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Intervention de Jacques Attali

Réunion du 23 janvier 2008 à 16h00
Commission des affaires économiques

Jacques Attali :

, en réponse aux intervenants, a tout d'abord souligné qu'il avait symboliquement souhaité intervenir devant les députés le jour même où il rendait son rapport au Président de la République.

Il a par ailleurs déclaré qu'il préférait que l'on ne parle pas de commission d' « experts », car les experts sont des gens qui « savent », mais pas forcément des gens qui « font ». Aucun des membres de cette commission, n'est, en ce sens, un « expert ». M. Franco Bassanini est non seulement un grand universitaire, mais aussi le ministre qui a mené la réforme de la fonction publique italienne. M. François Salvador est arrivé sans diplôme dans une société d'informatique dont il est aujourd'hui le Président directeur général. Et il en va de même de tous les autres membres de la commission, qui ont à coeur de mettre leur expertise d'action au service d'une action.

La commission s'est attachée en permanence à proposer des mesures faisables, équilibrées, politiquement vendables, acceptables par la société française, justes, et susceptibles d'être mises en oeuvre rapidement.

Ce rapport met l'accent sur la nécessaire intervention de l'État, dont le rôle est essentiel pour l'avenir, rôle qui ne se mesure pas seulement en termes de curseur.

Répondant au président Patrick Ollier, M. Attali a rappelé que la part des dépenses publiques devait descendre à 49 %, ce qui correspond à la moyenne européenne. L'État doit être beaucoup plus efficace, avec moins de compétences partagées, moins de doubles emplois, plus d'administrations qui servent, et moins qui contrôlent d'où l'Agence pour les petites entreprises des rémunérations au service rendu plutôt qu'à l'ancienneté, plus d'agences et moins d'organes pyramidaux etc. Dans le cadre de cet État plus puissant et efficace, l'on pourra réhabiliter la politique d'aménagement du territoire, la politique industrielle et le rôle central de l'État, en particulier en matière de politique sociale.

Si le rapport ne préconise pas d'augmenter la charge fiscale, il propose de réduire de trois points les charges pesant sur les entreprises, et de relever la TVA et la CSG, ce qui permettrait d'augmenter le pouvoir d'achat et de favoriser l'emploi.

Concernant les départements, M. Attali s'est demandé si les députés étaient bien objectifs sur cette question. Réagissent-ils du fait qu'ils sont directement concernés ou d'un point de vue général ? Considèrent-ils réellement le département comme une structure essentielle à la République ? L'État doit se réformer ; il y a trop d'élus. De nombreux membres de la commission souhaitaient d'ailleurs aller beaucoup plus loin, jusqu'à interdire le cumul des mandats, et accélérer les rotations pour faire surgir de nouvelles élites. A terme, il conviendra sans doute de revenir sur les pays, pour ne conserver que les agglomérations et les régions. Il faudra rassembler les communes dans des agglomérations, et transférer les responsabilités. Si tout le département est couvert par une succession d'agglomérations, les services de proximité seront préservés. Il ne s'agit pas de faire disparaître les départements du jour au lendemain, mais d'étaler cette « évaporation », pour reprendre le terme de M. Edouard Balladur, sur dix ans, en conférant progressivement une partie des compétences à la région, une autre aux agglomérations. Ce n'est qu'alors que seront réduits les niveaux qui paralysent la croissance, en ralentissant les processus de décision et en alourdissant les coûts.

S'adressant à M. Chassaigne, il a précisé que la commission avait, en permanence, recherché l'équilibre, car la vie est un compromis entre deux formes de mort, la mort par excès de désordre ou la mort par excès d'ordre.

S'agissant des salaires, si le rapport propose plusieurs mécanismes susceptibles de conduire à leur augmentation, celle-ci ne saurait se décréter. Le Gouvernement a commis une grave erreur tactique, théorique et pratique en choisissant le thème du pouvoir d'achat, lequel est une conséquence de la croissance, mais ne se décrète pas.

Concernant les priorités, M. Jacques Attali a répondu à M. Piron que si le rapport présentait 316 mesures, il avait dégagé 20 priorités, depuis l'école maternelle jusqu'à la réduction de la dette publique. Ce matin a d'ailleurs été remis au Président de la République, au Premier ministre et aux ministres un document annexe, sorte de mode d'emploi très détaillé pour la mise en oeuvre de ces vingt mesures fondamentales.

Quelle perspective sociétale entre responsabilité et liberté ? Il s'agit là d'un choix politique. Le partage entre le public et le privé se mesure par la part des dépenses publiques. La société française fait partie de celles où la part des prélèvements obligatoires et des dépenses publiques est la plus élevée au monde. Sans doute devra-t-elle les réduire, en sachant que les dépenses de santé vont augmenter la part de ce qui doit être financé, soit par les dépenses obligatoires soit par l'assurance. La frontière ne sera plus entre public et privé, mais entre contribution obligatoire et assurance, ce qui est représentera une barrière beaucoup plus fine entre les différents systèmes, car, pour beaucoup, l'assurance est tout aussi obligatoire que l'impôt.

M Fasquelle ayant regretté que la question de l'Europe n'ait pas été davantage abordée, M. Attali a rappelé que, si elle n'avait pas fait l'objet d'un chapitre, elle avait été abordée tout au long du rapport, au travers de l'école, de l'université, de la recherche, de la réforme de l'État etc.

Concernant la réforme en profondeur des professions juridiques, il a reconnu que la proposition de supprimer les avocats au Conseil d'État risquait d'être mal perçue, mais qu'il lui semblait nécessaire de supprimer aujourd'hui ce qui est devenu, au bout de quelques siècles, une « rente de situation ».

Le droit français peut devenir un grand droit, à condition de moderniser les professions juridiques, de leur permettre de s'ouvrir davantage, en particulier en termes de sociétés de capitaux, de mieux faire valoir leurs compétences. Il faut faire de la France un espace juridique aux compétences modernes, internationales, exportables.

Pour ce qui est du Grenelle, le principe de précaution est très mal rédigé et, par conséquent inapplicable. M. Attali a affirmé ne pas avoir rencontré un seul parlementaire capable de lui expliquer l'article 5 de la Charte, tant il est incompréhensible. Beaucoup a été dit à Grenelle, mais il faut prendre garde qu'il ne s'agisse pas là de fausses promesses qui ne pourront être tenues, faute de financement. Au contraire, la commission sur la libération de la croissance a pris soin de réfléchir à la faisabilité, au financement des propositions fortes et précises qu'elle a formulées en matière d'environnement : énergies renouvelables, développement des voitures électriques, des villes écologiques etc. Grenelle fut une sorte de « happening écologique ».

A M. Besselat qui s'interrogeait sur la restauration de la confiance, M. Attali a expliqué qu'elle était conditionnée par la prise de conscience de la menace, et la confiance en la capacité de l'affronter. Or la France n'a pas conscience de la menace, alors que la crise financière est grave.

Qu'il s'agisse de l'emploi, des brevets, du classement des universités, du départ des élites – la France perd chaque année 50 000 diplômés -, tout témoigne du déclin. Il faut réagir, et tout mettre en oeuvre pour conserver les élites, mais aussi pour en attirer d'autres, ce qui ne serait pas contraire à l'intérêt des pays du Sud, comme certains ont pu le prétendre.

L'aide française au développement s'élève officiellement à 8 milliards d'euros, mais, si l'on ne tient plus compte dans ce calcul de la réduction de la dette publique, du financement des bourses aux étudiants étrangers ou de l'asile des réfugiés politiques, l'aide au développement réelle est de 500 millions. En revanche, les migrants renvoient chaque année 9 milliards chez eux : là est la véritable aide au développement. Nous seulement les pays développés doivent accueillir les étrangers, mais il doivent les inciter à venir, car ils ont besoin de leurs compétences. Ce renversement radical de perspective suppose de mettre fin aux procédures particulières aujourd'hui mises en oeuvre.

Pour ce qui est des universités et des régions, la France compte vingt-trois régions et dix pôles universitaires. L'Allemagne compte neuf pôles universitaires et l'Angleterre dix. Si la France a beaucoup d'universités, elle n'a pas les moyens d'avoir plus de dix universités de taille mondiale, et dix est peut-être un chiffre encore trop élevé. Cela ne signifie pas que les autres universités doivent décliner. Aux États-Unis, les universités qui ne figurent pas parmi les dix plus grandes sont parfois au premier rang mondial sur une spécialité. Les grandes universités qui fusionnent avec les laboratoires, les centres de recherche, les grandes écoles, n'ont pas besoin de grandir. Les très grandes universités américaines comptent dix ou quinze mille étudiants. Ce n'est pas une question de taille. En revanche, il faut payer correctement les chercheurs, les professeurs, et donner les moyens d'entretenir dignement les campus.

M. Attali a précisé à M. Poignant que ces propositions formaient un ensemble cohérent, qui se révèlerait inefficace si n'étaient retenues que les propositions « de gauche », ou les propositions « de droite ».

Concernant l'équilibre entre petit commerce et grandes surfaces, M. Attali a souligné qu'il avait été tenu compte des échanges qu'il avait eus avec les parlementaires, tout d'abord dans la présentation, en commençant par le renforcement de l'aide au petit commerce et aux fournisseurs indépendants, avant la libéralisation des grandes surfaces, mais également dans les mécanismes proposés pour aider les petits commerces.

La question de l'agriculture est également abordée, au travers de son rôle dans l'énergie renouvelable, les OGM.

Selon M. Attali, les « pays » seraient une sorte de leurre, inventé pour protéger le département : s'il faut supprimer une structure, ce sera le « pays », et non le département ! « Bien joué » s'est exclamé M. Attali.

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