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Intervention de Daniel Paul

Réunion du 21 septembre 2009 à 15h00
Organisation et régulation des transports ferroviaires — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDaniel Paul :

Vous êtes très attentif à certaines demandes…

On se retrouve devant des paradoxes apparents. D'une part, l'addition des orientations européennes et de la politique libérale de la France a conduit à un affaiblissement général de la SNCF ; d'autre part, les objectifs du Grenelle poussent à des transferts modaux vers des transports plus respectueux de l'environnement, parmi lesquels le ferroviaire tient une place à part.

Ainsi, les résultats 2009 enregistrent un net recul par rapport aux périodes antérieures ; un déficit de 600 millions serait constaté sur l'exercice. Cette réalité est utilisée pour lancer un message d'alerte : le fret ferroviaire est menacé si des mesures fortes, et même draconiennes, ne sont pas prises ! En clair, il faut réduire la voilure du fret ferroviaire, abandonner le wagon isolé, créer des opérateurs ferroviaires de proximité, filialiser le fret par secteur...

Le wagon isolé est identifié comme le principal foyer de pertes : il conviendrait donc de rompre avec les politiques précédentes, d'où la décision de fermer à ce trafic des centaines de gares, ce qui entraîne des situations inacceptables, comme celle de Portes-lès-Valence, où la direction de la SNCF refuse un contrat de 1 050 wagons par mois proposé par un grand groupe de la distribution s'installant pourtant dans cette commune.

Cette politique a jeté sur les routes près de deux millions de camions supplémentaires, pendant qu'elle conduisait à supprimer 10 000 postes de cheminots. Il est vrai que la SNCF étant le premier transporteur routier de France, le transfert est bien souvent interne au groupe, mais quelle est la cohérence avec les objectifs du Grenelle ?

C'est aussi la succession de plans annoncés comme devant résoudre les problèmes. Alors que le gouvernement de gauche avait, avec Jean-Claude Gayssot, initié une politique de volume conforme, avant l'heure, aux principes du Grenelle, et dont l'objectif était d'atteindre 100 milliards de tonnes par kilomètre en 2010, le plan Véron signe une rupture totale ; désormais, l'entreprise doit privilégier non plus une politique de volume mais une politique de marge, et s'adapter à la concurrence.

En 2006, cette ouverture à la concurrence devait permettre un report modal de la route vers le rail, sauf que, selon la SNCF, ses concurrents ont capté seulement 10 % des trafics perdus, et la part du ferroviaire est passée de 14 % à 11 %, avec, à la clé, une sous-utilisation des sillons et des matériels roulants, ainsi qu'une augmentation des péages, comme en Seine-Maritime – où vous allez vous rendre bientôt – pour la ligne Motteville-Montérolier-Buchy.

Et la casse continue avec l'abandon d'une grande partie du wagon isolé et la filialisation par produits. Ainsi, le réseau de wagon isolé, qui avait été drastiquement réduit à trois hubs et trente et une plateformes, disparaîtrait pour être remplacé par des relations de zone à zone entre onze plateformes seulement, alimentées par le développement d'opérateurs ferroviaires de proximité privés.

Ainsi, les pôles d'activités seraient filialisés pour augmenter la productivité de 15 %, et l'exemple de Combi Express est à cet égard éloquent.

Ainsi, c'est par la presse que nous avons eu confirmation, samedi dernier et aujourd'hui même, de la création de « trois à cinq filiales qui seront des opérateurs portuaires ou des sociétés spécialisées sur des secteurs géographiques ou économiques ».

Ainsi, notre collègue Candelier décrira ce qui se passe dans sa région du Nord-Pas-de-Calais. C'est toutefois l'ensemble de nos territoires qui sont concernés, comme le montrent les messages reçus de la quasi-totalité des régions de France, exprimant, par exemple, des inquiétudes quant à l'avenir du site du Bourget, où, entre 2002 et 2008, le nombre de wagons traités est passé de 800 000 à 500 000 par an, la différence n'allant pas essentiellement chez les concurrents ferroviaires, mais sur la route, avec la suppression de 300 emplois. D'autres situations illustrent cette politique, comme celle du site d'Hendaye et de Bayonne, menacé de soixante-cinq suppressions de postes, soit 40 % de l'effectif total. Et les personnels de nous alerter sur le fait que cela ne permettra plus de garantir le niveau nécessaire de sécurité. Je pourrais allonger la liste.

Comme je peux aussi rappeler les attentes des chargeurs. Leur demande, vous le savez bien, monsieur le secrétaire d'État, est légitime : que le fret qu'ils confient à l'opérateur ferroviaire public arrive dans les délais prévus. Non qu'il arrive deux ou trois heures en avance, mais qu'il n'arrive pas non plus avec une demi-journée de retard !

C'est la fiabilité qui est en cause. Or Fret SNCF avait pour objectif, malgré l'écrémage des effectifs de ses services, 90 % de trains avec moins d'une heure de retard pour les commandes passées à moins de trente et un jours. Cet objectif n'est pas atteint : aujourd'hui, le résultat ne dépasse pas 74 %, alors qu'il y a moins de trains et moins de circulation sur les lignes. Cette question de la qualité et de la fiabilité du service est centrale.

Alors comment ne pas s'interroger sur la poursuite de la désorganisation et la dégradation qu'elle entraîne, avec la perspective de 5 000 à 6 000 suppressions d'emplois ? Proclamer, comme le fait le directeur du fret à la SNCF, M. Blayau, qu'il faut se positionner sur les trafics dits rentables, revient tout simplement à laisser à d'autres le soin de transporter le fret ainsi abandonné – voire de ne pas le faire ! – à des concurrents non ferroviaires, c'est-à-dire essentiellement aux grands groupes routiers, parmi lesquels des filiales de la SNCF, des concurrents extérieurs, entreprises ferroviaires comparables à la SNCF ou non…

L'assouplissement des règles de gestion de l'infrastructure vise dans le même temps à faciliter l'intervention de ces acteurs privés, notamment des opérateurs ferroviaires de proximité. Ainsi, RFF pourrait confier par convention à toute personne publique ou privée, entreprise ferroviaire ou chargeur, des missions de gestion du trafic et des circulations, de fonctionnement et d'entretien des installations sur des lignes dites à faible trafic, répondant aux classifications de 7 à 9, réservées au transport de marchandises.

À cet égard, la question des voies ferrées portuaires est lourde d'enjeux. Nous en reparlerons lorsque vous vous rendrez au Havre, le 15 octobre. Sur les trente-deux passages à niveau critiques de Normandie, quatorze sont situés sur les 255 kilomètres de voies ferrées du port du Havre. Pourtant, l'hypothèse d'un transfert au privé n'est pas à écarter, avec les conséquences sur la sécurité que cela aurait, s'ajoutant aux conséquences sur l'emploi.

Proposition est même faite d'un transfert à RFF des gares de fret, y compris des voies de débord ainsi que des entrepôts, le tout avant le 31 décembre 2010. Et l'on peut craindre que l'arrivée sur ces réseaux de nouveaux gestionnaires d'infrastructures délégués – les GID – à la place de la SNCF contribuera toujours plus à favoriser les filiales ou les nouveaux entrants, au détriment de Fret SNCF.

Les enjeux environnementaux ont décidément bon dos !

Nous avons pris note de l'engagement de l'État de dépenser 7 milliards d'euros pour l'investissement ferroviaire, mais cela n'aura de résultat qu'à moyen et long termes et, soyons clairs et réalistes, cela ne suffira ni à rattraper les lourds retards accumulés ni à développer les nouvelles lignes nécessaires.

Notre demande est donc claire, et elle a été rappelée tout au long des discussions du Grenelle : si l'on veut respecter les engagements pris, la décision politique doit rejoindre l'enjeu sociétal et même humain.

Tous les pays européens ont injecté des milliards d'euros dans les banques au prétexte de les sauver face à la crise. De grands secteurs industriels sont toujours soutenus actuellement. Alors, si nous voulons être fidèles au Grenelle, dont les enjeux sont, vous le reconnaîtrez, monsieur le secrétaire d'État, au moins aussi importants, la priorité doit être déclarée pour le ferroviaire, en particulier pour le fret, et ce au niveau national mais aussi européen.

Oui, le fret ferroviaire doit être déclaré d'intérêt général, ce que vous refusez obstinément chaque fois que nous le demandons. Cela, Bruxelles ne vous empêche pourtant pas de le décider ! Oui, le fret ferroviaire doit recevoir les aides financières que nécessite cette situation difficile si l'on veut vraiment se conformer au Grenelle. Et si les investissements de RFF doivent être rentables économiquement, sans doute faut-il associer étroitement à cette notion de rentabilité celles d'efficacité environnementale et d'efficacité sociale.

L'avenir de Fret SNCF est un enjeu de société qui justifie que la SNCF et l'État ne soient pas seuls à décider.

Et nous savons tous ici que, dans ce domaine aussi, il y a les obligations nées de l'Europe et des réunions auxquels vous participez en tant que secrétaire d'État, et ce que vous leur ajoutez dans le cadre de votre politique, alors que vous pourriez non seulement faire valoir d'autres orientations dans la construction européenne, mais aussi mener une autre politique nationale, qui n'aggrave pas celle aujourd'hui imposée par les directives ou règlements européens.

Cela vaut aussi dans le cas des TER. Reconnaissons tous le succès de ce secteur ; les efforts des régions ont fait, comme on dit, « bouger les lignes » : le trafic et le nombre de voyageurs ont augmenté, l'ouverture de nouvelles lignes est à l'ordre du jour pour mieux répondre aux attentes des usagers, tout cela allant dans le sens du Grenelle et du bien public.

Rien aujourd'hui ne justifie ni ne fait obligation aux régions de soumettre les TER à la concurrence, ni même d'expérimenter dans ce domaine. C'est d'ailleurs ce que répondait le Gouvernement le 13 janvier 2008, par la bouche de Mme Kosciusko-Morizet, à notre collègue sénateur Haenel : « le règlement OSP ne remet pas en cause le monopole légal conféré à la SNCF par l'article 18 de la LOTI pour les services intérieurs de voyageurs sur le réseau ferré national ». Mme Kosciusko-Morizet ajoutait : « Ainsi, notamment, les autorités organisatrices des services régionaux de voyageurs ne pourront se prévaloir du règlement OSP pour lancer des appels d'offres afin de confier des services de voyageurs à d'autres opérateurs que la SNCF. »

Pourtant, on sent des menaces, la SNCF alimentant elle-même cette idée, par l'intermédiaire de ses filiales, et certains responsables politiques de votre majorité se transformant en boutefeux : ainsi, notre collègue Mariton demande un calendrier d'ouverture à la concurrence des transports ferroviaires de voyageurs.

Votre texte était initialement justifié par l'obligation de mettre notre pays en conformité avec les directives européennes concernant l'ouverture à la concurrence du transport international de voyageurs, et de répondre aux injonctions de la Commission européenne pour une plus grande transparence en matière d'accès au marché.

C'est le sens de la lettre de griefs qui vous a été adressée le 26 juin 2008 par la Commission. Elle portait sur trois points : l'exigence d'indépendance et de performance du système français de tarification ferroviaire ; les garanties d'indépendance à l'égard des opérateurs en matière de gestion des infrastructures ; la compétence et le fonctionnement de l'organisme français de contrôle ferroviaire qui ne répondent pas aux normes communautaires.

Vous connaissez notre demande – je remercie M. le rapporteur de l'avoir évoquée – qu'une évaluation précise de la libéralisation du secteur ferroviaire en Europe soit réalisée avant de poursuivre cette politique qui a déjà entraîné la suppression d'un million d'emplois de cheminots dans l'ensemble des pays de l'Union européenne.

Mais, outre que vous appliquez avec zèle les décisions qui vont en ce sens, participant d'ailleurs activement à leur élaboration, la politique que vous menez et celle que vous faites mener par la SNCF vont, comme je l'ai montré depuis le début de mon intervention, au-delà des obligations européennes. De fait, votre projet de loi s'est « enrichi » d'articles qui n'ont plus rien à voir avec le texte d'origine. Il traite désormais la totalité des modes de transport et a pour principal objectif d'ouvrir le transport ferroviaire à la concurrence, d'empêcher toute entrave au jeu du marché et de supprimer à terme le statut de cheminot.

Ces projets sont dangereux ; ils impactent directement la sécurité des circulations et la régularité des trafics. Aujourd'hui, des interfaces nombreuses existent entre les différents intervenants ferroviaires ; les relations permanentes entre l'équipement, les agents d'escales voyageurs et fret, les tractionnaires et les agents en charge du trafic permettent de garantir la transmission des informations de sécurité, l'utilisation optimale du réseau et une gestion également optimale en cas d'aléas.

Mais il est décidé de créer au sein de la SNCF un service spécialisé qui exercera à compter du 1er janvier 2010, pour le compte de RFF et selon les objectifs et principes de gestion définis par ce dernier, les missions de gestion du trafic et des circulations sur le réseau ferré national.

Le directeur sera nommé par décret du Premier ministre, sur proposition du ministre des transports et après avis de l'ARAF. Certes, il s'agit pour le moment d'une simple séparation comptable. Toutefois, cette création n'est pas du tout une obligation européenne : c'est un choix du Gouvernement, que rien ne justifie si ce n'est une finalisation à plus ou moins long terme. Les agents concernés garderaient leur statut, mais les nouveaux embauchés n'en bénéficieraient certainement pas, à l'exemple de ce qui se passe à la Deutsche Bahn et, dans une certaine mesure, dans les deux entreprises issues des PTT : La Poste et France Télécom – nous en connaissons les conséquences. Notre collègue Mariton précise, dans son rapport, que cette solution a l'avantage « d'individualiser les services en charge de la gestion des circulations en vue d'une éventuelle évolution ultérieure ». On ne saurait être plus clair, mais cette mesure, elle non plus, n'est pas imposée par Bruxelles : elle ne relève que de la volonté du Gouvernement, de sa majorité et sans doute de la SNCF elle-même.

La création de l'ARAF est la clé de voûte de la nouvelle organisation ferroviaire ; l'objectif est d'en faire le véritable régulateur du système. À l'origine du texte, elle était juridiquement intégrée à l'État, mais elle est maintenant dotée d'une personnalité juridique et de ressources propres, et on lui attribue de larges pouvoirs d'enquête et d'investigation, un pouvoir réglementaire supplétif et des pouvoirs de sanctions en cas de manquements constatés.

Ainsi, elle sera consultée sur tous les textes réglementaires relatifs aux transports ferroviaires, y compris sur les tarifs des services de transport de voyageurs lorsque ceux-ci seront opérés en monopole, elle contrôlera que l'accès au réseau s'effectue dans des conditions équitables, elle veillera au contrôle de l'indépendance du service gestionnaire des trafics et des circulations et s'assurera que les impératifs liés à la sécurité ferroviaire ne soient pas instrumentalisés en vue d'entraver la concurrence. Autant d'éléments qui justifient nos préoccupations quant aux rapports entre l'ARAF et l'Établissement public de sécurité ferroviaire. C'est pourquoi nous proposerons d'introduire dans votre projet de loi le principe de l'indépendance de l'EPSF à l'égard de l'ARAF, et de permettre aux représentants des organisations syndicales d'être nommées au sein de l'ARAF.

Je l'ai dit à plusieurs reprises : votre projet de loi outrepasse les obligations prévues par les autorités européennes, ce qui, compte tenu des enjeux que recouvre le secteur, ne nous paraît pas acceptable. Non pas que ces injonctions européennes soient, elles, acceptables, mais votre politique tend à les aggraver.

Il en est ainsi avec l'amendement que vous avez introduit, à la dernière minute,…

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