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Intervention de Bernard Kouchner

Réunion du 18 mars 2009 à 11h45
Commission des affaires étrangères

Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes :

Oui et non. Une crise avait eu lieu, en effet, mais le pouvoir de M. Ravalomanana a ensuite été confirmé par un vote régulier.

On ne sait aujourd'hui où se trouve l'ancien président. On a dit qu'il avait trouvé refuge à l'ambassade des États-Unis mais celle-ci a démenti. Rappelons que notre propre ambassade a hébergé, pour une courte période, le maire de Tananarive qui se sentait menacé physiquement. Nous en avions fait état aux autorités légales et nous avions demandé à M. Rajeolina de ne pas se servir de l'ambassade comme d'une base politique ; il a bénéficié de la protection des Nations unies, tandis que l'archevêque de Tananarive menait les négociations.

En théorie, c'est le président du Sénat qui aurait dû assurer l'intérim, mais la Haute cour constitutionnelle a validé l'ordonnance de transfert des pleins pouvoirs.

Je rappelle que les manifestations ont été très importantes, qu'elles ont même fait des morts et qu'elles ont traduit un basculement de la population au détriment du Président Ravalomanana – même si l'on ne peut quantifier ce mouvement. Il est évident que des accusations de corruption pesaient sur M. Ravalomanana et qu'il avait été accusé de vendre une partie du territoire à un pays étranger.

Plus généralement, on assiste en Afrique à une augmentation du nombre des coups d'État, quelle que soit la forme qu'ils prennent. Bien qu'il n'y ait pas eu effusion de sang, on ne peut nier que c'est un coup d'État qui s'est produit en Mauritanie, renversant le pouvoir constitutionnellement établi. On ne peut nier qu'il y a eu un coup d'État en Guinée, quel que soit le jugement que l'on puisse porter sur M. Lansana Conté. Le capitaine Camara a ensuite accepté les conditions que la communauté internationale, dont la France, lui proposait. Au Kenya, après des violences qui ont fait de milliers de morts, le Premier ministre Raila Odinga – un homme remarquable – a accepté de cohabiter avec le Président Kibaki. Au Zimbabwe, où les victimes se comptent par milliers, M. Tsvangirai a lui aussi fini par cohabiter avec le président Mugabe.

Dans tous les cas, on assiste à une prise de pouvoir non constitutionnelle. Il y a lieu de s'inquiéter de l'extension de ce phénomène.

Dans un tel contexte, la ligne constante de la France est de s'aligner sur l'Union africaine. La démarche n'est pas si simple : au sujet de la Mauritanie, par exemple, la Commission de l'Union, présidée par M. Jean Ping, ne partage pas la position du Président de l'Union, M. Kadhafi. Il n'en reste pas moins que l'UA est pour nous une référence.

Concernant le Soudan, le mandat d'arrêt émis au début de ce mois par la Cour pénale internationale à l'encontre du président Omar el-Béchir, à l'initiative du procureur général Luis Moreno-Ocampo, était prévu de longue date. Nous prenons toutes les dispositions pour la sécurité de nos concitoyens, en associant à ces précautions les ONG qui le souhaitaient ainsi que certains ressortissants européens.

La réaction à ce mandat d'arrêt, vous la connaissez : le président Béchir a refusé de se soumettre et il s'en est suivi l'expulsion de treize ONG qui travaillaient au Darfour. L'approvisionnement et les soins apportés aux réfugiés sont, de ce fait, mis en péril.

Notre position est difficile. La France est membre fondateur de la CPI. Elle soutient depuis longtemps au Conseil de sécurité l'idée qu'il faut lutter contre l'impunité au Darfour. J'ai rencontré le président Béchir à de multiples reprises, le président Sarkozy l'a rencontré deux fois. Nous lui avons demandé des efforts qu'il n'a jamais consentis. Nous souhaitions notamment qu'il livre à la justice les deux personnes recherchées pour crimes contre l'humanité et crimes de guerre. Or l'une d'entre elle a été nommée secrétaire d'Etat aux affaires humanitaires, ce qui constitue une provocation particulière, et l'autre a été emprisonnée par les autorités soudanaises mais n'a pas été livrée.

Reste l'effort de paix que le Qatar a mené avec efficacité depuis quelques mois. Le président Béchir se rendra-t-il à Doha à l'appel de la Ligue arabe, laquelle s'est prononcée – à l'instar de l'Union africaine – contre le mandat de la CPI ? Je le pense, et l'on ne pourra s'en alarmer que théoriquement.

Rappelons que Hassan al-Tourabi, qui a fait des études à la Sorbonne et qui est un membre important de l'opposition soudanaise, s'est prononcé en faveur de la CPI et a été mis en prison pour cette raison il y a deux mois. Tourabi est soutenu par une organisation, le JEM – Mouvement pour la justice et l'égalité – de Khalil Ibrahim, dont l'attaque s'est arrêtée aux portes de Khartoum il y a un an.

L'affaiblissement possible du pouvoir du président Béchir peut laisser supposer qu'il y aura d'autres prises de position de ce type. Il faudra attendre quelque mois avant que les effets de la décision de la CPI se manifestent. Peut-être y aura-t-il un remaniement du pouvoir mais je n'en suis pas sûr. Si la situation se dégrade au Darfour, si, notamment, les ONG ne peuvent plus mener leur action, ce sont des dizaines de milliers de vies qui seront menacées et nous devrons faire face à un grave dilemme.

En ce qui concerne Israël, il y a peu d'évolutions récentes. Le Premier ministre pressenti, M. Benyamin Netanyahou, semble avoir reporté de quinze jours la composition de son gouvernement. Les efforts pour convaincre Kadima ou le parti travailliste se poursuivent. On peut être fondé à penser que M. Netanyahou préférerait Mme Tzipi Livni à M. Lieberman au poste de ministre des affaires étrangères, mais celle-ci a refusé.

Le cessez-le-feu est fragile. Des roquettes continuent d'être tirées en direction du territoire israélien. Même s'ils sont reportés, nous continuons à soutenir les objectifs de nos amis égyptiens pour ce qui est de la prolongation du cessez-le-feu et de la réconciliation palestinienne – qui n'a pu se faire avant la conférence de Charm el Cheikh sur la reconstruction de Gaza. Nous comptons beaucoup sur cette réconciliation, non par tropisme pour le Hamas mais parce que manifestement il existe deux tendances qui ne peuvent que se joindre pour faire avancer les choses et, en particulier, pour faire lever le blocus de Gaza.

La guerre de Gaza n'aura apporté que des retards, des contradictions supplémentaires et des malheurs. Le blocus n'est pas levé, le Hamas est toujours dans les rues et des roquettes – même si c'est en moindre proportion – continuent de tomber sur Israël.

Au dernier pointage, 150 camions ont franchi les points de passage. Il en aurait fallu 500. La conférence du Caire a été un succès financier – près de 4,5 milliards de dollars – mais comment reconstruire si le passage est fermé ? Même le ciment ne passe plus, alors qu'il passait auparavant pour notre programme relatif à la station d'épuration de Beit Lahia.

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