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Intervention de Messaoud Ould Boulkheir

Réunion du 4 novembre 2008 à 11h45
Commission des affaires étrangères

Messaoud Ould Boulkheir, président de l'Assemblée nationale de la République islamique de Mauritanie :

De mon point de vue, le coup d'État est intervenu parce que, depuis le coup d'État de 2005, le général Abdelaziz avait en tête d'occuper lui-même le poste de Président, sans le concéder à quiconque, militaire ou civil. En effet, dès sa prestation de serment, le Président de la République a subi une vaste campagne de déstabilisation orchestrée – tout le monde le sait aujourd'hui – par la garde présidentielle, c'est-à-dire par Mohamed Ould Abdelaziz lui-même. L'élection présidentielle a malheureusement coïncidé avec une situation internationale difficile, dont les conséquences – renchérissement des prix du blé, du riz, du pétrole – ont été mises sur le compte du chef de l'État nouvellement installé. De telles difficultés ne sont pourtant pas nouvelles en Mauritanie, pays connu pour son austérité et sa rudesse, et dont la population, qui se contente de très peu, est toujours prête à manifester pour tout, sauf pour le pain. Cette fois-ci, cependant, elle a été manipulée au point que des émeutes – heureusement pas trop graves – sont survenues à l'intérieur du pays, suscitant le premier mort « à cause du pain » depuis l'indépendance du pays.

Tel était l'unique programme de l'opposition au Président. Elle a exploité ce thème de la crise, comptant provoquer une révolte populaire à Nouakchott et l'entrée du Basep – les forces militaires – dans le palais présidentiel, afin de déposer le Président et de le remplacer par une autorité militaire. Pour donner une apparence acceptable à ses projets, le général s'est mis en devoir d'organiser la rébellion des élus, députés et sénateurs, dont la majorité, depuis les élections de 2006, sont indépendants. La candidature de ces indépendants avait d'ailleurs été suscitée par la junte militaire de l'époque, dont le général était un acteur essentiel. Aidés en grande partie par ce dernier pendant la campagne électorale, ils se sont sans doute sentis obligés de lui rendre la monnaie et ont accepté d'entrer dans le jeu qu'il organisait afin de déstabiliser le pouvoir. C'est ainsi que, bien que faisant partie de la majorité soutenant le Président de la République, ils se sont mis à protester contre lui. Ils lui ont reproché de ne pas récompenser leur soutien par des nominations au Gouvernement ou à des postes de responsabilité dans l'administration. Bien entendu, le Président n'aurait pu satisfaire quarante-cinq députés, dont chacun ne pensait qu'à lui-même. Aucun n'appartenait à un parti ni ne défendait un projet de société bien établi ; tous ne poursuivaient que des objectifs égoïstes. Pour contrecarrer cette vague de protestations, le Président a tenté de constituer un parti réunissant les députés indépendants, mais il ne pouvait, de toute façon, distribuer suffisamment de postes pour se concilier tout le monde – d'autant que l'appartenance à un même parti ne signifiait pas que tous avaient les mêmes convictions.

La contestation est donc allée en grandissant, d'autant qu'elle a pu s'appuyer sur des cas avérés d'insécurité : une vague d'attentats terroristes, qui a abouti à l'assassinat de quatre touristes français ; l'attaque de bases militaires frontalières ; le développement d'un trafic de drogue d'une ampleur sans précédent, révélé par des saisies très importantes. Les putschistes ont tiré parti de ces événements pour accuser le Président d'incompétence. Ils ont ainsi prétendu qu'il avait libéré des salafistes dont certains ont, par la suite, participé à l'assassinat des touristes français, oubliant que sous la présidence de Sidi Ould Cheikh Abdallahi, les institutions fonctionnaient normalement, chacune bien cantonnée dans son domaine de compétence : le Gouvernement gouvernait, les assemblées légiféraient, la justice jugeait. C'est donc cette dernière qui, en toute indépendance, a pu décider la libération des personnes qui devaient l'être.

Cependant, rares étaient ceux qui pouvaient comprendre tout cela. Les agitateurs ont donc pratiqué l'amalgame afin d'ancrer l'idée que le Président conduisait le pays à la catastrophe.

Parallèlement, pourtant, il s'était créé une situation de confiance et de sérénité jamais connue auparavant en Mauritanie. Pour la première fois, les libertés démocratiques étaient accordées aux populations. La presse était libre, aucun journaliste n'était censuré, aucune parution contrariée, aucune formation politique interdite, aucune organisation de la société civile refusée. Les débats contradictoires étaient quotidiens, et tous les problèmes, de quelque nature qu'ils soient, pouvaient être débattus au Parlement, à la télévision ou à la radio. L'Assemblée nationale et le Sénat débattaient librement et faisaient montre de toute leur indépendance vis-à-vis du pouvoir exécutif. La justice menait ses activités sans aucune interférence du pouvoir. Le Président prenait en mains deux problèmes fondamentaux qui minaient la vie des populations, celui de l'esclavage et celui des déportés victimes des événements de 1989. Lorsqu'il a osé en parler et proposer des solutions, osé faire adopter une loi incriminant l'esclavage, osé faire accepter par l'opinion le retour des déportés, cela a fait trembler beaucoup de gens, peu habitués à voir tant de libertés, mais enclins, au contraire, à exercer le pouvoir de manière unilatérale. Une démocratie véritable, sans démagogie : voilà ce qui dérangeait certains, notamment le général Abdelaziz, lequel a mené toute sa carrière, pendant deux décennies, sous les régimes les plus dictatoriaux qu'ait connus la République.

L'objectif du général était de parvenir à un changement par des voies démocratiques, du moins en apparence. Il fallait donc que la révolte vienne du Parlement, et que la demande de destitution du chef de l'État vienne des parlementaires. C'était oublier la nature présidentielle de notre régime, qui ne donne pas une telle compétence au Parlement. Les futurs putschistes avaient donc prévu d'ouvrir les portes de la Présidence à une foule qu'ils auraient manipulée, puis de faire intervenir le général Abdelaziz pour destituer le chef de l'État. Ce dernier a pris les devants et décidé de limoger – de manière certes un peu rocambolesque – quatre officiers supérieurs de l'armée. Il faut dire que pour rassurer les députés inquiets à l'idée de perdre leur siège, le général n'avait pas fait mystère de son intention d'empêcher le Président de la République de dissoudre l'Assemblée nationale : tout décret allant dans ce sens aurait été intercepté avant même d'être rendu public à la télévision et à la radio.

La décision du Président de le renvoyer a été, pour le général, l'initiative de trop : il y a répondu dès le lendemain par le coup de force qui l'a amené au pouvoir. Le Président est aujourd'hui en détention. Des membres du Gouvernement, arrêtés avec lui, ont été élargis par la suite ; le Premier ministre, quant à lui, a été placé en résidence surveillée, à quelque 700 kilomètres de Nouakchott. Telle est la situation actuelle.

D'abord soucieux d'obtenir un changement de Président par voie parlementaire, le général avait suscité le vote d'une motion de censure par l'Assemblée nationale. Je suis alors personnellement intervenu, en tant que président de cette institution, pour tenter d'arranger les choses. Lorsque le général est venu me voir, je lui ai donné mon opinion sur ses agissements. Je lui ai dit qu'il n'avait pas respecté son obligation de réserve ; qu'il n'avait pas le droit de faire étalage de ses opinions en public, et surtout pas de rencontrer les parlementaires afin de susciter une révolte contre le Gouvernement – c'était contraire à tous les usages. Je lui ai rappelé que le gouvernement nommé par le Président de la République l'avait été dans les formes constitutionnelles normales et dans le cadre des attributions conférées à ce dernier, qui était libre de nommer qui il voulait.

Lui qui n'avait pas hésité, à la suite du coup d'État de 2005, dont on sait qu'il était déjà l'auteur, à confier discrétionnairement les rênes de l'État à Ely Ould Mohamed Vall, fidèle bras droit du Président déchu Maaouiya Ould Sid'Ahmed Taya, pour assurer le succès de ses menées, pouvait concéder au Président régulièrement et légalement élu le droit de nommer qui il voulait au Gouvernement, lui fis-je valoir.

Je lui dis encore que je préférais que mes collègues députés votent une motion de censure contre le Gouvernement, considéré comme responsable de tous ces problèmes, plutôt que de laisser le Président seul face à eux, contraint, le pistolet sur la tempe, d'annuler aujourd'hui un décret qu'il a pris hier. Combien de rois, d'empereurs, de présidents ont été amenés à revenir sur des décisions qui n'étaient pas bonnes, m'a-t-il répondu, disant préférer cela au vote d'une motion de censure qui créerait une division au sein de l'Assemblée, en contradiction avec ses accusations d'obstruction au fonctionnement normal des institutions. Ce sont pourtant bien ses manipulations qui sont à l'origine de cette motion de censure. Contraint et forcé, le Président a donc signé le décret destituant le Gouvernement et nommant un nouveau gouvernement.

Pour ma part, me trouvant, au moment du coup d'État, à plus de mille kilomètres de Nouakchott, ce n'est que le surlendemain que j'ai pris contact avec le général Ould Abdelaziz. Celui-ci m'a reçu au palais présidentiel, où il s'était déjà installé. Je lui ai fait valoir qu'il mettait le pays dans une situation extrêmement difficile, qui le plaçait dans cette alternative : soit il acceptait tout de suite que le Président de la République soit rétabli dans ses fonctions, lui et ses amis obtenant en retour toutes les garanties voulues ; soit il conduisait à son terme la logique du coup d'État, suspendait la Constitution, dissolvait les chambres, interdisait toute activité politique aux partis existants, assumant ainsi toutes les responsabilités d'un dictateur militaire. En revanche, en ma qualité de président de l'Assemblée nationale, je n'acceptais pas que le maintien des chambres serve à habiller d'une apparence de légalité le viol de la Constitution que constitue la mise à l'écart du Président de la République. Je lui ai ainsi fait savoir mon opposition catégorique au coup d'État, avant de réunir le lendemain le bureau de l'Assemblée pour lui faire part de ma position et de rendre publique celle-ci.

Notre deuxième entretien a eu lieu à la veille de la nomination de son Premier ministre, alors qu'il me téléphonait pour connaître mon opinion à ce sujet. Je lui ai dit que ma position était celle que je lui avais fait connaître dès le départ et que ni moi ni aucun responsable de mon parti n'étions prêts à entrer dans un gouvernement que nous dénoncions comme issu d'un coup d'État.

Situation inédite en Mauritanie, dès l'annonce du coup d'État, quatre partis politiques parmi les plus influents se sont unis pour s'y opposer par tous les moyens démocratiques à leur disposition : déclarations, manifestations, prises de contact avec tous les démocrates et les progressistes à travers le monde. Tel est le combat que nous sommes en train de mener et que nous comptons poursuivre, en dépit de l'opposition de la junte, qui vient de nous interdire de manifester. Cette interdiction s'ajoute à la monopolisation des médias publics, de la radio, de la télévision, auxquels nous n'avons plus accès, alors que les attaques contre nous y sont incessantes. Tout « faux pas » peut nous valoir la prison : un ancien ministre vient ainsi d'y être jeté pour avoir exprimé son opinion sur les antennes de la télévision. C'est à une véritable « chasse à l'homme » que nous assistons actuellement, à une vaste campagne de dénigrement, prélude à une large épuration des opposants. Tout cela infirme les déclarations tendancieuses par lesquelles le général prétend souhaiter consolider la démocratie, quand c'est la dictature qu'il impose au pays.

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