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Intervention de Marilyn Baldeck

Réunion du 28 avril 2009 à 16h00
Mission d’évaluation de la politique de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes

Marilyn Baldeck :

Il existe une différence entre le harcèlement sexuel et le harcèlement sexiste. La directive européenne de 2002 opère d'ailleurs cette différence en indiquant que le premier est lié à des comportements non désirés « à connotation sexuelle », s'exprimant verbalement, non verbalement ou physiquement et ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à la dignité et, en particulier, de créer un environnement intimidant, hostile, humiliant ou offensant. Le second est lié à des comportements non désirés « liés au sexe d'une personne » – dans la mesure où la victime est, par exemple, une femme – le reste de la définition étant équivalent à celle du harcèlement sexuel.

Tous les États n'ont pas encore transposé la directive européenne et il est difficile de comparer des traditions judiciaires très différentes entre les pays, notamment entre les pays du Nord et ceux du Sud. Dans les pays scandinaves, le harcèlement sexuel n'est qu'une faute au regard du code du travail ; il n'y a pas d'incrimination pénale ; moyennant quoi, les obligations qui pèsent sur l'employeur sont beaucoup plus lourdes qu'en France.

Pour autant, nous revendiquons la dimension européenne de notre association puisque nous nous intéressons au droit européen et que nous travaillons régulièrement avec les autres pays. En 2008, nous avons participé à un colloque à Athènes organisé par la Ligue Grecque des Droits des Femmes au moment où le gouvernement grec menait les travaux de transposition de cette directive européenne sur le harcèlement sexuel.

Je vous invite effectivement à lire les débats parlementaires qui ont abouti au texte de 1992. Ils véhiculent en effet un certain nombre de stéréotypes, au point qu'on les croirait dater du XIXe siècle, s'agissant notamment des réactions des hommes qui éclairent le caractère extrêmement restrictif, voire inapplicable, de la loi.

Je voudrais mettre l'accent sur les travaux qui nous ont conduit à étudier les dispositifs légaux qui freinent, voire empêchent la dénonciation des violences dont les femmes sont victimes. Il en est un dont nous demandons la modification depuis cinq ans : le délit de dénonciation calomnieuse défini à l'article 226-10 du code pénal. À ce propos, je tiens d'emblée à lever toute ambiguïté. Il n'est absolument pas question, pour nous, de demander la suppression de la possibilité, pour une personne qui aurait bénéficié d'une relaxe, d'un acquittement ou d'un non-lieu, de déposer plainte pour dénonciation calomnieuse. Il s'agit de demander la suppression de l'alinéa 2 de cet article.

Cet alinéa 2 dispose que « La fausseté du fait résulte nécessairement d'une décision devenue définitive d'acquittement, de relaxe ou de non-lieu déclarant que la réalité du fait n'est pas établie, etc. ». Une décision d'acquittement, de relaxe ou de non-lieu serait donc si infaillible que la justice se donne le droit de s'en servir d'unique fondement pour condamner pour dénonciation calomnieuse ! L'adverbe « nécessairement » entraîne une condamnation quasi automatique d'une personne en dépit de son droit à la présomption d'innocence. Il est exact que certains magistrats recherchent la bonne foi de la plaignante pour la relaxer. Reste que la rédaction de cet alinéa ne les y invite pas et ne les y contraint pas. D'autres magistrats se contentent d'un jugement de relaxe, d'acquittement ou d'une ordonnance de non-lieu pour condamner la dénonciatrice pour dénonciation calomnieuse sans même rechercher, ni caractériser son éventuelle mauvaise foi. De tels jugements existent, nous les avons régulièrement transmis aux Gardes des sceaux depuis cinq ans.

Nous demandons la suppression de l'alinéa 2, afin de donner au juge la possibilité d'apprécier le dossier dont il est saisi dans son entier avec toute la latitude de juger. S'il n'est saisi que sur le fondement de l'alinéa 2, il est quasiment obligé de condamner.

Lorsque Mme Gisèle Gautier, présidente de la Délégation aux droits des femmes du Sénat, avait déposé en 2006, à la faveur du projet de loi dit Courteau, un amendement visant à supprimer cet alinéa 2, le ministre de la justice, s'y était opposé au motif que le juge ne peut condamner que si la victime sait que les faits allégués sont faux, ce qui caractériserait sa mauvaise foi. Mais les juges condamnent au motif que, s'agissant de violences commises sur elles-mêmes, les plaignantes ne peuvent en ignorer la fausseté. La mauvaise foi serait ainsi consubstantielle à la dénonciation.

Les résistances que nous rencontrons depuis de nombreuses années à la modification de ce délit ne sont pas juridiques mais idéologiques. L'alinéa 2 supprimé, le juge pourrait se fonder sur l'alinéa 3 : « En tout autre cas, le tribunal saisi des poursuites contre le dénonciateur apprécie la pertinence des accusations portées par celui-ci ». En outre, si le juge saisi d'une plainte pour dénonciation calomnieuse était réellement obligé de caractériser la mauvaise foi de la dénonciatrice pour le condamner, l'alinéa 2 avec le « nécessairement » n'aurait plus de raison d'être et sa suppression serait sans incidence.

Tant que cet alinéa restera tel quel dans le code pénal, toute politique de lutte contre les violences faites aux femmes sera décrédibilisée et invalidée. Lorsque nous avons commenté sur notre site internet l'existence de ce délit et la manière dont le texte était rédigé, notre permanence téléphonique a été submergée d'appels de femmes victimes de violences qui nous ont dit que, dans ces conditions, elles préféraient se taire. Le risque est trop grand et elles ne voulaient pas, en plus d'avoir été violées, être condamnées pour dénonciation calomnieuse.

Sur ces deux points : le harcèlement sexuel et la dénonciation calomnieuse, l'État porte une immense responsabilité à l'égard des victimes. Il écoute depuis des années les analyses que je viens de vous présenter, sans jamais les contredire sérieusement ni les prendre en compte.

À l'avenant, les politiques publiques de lutte contre les violences sexuelles, en particulier au travail, sont très faibles voire inexistantes. Parmi les engagements pris par Valérie Létard dans le plan global triennal de lutte contre les violences faites aux femmes, il est question d'une enquête à l'échelle nationale sur les violences sexuelles ou sexistes au travail. Or, un an et demi après le début du plan, cet engagement est resté lettre morte. Dans la dernière campagne gouvernementale contre les violences faites aux femmes, le slogan des affiches ne vise pas les violences sexuelles, mais uniquement les violences physiques ou psychiques. L'AVFT est la seule association compétente en matière de lutte contre les violences sexuelles ou sexistes au travail. Les financements qu'elle reçoit ne lui permettent de fonctionner qu'avec un effectif très réduit : nous sommes quatre ou cinq et nous ne pouvons faire face à la spectaculaire augmentation des saisines de l'association : 44 % de nouveaux dossiers ouverts entre 2007 et 2008.

En matière de politique pénale, les violences sexuelles dans nos dossiers sont rarement poursuivies par le Parquet. Quand elles le sont, elles sont déqualifiées. Les victimes doivent donc déposer une plainte avec constitution de partie civile devant le doyen des juges d'instruction. À ce titre, le projet gouvernemental de supprimer les juges d'instruction ne peut que nous inquiéter.

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