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Intervention de Marilyn Baldeck

Réunion du 28 avril 2009 à 16h00
Mission d’évaluation de la politique de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes

Marilyn Baldeck :

Merci de votre invitation. Je suis salariée et militante à l'AVFT depuis six ans. J'occupe un poste polyvalent, mais qui demande surtout des compétences de juriste. Je suis déléguée générale de cette association depuis octobre 2007.

L'AVFT a été créée il y a vingt-cinq ans, sous l'impulsion de Marie-Victoire Louis, chercheuse au CNRS, spécialiste de l'histoire du droit de cuissage en France et des violences masculines à l'encontre des femmes. Elle étudie plus particulièrement les politiques publiques liées aux violences commises à l'encontre des femmes, notamment les politiques publiques en matière de lutte contre le système proxénète. L'AVFT est à l'origine des lois qui répriment le harcèlement sexuel, et intervient de manière concrète dans toute la France, auprès de victimes de violences sexuelles – plusieurs milliers depuis sa création.

L'AVFT a trois types de missions : la première, consiste à intervenir auprès des victimes afin qu'elles soient rétablies dans leurs droits, à toutes les étapes de la procédure, jusqu'à la constitution de partie civile devant les juridictions pénales et l'intervention volontaire devant les conseils des prud'hommes. Aujourd'hui, 377 personnes, dont deux ou trois hommes, bénéficient de cette intervention ; mais il ne s'agit là que d'une infime partie des victimes, et des femmes victimes de violences en France.

Les chiffres de l'enquête INSEE ne nous étonnent absolument pas. Ils sont néanmoins intéressants : c'est la première fois que cet organisme, dans son enquête régulière sur les violences commises à l'encontre des femmes, s'intéresse plus particulièrement au champ du travail, ce qui est en soi signifiant. Pour autant, les enquêtes sur les violences au travail commencent à se multiplier. J'appelle plus spécialement votre attention sur une enquête menée en Seine-Saint-Denis, sous l'impulsion de la déléguée départementale au droit des femmes, la direction départementale du travail et de la formation professionnelle, sur les violences sexuelles commises à l'encontre des femmes. Ses résultats, qui sont également très intéressants, viennent d'être publiés.

Parmi les 377 personnes qui bénéficient actuellement de l'intervention de l'AVFT, 45 % ont été victimes d'agression sexuelle, 25 % de harcèlement sexuel, 20 % de viol, 5 % de coups et blessures volontaires et 5 % de discrimination à la maternité. Alors que l'on associe souvent l'AVFT à une structure intervenant auprès des victimes de harcèlement sexuel, les violences qui sont à l'origine de sa saisine sont souvent plus graves, au sens du code pénal, que le harcèlement sexuel. Bien sûr, je ne parle que des personnes qui sont venues nous consulter, donc des statistiques de l'AVFT.

De cette pratique auprès des institutions policières, judiciaires, de l'inspection du travail et de nos relations avec le corps médical, etc. nous tirons la légitimité de nos deux autres missions qui sont la sensibilisation et l'information de tous les publics, surtout les professionnels concernés, et, parfois, les élus et la veille législative, à savoir l'analyse du droit applicable, la critique des politiques publiques et plus globalement l'étude de toutes les formes de violences commises à l'encontre des femmes. Ces réflexions se sont souvent traduites par des demandes de modifications législatives, j'y reviendrai. D'ailleurs, Catherine Le Magueresse, ancienne présidente de l'AVFT, travaille actuellement sur le traitement, par les différentes institutions, des violences dénoncées par les femmes auprès de l'AVFT. Elle se fonde sur environ 1 000 dossiers traités et archivés par l'association entre 1994 et 2007.

Cette troisième mission d'analyse et de recherche a été marquée par plusieurs travaux importants. Le premier, de longue date, est relatif à la définition légale du harcèlement sexuel, depuis les lois votées il y a dix-sept ans. La première critique de ce texte date de mai 1992 et s'intitule : « Harcèlement sexuel, une réforme restrictive qui n'est pas sans danger ». Y étaient dénoncées déjà : « des limitations rendant ce texte quasiment inopérant ». Notre dernier travail date de 2005 et a pris la forme d'une proposition de loi visant à transposer une directive européenne sur le harcèlement sexuel et à modifier la définition du harcèlement sexuel. Il a été présenté lors d'un colloque organisé au Palais du Luxembourg en janvier 2005.

Nos travaux sur le harcèlement sexuel nous conduisent, en dépit des réformes intervenues en 1998 et en 2002 et plus récemment avec la loi du 27 mai 2008, à radicaliser notre critique du dispositif législatif. Il nous est possible en effet d'affirmer aujourd'hui que le harcèlement sexuel est de facto dépénalisé.

Il ressort de nos dossiers que les plaintes qui relèvent stricto sensu du harcèlement sexuel (les commentaires sur le physique, les injonctions sexuelles, les invitations répétées en dépit des refus de la salariée, l'affichage pornographique, les attouchements corporels non sexuels) sont systématiquement classées sans suite et font l'objet d'ordonnances de non-lieu. Les seules condamnations prononcées sous le chef de harcèlement sexuel concernent en réalité des agressions sexuelles. Le délit voté en 1992 ne sert aujourd'hui, de notre point de vue, qu'à déqualifier les agressions sexuelles, de la même manière, d'ailleurs, que l'on correctionnalise les viols. Les faits de harcèlement sexuel stricto sensu, eux, ne sont pas poursuivis et condamnés.

Pourquoi en est-on arrivé là ? On entend souvent que le problème n'est pas dû à la loi, mais à la façon dont elle est appliquée. Or, s'agissant du harcèlement sexuel, le problème vient bien de la loi elle-même car, notamment, l'article 222-33 du code pénal ne le définit pas. Selon la loi, le harcèlement sexuel est « le fait de harceler autrui, dans le but d'obtenir des faveurs de nature sexuelle. » Comme si l'on définissait le vol par « le fait de voler » ! Par ailleurs, pour que l'infraction soit constituée, il faut que la victime apporte la preuve de l'intentionnalité de l'auteur d'obtenir des faveurs de nature sexuelle. Or ceci est quasiment impossible. Nous-mêmes, lorsque nous examinons de tels dossiers, sommes bien en peine d'affirmer que les auteurs avaient l'intention d'obtenir des faveurs de nature sexuelle, puisque, bien souvent, le harcèlement sexuel n'a pas cet objectif ; il a pour objectif d'humilier une personne, de la faire partir, d'exercer un pouvoir, certes de nature sexuelle. Il est donc très difficile, pour les magistrats, de retenir des éléments matériels et un élément intentionnel. Voilà pourquoi, entre autres, nous échouons, à réprimer les agissements de harcèlement sexuel. Je précise que ce texte a été voté en violation totale du principe de légalité des délits et des peines ; En effet les infractions pénales doivent être très précisément rédigées afin d'être d'application stricte. Cette définition pose donc un problème fondamental de droit.

Nous demandons que le harcèlement sexuel soit précisément défini et que l'on supprime cette intentionnalité. On nous oppose qu'en droit pénal, il faut à la fois un élément matériel et un élément moral et qu'on ne peut donc supprimer l'intentionnalité. Or, l'élément intentionnel est facultatif en matière de harcèlement moral. En effet, l'article 222-33-2 du code pénal dispose que le harcèlement moral est « le fait de harceler autrui par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail, etc. ».

La loi du 27 mai 2008 portant diverses mesures d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations a transposé une directive européenne de septembre 2002 qui imposait aux États membres d'adopter une nouvelle définition du harcèlement sexuel. La définition européenne comporte des pistes intéressantes. Elle avait d'ailleurs servi de base à la proposition de loi de l'AVFT de 2005.

Cependant, la loi du 27 mai 2008 ne comporte même pas le terme de « harcèlement sexuel » !

Cela a par exemple pour conséquence qu'un avocat qui aurait à défendre une cliente victime de harcèlement sexuel, qui ne connaîtrait pas ou peu ce contentieux qui est assez rare, et qui ferait une recherche dans une base de données juridique pour connaître les textes applicables et la jurisprudence ne la trouverait pas à partir du mot-clé « harcèlement sexuel ». Cette loi échappe ainsi totalement à l'activité juridictionnelle actuelle. Les avocats avec lesquels nous travaillons ne la connaissent d'ailleurs pas non plus ; nous passons beaucoup de temps à les informer de l'existence de ce texte.

Ceci étant dit, cette loi ne change rien en matière pénale puisqu'elle n'a pas été codifiée dans le code pénal. Dans celui-ci, la définition pénale du harcèlement sexuel n'a pas été modifiée. Ainsi, les critiques portées par l'AVFT à son propos restent d'actualité.

La loi du 27 mai 2008 n'a pas non plus été codifiée dans le code du travail. Certes, il est possible d'invoquer directement la loi et la directive devant les juridictions sociales. Mais, quelques mois après le vote de la loi, il n'existe encore aucune jurisprudence nous permettant de savoir si elles la prendront en compte, sachant que les conseillers prud'homaux sont assez réticents pour appliquer des textes qui ne sont pas dans leur code. Ce constat pose de manière cruciale la question de l'effectivité des directives.

La conceptualisation juridique du harcèlement sexuel traduit bien évidemment les valeurs qu'un État souhaite promouvoir et garantir en matière de relations entre les hommes et les femmes. Tel qu'il est inscrit dans la loi, ce délit ne constitue qu'un pseudo droit, puisqu'il n'est pas effectif, n'égratignant qu'à peine les privilèges sexuels masculins dans le monde du travail.

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