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Intervention de François Asensi

Réunion du 14 octobre 2009 à 15h00
Délimitation des circonscriptions des députés — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois Asensi :

Ce principe peut paraître d'autant plus choquant que notre pays s'éloigne progressivement de la conception républicaine du droit du sol donnant des droits aux citoyens vivant sur notre territoire. Des familles immigrées qui se sont parfaitement insérées dans notre société, qui participent à la vie démocratique et payent leurs impôts sont exclues de nos institutions.

Comment accepter que vous refusiez le droit de vote aux étrangers installés depuis plusieurs dizaines d'années en France, alors que vous vous apprêtez à accorder un droit de vote spécifique à des personnes qui, pour certaines, ont quitté définitivement la France ? Il y a là pour le moins un paradoxe.

Comme vous avez pu le constater, mes chers collègues, les injustices entre les citoyens que contient ce texte sont légion, et je ne suis pas surpris, monsieur le secrétaire d'État, que la commission de contrôle ait formulé des réserves à ce redécoupage dans plus de la moitié des départements et proposé une refonte totale des circonscriptions parisiennes.

La méthode employée n'offrait, il faut le dire, que bien peu de garanties démocratiques d'impartialité.

Vous avez tout d'abord cherché à contourner les prérogatives de notre assemblée, alors même que l'article 34 de la Constitution inscrit le régime électoral des assemblées parlementaires dans le domaine de la loi.

Le Gouvernement invoque le précédent de 1986 pour justifier le recours aux ordonnances, mais il devrait savoir qu'une entorse au droit ne fait pas loi ni jurisprudence, et je ne crois pas que le charcutage de 1986 mérite de servir de référence pour l'exercice démocratique auquel nous sommes conviés.

Plus grave encore, la loi d'habilitation à procéder par ordonnance se signalait par une telle largesse qu'on ne peut s'étonner d'un résultat partial et contraire aux canons d'une démocratie avancée.

La fixation du nombre des députés des Français de l'étranger et d'outre-mer a été laissée à la libre appréciation du Gouvernement. Ce dernier s'était pourtant engagé à inscrire cette répartition au sein d'une loi organique.

Que dire de l'instauration d'une commission de contrôle du redécoupage à l'indépendance toute théorique et aux pouvoirs inexistants ? Elle n'aura même pas eu à se prononcer sur la loi d'habilitation du redécoupage, qui fixait pourtant le cadre de son travail. N'ayant pas de pouvoir contraignant, ses avis sont majoritairement passés à la trappe sans autre forme de procès.

Présentée comme une avancée démocratique majeure, l'instauration de cette commission n'aura donc été qu'un leurre pour nous détourner d'une opération de manipulation électorale.

Plus que jamais, il est nécessaire de mettre en place une commission composée d'experts en démographie, sociologie, géographie et statistique qui conçoive un projet de redécoupage, sans être nommée par les pouvoirs en place, tout comme il me semble indispensable de graver dans la loi fondamentale l'obligation d'un redécoupage périodique afin d'éviter les effets d'aubaine pour les partis au pouvoir.

J'en viens au deuxième volet de mon intervention, qui concerne plus généralement la place de ce projet de redécoupage des circonscriptions dans le cadre de la réforme de nos institutions. Je crois ce détour essentiel, car il ne s'agit pas simplement aujourd'hui d'approuver ou non le trait de crayon de M. le secrétaire d'État sur la carte politique de France.

En dépit des discours du Gouvernement, qui souhaiterait maquiller cette opération en un simple exercice démographique et statistique purement scientifique, nous touchons au coeur de notre système démocratique, ce système qui permet, par le truchement des institutions, de donner une voix et une représentation au peuple.

Par un habile scénario, M. le Premier ministre, sur ce texte comme sur d'autres projets, s'attache à tronçonner une réforme globale pour nous en faire perdre le sens.

Si ce texte portant ratification de la délimitation des circonscriptions nous revient sans saveur, c'est bien car tout a été fait pour confisquer le débat en amont, pour déminer autant que possible ce texte et en effacer de nombreux enjeux.

Je rappelle en effet que ce projet de loi est l'une des dernières pierres, en attendant une hypothétique mise en place du référendum d'initiative populaire, du projet de réforme de nos institutions porté par le Président de la République et mis en musique par son ancien mentor, Édouard Balladur.

N'en déplaise au Président, les mots ont un sens. Ce qu'il a affublé de l'expression « démocratisation de nos institutions » n'est rien de plus qu'une reprise en main autoritaire de notre République et un penchant de plus en plus assumé vers le déséquilibre des pouvoirs constitutionnels. La montagne de promesses démocratiques a accouché d'une souris, les rares propositions ouvertes du comité Balladur pour apporter une respiration démocratique à nos institutions ayant été repoussées, parfois sans être examinées.

Quelles avancées pour réformer un mode de scrutin majoritaire qui étouffe le pluralisme ? Quelles propositions pour limiter le cumul des mandats ? Quelles dispositions nouvelles pour permettre une réelle parité élective et une représentation de la diversité qui ne s'en tienne pas à des caricatures ?

Les parlementaires communistes vous ont présenté leurs propositions pour démocratiser des institutions sclérosées et fermées aux classes populaires : des propositions de bon sens, des propositions dont l'application ne soulevait aucun obstacle juridique. Le Gouvernement a préféré faire la sourde oreille et a poursuivi une réforme qui ne donnait ni droits nouveaux aux citoyens ni nouveaux pouvoirs au Parlement, ce que l'on constate aujourd'hui sur tous les bancs.

Je regrette vivement que ces questions essentielles aux yeux de tous les parlementaires n'aient trouvé aucune réponse lors de l'élaboration de la réforme constitutionnelle, ce qui explique largement la victoire à la Pyrrhus obtenue devant le Congrès à une voix de majorité sur la réforme constitutionnelle.

En raison de ces non-choix, en raison d'un conservatisme certain vous rendant incapables d'imaginer de nouvelles institutions à l'image de la société française, vous êtes comptables d'avoir laissé passer une opportunité forte de démocratiser cette Ve République vieillissante, à bout de souffle.

Nous devons ratifier une carte électorale qui n'a aucun sens car des mesures démocratiques essentielles n'ont pas été prises. Nous nous retrouvons aujourd'hui avec une réformette de l'égalisation démographique des circonscriptions législatives alors que celle-ci était nécessaire.

Vous avez traité la question de l'égalité des citoyens devant le suffrage par le petit bout de la lorgnette. Vous n'avez, monsieur le secrétaire d'État, parlé que de « tradition électorale » et de « simple ajustement » pour justifier votre projet. Nous ne pouvons vivre en reproduisant perpétuellement les choix du passé. Les députés sont, au contraire, favorables à un grand changement, pour peu qu'il soit synonyme de plus de justice. Il n'est pas question ici d'arithmétique ou de cuisine électorale, monsieur Marleix, mais d'un projet de société. Nous ne nous laisserons pas enfermer dans un cadre trop étroit qui ne laisse pas respirer la démocratie, à coup d'échanges de cantons d'une circonscription à l'autre.

Ce n'est pas ce redécoupage qui apportera une réponse à la profonde défiance de nos concitoyens envers la chose publique et à l'abstention grandissante dans les urnes. Nous satisferons-nous d'une démocratie, à l'instar des États-Unis, où les élus de la nation seront désignés par une minorité de votants ?

Vous invoquez à l'envi les recommandations du Conseil constitutionnel invitant au redécoupage pour vous parer dans un habit de vertu, celui de l'égalité devant le suffrage, mais si, dans ce projet de redécoupage, la lettre est respectée, l'esprit, lui, ne l'est pas.

M. le secrétaire d'État affirmait d'ailleurs en novembre dernier ; « Nous ne sommes pas à la recherche du meilleur système de répartition, dès lors que notre intention n'est pas de tout remettre à plat, mais de procéder aux ajustements exigés par l'évolution démographique ». On ne peut plus clairement afficher ce manque d'ambition démocratique.

Si vous me le permettez, je vais vous exposer en quelques points des réformes essentielles qui, aujourd'hui plus que jamais, doivent voir le jour pour rapprocher durablement les citoyens des institutions de ce pays. Peut-être aurez-vous l'impression d'entendre des vieilles lunes, et je suis le premier à le regretter, mais à qui la faute si, depuis tant d'années, rien ne bouge dans le paysage institutionnel français ?

En 1993 déjà, la commission Vedel était installée par le Premier ministre de l'époque pour proposer une évolution et une démocratisation de nos institutions. Quinze ans plus tard, je constate non sans tristesse que nous en sommes au même stade. Nous faisons mine de découvrir des problématiques défrichées depuis longtemps. L'art de la répétition pour convaincre a ses limites.

Plus navrant encore, bon nombre des recommandations de cette commission ont été reprises par la commission Balladur en les affadissant, avant de subir une cure d'amaigrissement drastique entre l'Élysée et Matignon.

Parmi les sages propositions du doyen Vedel figurait l'introduction de la proportionnelle pour un dixième des députés afin d'atténuer la surreprésentation des formations dominantes. En raison de l'élection d'une nouvelle majorité de droite peu convaincue de la nécessité de revitaliser notre démocratie, ce rapport est resté lettre morte.

Il faut bien admettre que l'arrivée de la gauche en 1997 n'a pas apporté les réponses institutionnelles que l'on pouvait espérer et, à rebours, a consolidé la tendance présidentialiste du régime avec l'inversement du calendrier électoral.

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