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Intervention de Emmanuelle Latour

Réunion du 28 avril 2009 à 16h00
Mission d’évaluation de la politique de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes

Emmanuelle Latour, secrétaire générale de l'Observatoire de la parit :

L'Observatoire de la parité, créé en 1995, est un service du Premier ministre qui a pour mission de centraliser, faire produire et diffuser, au besoin par des programmes d'actions spécifiques, les données, analyses, études et recherches sur la situation des femmes aux niveaux national et international ; d'évaluer la persistance des inégalités entre les sexes et identifier les obstacles à la parité, notamment dans les domaines politique, économique et social ; d'émettre des avis sur les projets de textes législatifs et réglementaires dont il est saisi par le Premier ministre ; de faire toutes recommandations et propositions de réformes au Premier ministre afin de prévenir et de résorber les inégalités entre les sexes et promouvoir l'accès à la parité.

De 1995 à 2001-2002, la majorité des travaux de l'Observatoire a été consacrée à la question de la parité politique, dans le cadre de la réforme constitutionnelle de 1999et des lois votées à partir de juin 2000 sur ce sujet. Si la parité en politique a permis des avancées importantes, nos rapports font encore état de nombreux obstacles, j'en veux pour preuve le pourcentage de 81,5 % d'hommes à l'Assemblée nationale.

Mme Marie-Jo Zimmermann, rapporteure générale de l'Observatoire de la parité depuis 2002, a décidé d'ouvrir le champ thématique de nos réflexions. Depuis 2006, l'Observatoire a élargi son champ de travail aux sphères économique et sociale. M. Guy Geoffroy, membre de l'Observatoire a ainsi mis en place un groupe de travail sur les violences à l'égard femmes au sein du couple, dont il est le rapporteur.

Les travaux de l'Observatoire sur ce thème se sont déroulés au cours de l'année 2008 autour de la question de l'utilité d'une loi-cadre, en tout cas d'une collation de textes qui constituerait un socle des lois traitant des violences à l'égard des femmes. Nous avons organisé six séances de travail qui ont permis l'audition d'une vingtaine d'intervenants permettant de couvrir le champ relativement large de la question des violences à l'égard des femmes.

À ce propos, la multiplicité des échanges pendant les auditions et dans l'élaboration des comptes-rendus et de la note de synthèse qui vous a été communiquée, nous a permis de faire un point de terminologie important sur la question.

Tout d'abord, afin de mettre en avant l'aspect systémique de ces violences, l'Observatoire a privilégié l'expression « violences à l'égard des femmes » ou « violences à l'encontre des femmes », à celle de « violences faites aux femmes » telle qu'elle apparaît dans les médias ; l'enjeu étant de mettre en évidence le caractère genré de ces violences. Ceci correspond à l'approche suivie par la recommandation numéro 19 du Comité des Nations unies pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes (CEDAWCEDEF), élaborée en prévision de la Conférence mondiale des droits de l'homme de 1993 à Vienne.

L'expression « femmes victimes de violences » a également été privilégiée par rapport à celle de « femmes battues », car il ne s'agit pas seulement de coups, violences physiques, mais aussi de violences psychologiques et de violences sexuelles. Ces violences peuvent prendre de nombreuses formes: excision, privation de papiers, mais aussi humiliations et même mariages forcés.

L'expression « violences au sein du couple », a paru plus pertinente que celle de « violences conjugales », ce dernier qualificatif renvoyant au seul lien matrimonial, alors que les concubins, les pacsés, les ex-pacsés sont aussi bien concernés que les conjoints. De plus, contrairement à « violences domestiques », elle permet d'éviter une confusion avec la question des violences et maltraitances familiales.

Les personnes auditionnées ont mis en avant les avancées de la loi du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs en matière de lutte contre les violences à l'égard des femmes, ainsi que les autres dispositifs existants, à savoir la loi du 26 mai 2004 relative au divorce, la loi du 5 mars 2007 sur la délinquance et la loi du 10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive.

Nos débats et échanges ont mis en évidence la possibilité de rendre ces dispositifs plus performants dans la perspective d'une loi ou d'un socle commun de lois qui pourrait clarifier certaines zones d'ombre. Trois principales mesures ont été préconisées : la nécessité d'une évaluation de la situation et de ses répercussions socio-économiques, la clarification du cadre juridique et le renforcement de la protection judiciaire des victimes.

En premier lieu, la question de l'évaluation a été jugée essentielle. D'ailleurs, l'ensemble des travaux de l'Observatoire sur la question de la place des femmes en politique a montré la nécessité absolue d'outils statistiques performants pour dresser un diagnostic valable.

Les premières statistiques, très médiatisées, qui ont été produites par l'Espagne sur les violences à l'encontre des femmes, ont fait apparaître cette problématique comme fondamentale en termes d'enjeu et de priorité dans l'agenda politique. Quand elles ont été publiées – une femme meurt tous les trois jours sous les coups de son conjoint –, l'ensemble des pays européens a considéré que l'Espagne devait être un pays particulièrement violent. La France, qui pourtant avait lancé en 2001 une enquête nationale sur les violences envers les femmes (ENVEFF), ne s'est dotée que très récemment d'outils statistiques plus performants – qu'il reste essentiel de rendre plus systématiques – et qui nous ont permis d'avoir ces statistiques effrayantes aujourd'hui : une femme décède tous les deux jours et demi, victime de son compagnon ou ex-compagnon.

S'il est essentiel que cette évaluation de la situation passe par des données statistiques systématiques – y compris pour les violences au travail et dans les établissements d'enseignement et de formation, pour lesquels il y a encore trop peu de données, voire pas du tout –, encore faut-il s'en donner les moyens. Or, sans évaluation de la situation, la puissance publique ne peut prendre aucun engagement, ni se doter de moyens pour traiter cette problématique.

Les répercussions économiques des violences au sein du couple ont commencé à être évaluées et elles sont considérables : 383 millions d'euros par an dans le domaine de la santé, 305 millions pour le coût humain induit, 232 millions pour la police et la justice, 89 pour le logement et les prestations sociales, 2,5 millions pour le champ social et médico-social, et 83 millions pour la perte de production au sein du couple et de revenus suite aux arrêts de travail. Ces données chiffrées montrent que ce qui a été perçu pendant longtemps comme un problème familial et privé, concerne en réalité directement la puissance publique en termes de coûts autant qu'en termes de sécurité, de justice et de santé.

Avant de proposer d'améliorer ces dispositifs d'évaluation des coûts économiques, il est nécessaire d'évaluer la cohérence entre les actions et l'utilisation des finances publiques y compris au niveau des collectivités territoriales. Or nous n'avons pas encore d'outils assez performants nous permettant de faire des études d'impact.

Il est également important d'évaluer la situation de l'ensemble des femmes victimes de violences au sein du couple. Il peut s'agir de femmes qui vivent dans une grande précarité économique, laquelle pèse beaucoup sur la capacité à pouvoir sortir de l'enfermement du milieu familial.

Il reste nécessaire, ce qui n'a pas encore été fait de manière systématique, de se poser la question de la situation des femmes immigrées primo-arrivantes, au sujet desquelles un rapport très important a été rédigé par la Délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale, afin de croiser les problématiques de l'alphabétisation et de l'accès au travail avec celle des violences.

Il convient, en outre, d'évaluer les structures existantes et le personnel mis à disposition pour mettre en oeuvre les lois adoptées et les politiques publiques, à savoir les actions menées par les associations et les financements qui leur sont alloués, sachant qu'elles accompagnent non seulement les victimes, mais aussi les auteurs de violences.

Enfin, une évaluation de la jurisprudence civile, pénale et administrative est nécessaire sur ce sujet. Des inégalités très importantes existant sur le territoire, il faut se donner les moyens de comparer la jurisprudence et de comprendre pourquoi tel cas est instruit de manière aussi différente d'une juridiction à l'autre. Une des pistes importantes issues des travaux de l'Observatoire est la formation des professionnels de justice et des acteurs qui accompagnent les victimes. S'il est de la responsabilité de l'État d'apporter la formation nécessaire au personnel de justice, notamment par l'intermédiaire de l'École nationale de la magistrature où un enseignement sur cette question vient d'être mis en place, une formation en réseau, coordonnée, est également indispensable, comme l'ont rappelé les personnes auditionnées. Des formations collectives pour les magistrats, le personnel médico-social et les policiers leur permettraient d'acquérir des automatismes et une méthodologie commune dans le cadre des dossiers qu'ils seront conduits à traiter ensemble.

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