rétribution pour cette déforestation évitée serait peut-être le moyen le plus rapide, et l'un des moins coûteux, de commencer à réduire les émissions.

Une technologie prometteuse fait l'objet de beaucoup de recherches : le charbon utilisé pour produire de l'électricité est de loin, à l'échelle mondiale, le premier responsable des émissions de gaz à effet de serre ; l'idée est de capturer le gaz carbonique à la sortie de la centrale à charbon et de l'injecter dans le sous-sol. Les pétroliers utilisent cette technique à échelle réduite pour accroître le rendement d'un puits de pétrole.

La négociation actuelle s'organise entre groupes.

Il y a tout d'abord les pays du G 77, essentiellement représentés par la Chine, le Brésil, l'Afrique du Sud, le Mexique, l'Inde ou encore l'Arabie saoudite, qu'il est parfois étonnant de voir parler au nom du Burkina Faso, de la Bolivie ou du Bangladesh. Manifestement, les pays les plus pauvres ne sont pas toujours d'accord avec les puissants qui les représentent et qui cherchent quelque peu à les utiliser dans la négociation ; trouver le moyen de donner aux PMA les moyens de s'exprimer est un objectif politique assez important.

Il y a ensuite, si j'ose dire, un « couple improbable » formé par les États-Unis et la Chine, chacun des deux étant obsédé par l'autre, et ne voulant avancer qu'à la condition que l'autre avance du même pas. Des conversations ont commencé, mais la Chine affiche son statut de pays en développement, où le nombre de tonnes de gaz carbonique émises par habitant et par an n'est que de 5, contre 20 aux États-Unis – ce qui ne l'empêche pas, étant donné le nombre de ses habitants, d'avoir dépassé les États-Unis dans le niveau total des émissions. Ces deux pays, pour l'instant, n'ont pas d'obligations. Les États-Unis n'ont pas ratifié le protocole de Kyoto, mais l'administration Obama cherche à faire adopter une loi, qui est actuellement pendante devant le Sénat – et qui est insuffisante aux yeux des Européens.

L'Union européenne est le bon élève de la classe. C'est pour le moment le seul groupe qui respecte les engagements du Protocole du Kyoto. En son sein, la France, le Royaume-Uni, l'Allemagne et la Belgique forment le quatuor le plus vertueux. Avec le paquet énergie-climat, adopté sous présidence française en décembre dernier, elle a décidé unilatéralement de réduire de 20 % ses émissions de gaz à effet de serre à l'horizon 2020.

Les pays industrialisés du G8 ont décidé cet été à L'Aquila de réduire de 80 % leurs émissions à l'horizon 2050. C'est un engagement qui pourrait permettre à la communauté internationale d'aboutir à une réduction de 50 % ; pour l'instant les autres pays n'en ont pas pris.

Au sein des pays industrialisés, à l'horizon 2020, l'Union européenne est la seule à avoir gravé des engagements dans le marbre. Le nouveau gouvernement japonais vient de fixer un objectif de réduction de 25 %, l'Australie a décidé elle aussi d'aller plus loin ; mais c'est toujours sous condition d'un accord international satisfaisant. Si un tel accord est obtenu, l'Union européenne a quant à elle décidé de passer à 30 %.

La Chine refuse pour l'instant de prendre des engagements qui seraient rendus contraignants par un accord international. Elle est néanmoins en train de devenir le premier producteur et consommateur d'énergie solaire ainsi que d'énergie éolienne. Les efforts qu'elle fait résultent de la conscience que sa croissance ne peut pas se poursuivre au même rythme en utilisant le seul charbon. On voit ainsi des vieux dirigeants du Parti communiste chinois se laisser convaincre par de jeunes diplômés de Harvard ou de Yale que la Chine pourrait être demain le champion du « bas carbone ».

Mais sur ce sujet la Chine est en compétition avec le Brésil, qui pourrait jouer un rôle important dans l'aboutissement de la négociation. S'il n'y avait pas la déforestation, le Brésil serait vertueux : l'essentiel de son électricité provient de l'hydraulique, et il s'est par ailleurs spécialisé dans la production d'éthanol à partir de la canne à sucre. Le président Lula vient d'annoncer un objectif de réduction de la déforestation de 80 % d'ici à 2020.

Les pays commencent donc à prendre des engagements nationaux, et c'est un bon début. Mais nous n'avons pas encore réussi à démontrer qu'un accord international permettrait d'agir de façon plus efficace et moins coûteuse. Nous Français préférerions qu'il n'y ait pas deux négociations parallèles, avec deux instruments juridiques différents. Nous aimerions que tout le monde se rassemble sur un même texte traduisant le principe d'une « responsabilité commune mais différenciée » devant le changement climatique.

S'agissant de notre stratégie, nous oeuvrons pour un rapprochement entre les pays qui se mobilisent pour parvenir à un accord, à commencer par l'Union européenne, et ceux qui en bénéficieraient – pays les moins avancés, petites îles –, pour faire pression sur le couple ChineÉtats-Unis.

Une perspective très intéressante s'est ouverte avec la rencontre au Brésil des présidents Sarkozy et Lula, qui ont souhaité que leurs deux pays travaillent à une position commune pour le sommet de Copenhague. Si nous y parvenions – ce qui est très difficile puisque jusqu'à présent nous étions dans des catégories différentes –, nous pourrions créer l'événement : cela voudrait dire qu'un pays industrialisé qui est sous le régime du protocole de Kyoto et un pays émergent faisant partie du G 77 peuvent jeter un pont entre eux.

Que se passera-t-il à Copenhague ? Sans doute ne va-t-on pas aboutir à un document juridique complet. En revanche, il pourrait y avoir un accord politique entre chefs d'État – car il ne s'agit de rien de moins que de transformer l'économie mondiale – sur l'architecture du traité que les négociateurs auraient à mettre au point dans les mois suivants, ainsi que sur certains engagements chiffrés.

C'est une négociation extrêmement complexe, portant sur un sujet lui-même complexe puisque, si nous savons très bien mesurer les émissions provenant de la combustion du charbon, du gaz naturel ou du pétrole, en revanche nous avons plus de difficultés avec le carbone provenant de la végétation, de l'agriculture et de la forêt. Nous savons cependant que dans les années à venir, une transformation des pratiques agricoles pourrait jouer un rôle très important pour la capture du gaz carbonique et son maintien dans les sols. Au fur et à mesure que la science avance, la négociation évolue, toujours sur la base des prévisions du groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), qui demande de ne pas dépasser une hausse de 2°C d'ici à la fin du siècle alors que la tendance actuelle amènerait à une hausse de 4 à 6°C.

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