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Intervention de Jean-Pierre Dubois

Réunion du 7 octobre 2009 à 9h00
Mission d’information sur la pratique du port du voile intégral sur le territoire national

Jean-Pierre Dubois :

Pour répondre tout d'abord sur l'action de la Ligue des droits de l'homme en faveur des femmes qui nous saisissent de difficultés personnelles, nous intervenons très fréquemment pour des cas de violences conjugales ou de mariages forcés. Nous espérons d'ailleurs que l'Assemblée nationale examinera bientôt la proposition de loi du Collectif national pour les droits des femmes, dont la Ligue des droits de l'homme fait partie. J'espère également qu'une mission parlementaire sera bientôt consacrée aux mariages forcés, qui sont très nombreux et en augmentation. Il ne faut pas se focaliser sur une partie du problème qui est statistiquement limitée même si à la Ligue des droits de l'homme, qui a été fondée pendant l'affaire Dreyfus, nous savons qu'une atteinte à une seule personne est une atteinte à l'humanité. Toute femme victime de contrainte ou de violence doit être défendue.

Une loi de plus ne parait pas nécessaire alors que nous disposons de tout un arsenal législatif pour promouvoir l'égalité homme-femme. Nous avons simplement du mal à faire appliquer une législation déjà très avancée. Je souhaiterais donc une pression forte des parlementaires, par le biais d'une mission d'évaluation par exemple, pour analyser les causes des résistances à la mise en application des lois dans ce domaine. La loi pénale ne nous pose pas de difficulté a priori. Il y a des choses qui doivent être interdites : je viens de dire que nous attendons une loi sur les violences faites aux femmes. Mais il serait catastrophique qu'une loi punisse les femmes qui portent le voile intégral parce que ce n'est pas la même chose de punir les auteurs de violences et de punir les femmes qui sont victimes de contrainte. Je suis d'ailleurs d'accord avec vous pour dire qu'il existe aussi des femmes qui portent le voile intégral sans qu'aucune contrainte ne soit exercée sur elles mais il ne faut pas oublier les phénomènes d'aliénation et d'intériorisation de l'appartenance symbolique des femmes à leur mari (comme en atteste le cas du nom de famille que j'évoquais tout à l'heure).

Cela ne signifie pas qu'il ne faille rien faire pour autant. Ce que nous condamnons, ce sont des traditions culturelles qui asservissent les femmes et non pas les femmes elles-mêmes. Nous sommes pour leur émancipation. A ce sujet, j'aurais deux remarques.

Il me paraît important d'éclaircir le point suivant : le phénomène du voile intégral reflète-t-il la montée de l'intégrisme ou est-il plutôt l'expression d'un sursaut désespéré face à une large sécularisation des sociétés de culture islamique ? Tous les travaux des historiens et des sociologues établissent qu'un profond mouvement de sécularisation traverse actuellement les sociétés islamiques. Ce constat est confirmé par l'analyse de trois indicateurs concernant les jeunes filles issues de l'immigration en France : le pourcentage de filles qui font des études longues augmente, de même que le pourcentage de femmes qui sont autonomes financièrement. Enfin, la fécondité des femmes diminue. Ces données sont incompatibles avec la thèse d'une augmentation de la mainmise de l'intégrisme islamiste en France. Même en Algérie, où l'intégrisme a fait des dizaines de milliers de morts, la fécondité des femmes s'est effondrée passant d'environ dix enfants par femmes à un niveau inférieur à celui de la France actuellement. Il faut en tirer la conclusion que la violence intégriste est une réaction à une société qui échappe à la mainmise religieuse.

Si le port de signes religieux constitue bien un défi, il n'est pas le fruit d'ennemis menaçants mais d'un mouvement de crispation face à la sécularisation. Je ne pense pas que l'Europe soit une forteresse menacée par des vagues qui tendent à installer en son coeur des pratiques venant de civilisations arriérées, ce qui justifierait le vote d'une loi pénale. Il faut au contraire avoir conscience que ceux qui testent la République constituent une minorité qui est en train de perdre la partie.

Nous ne devons pas nous tromper dans la réponse à apporter à cette question car toute réaction excessive ferait la part trop belle aux intégristes. Il faut au contraire valoriser les musulmans qui pratiquent leur religion de façon cohérente avec nos valeurs. C'est pourquoi la question des sorties scolaires avec des femmes voilées est cruciale : nous ne pouvons pas rejeter sans distinction les intégristes et les musulmans dont la pratique religieuse est en accord avec nos valeurs. Nous ne pouvons pas demander à des personnes de renoncer à des coutumes en quelques années là où les femmes françaises ont mis des dizaines d'années. Par exemple, ma grand-mère, dans les années 1930, ne montrait pas ses cheveux en public car seules les femmes de mauvaise famille montraient leurs cheveux.

Il faut donc favoriser l'émancipation mais aussi être conscient que celle-ci ne passe jamais par la contrainte. Ce qui est décisif, ce n'est pas le port de tel ou tel habit mais l'égalité absolue des garçons et des filles dans les écoles, l'interdiction de toute atteinte à la mixité, y compris pour le sport. Les voiles intégraux tomberont non pas le jour où on les aura arrachés de force, mais le jour où ce qui entre dans la tête des filles qui subissent cette aliénation changera. C'est pourquoi nous faisons confiance à l'école de la République.

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