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Intervention de Messaoud Ould Boulkheir

Réunion du 4 novembre 2008 à 11h45
Commission des affaires étrangères

Messaoud Ould Boulkheir, président de l'Assemblée nationale de la République islamique de Mauritanie :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, permettez-moi tout d'abord de vous dire tout le plaisir et toute la fierté qui m'animent en cette occasion exceptionnelle où j'ai l'insigne privilège d'être reçu en ce prestigieux palais de la nation, le Palais bourbon, siège de l'auguste assemblée nationale française, la plus célèbre d'entre toutes. Ce plaisir et cette fierté sont à peine tempérés par la grande émotion qui m'étreint et par le profond regret que j'éprouve au constat que cette première rencontre entre ma modeste personne et ce haut lieu, symbole de la France de 1789, intervient bien malheureusement consécutivement à la remise en cause, chez moi, en République islamique de Mauritanie, de ce que 219 ans de luttes s'étaient acharné à construire : les droits de l'homme et du citoyen et la démocratie.

Aussi, qu'il me soit d'entrée de jeu permis, monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, de vous remercier du fond du coeur, au nom du peuple mauritanien et en mon nom personnel. Ces remerciements vont d'abord à l'honorable président de votre illustre institution, M. Bernard Accoyer, pour m'avoir très solennellement accueilli hier et pour m'avoir accordé un entretien des plus utiles, à vous-même, honorable président Poniatowski, ainsi qu'à tous les respectés membres de votre célèbre commission, la Commission des affaires étrangères, pour cette possibilité de partage que vous m'offrez. Il va sans dire qu'à travers vous, très dignes représentants du peuple, c'est la France et tous les Français que nous respectons et saluons.

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, depuis le 6 août 2008, la République islamique de Mauritanie et ses institutions sont prises en otage par l'ex-chef de la sécurité présidentielle, le général Mohamed Ould Abdelaziz, dans l'unique dessein de donner un coup d'arrêt fatal à un processus démocratique pourtant unanimement salué à l'intérieur comme à l'extérieur du pays, et dont les premières réalisations avaient été la consolidation de l'unité nationale, souvent remise en cause par le passé, l'adoption d'une loi incriminant l'esclavage, la réouverture du dossier des tragiques événements de 1989 et l'organisation du retour des déportés – avec des perspectives réelles de réparation de tous les préjudices subis par les victimes et leurs ayants droit.

Cette rapide et spectaculaire remise en cause de privilèges indus mais plusieurs fois centenaires a profondément perturbé les adversaires de la démocratie, lesquels trouvent difficilement à s'épanouir dans un environnement sans détenus politiques ni censure. Dérangés dans leur coupable quiétude par la possibilité d'accéder librement aux médias d'État et par l'organisation de débats contradictoires sans tabou, ils ont ressenti la nostalgie du temps où l'opposition était muselée et le Parlement inféodé à l'exécutif. Ils souhaitaient une dictature absolue, dont les premiers symptômes n'ont d'ailleurs pas tardé à se manifester : arrestation et séquestration du premier Président de la République véritablement élu de façon démocratique ; mise en résidence surveillée du Premier ministre ; dysfonctionnements de l'Assemblée nationale et du Sénat, placés sous la tutelle d'une « super-chambre » dotée de « pouvoirs constitutionnels », le Haut conseil d'État ; déstructuration complète de l'administration, dont l'expertise est délaissée au profit d'un clientélisme criant ; suppression des libertés collectives et individuelles de tous ceux qui s'opposent au coup d'État ; mise en oeuvre de campagnes acharnées de dénigrement et de calomnies contre tous les opposants de marque ; gabegie et malversations érigées en système afin de fidéliser les partisans du coup d'État …

Face à cette situation, l'opposition s'est aussitôt constituée au sein du Front national pour la défense de la démocratie – FNDD –, qui regroupe l'essentiel des forces politiques réellement représentatives, puisqu'ayant pignon sur rue. Ce front s'oppose énergiquement au coup d'État et exige la restauration inconditionnelle de l'ordre constitutionnel par le retour dans ses fonctions du Président de la République, Sidi Ould Cheikh Abdallahi.

Sur le plan externe, on note avec satisfaction la réprobation quasi unanime dont fait l'objet le coup d'État, rejeté par l'opinion internationale en raison du tort considérable qu'il porte à l'expérience démocratique mauritanienne, naguère considérée comme exemplaire en Afrique et dans le monde arabe.

Ce coup d'État est considéré en Mauritanie comme la plus grave atteinte aux intérêts supérieurs du pays. En effet, le retour de la démocratie, avec le respect de la Constitution et des lois pour seule référence, avait commencé à être perçu comme le plus sûr gage de résistance aux démons du tribalisme, du régionalisme, de l'ethnicisme et du racisme qui nous minent à l'intérieur, et comme le meilleur bouclier contre les appétits extérieurs, souvent aiguisés par nos querelles intérieures.

Pour toutes ces raisons, pas plus que les Mauritaniens eux-mêmes, leurs amis de l'extérieur – l'Union africaine, l'Union européenne et plus particulièrement la France – ne doivent céder au chantage de la force armée ni invoquer les risques de famine encourus par les populations pour se taire et ne rien faire. Ce serait, ce qu'à Dieu ne plaise, d'une part briser l'espoir de tout un peuple et, d'autre part, pour l'Europe et pour la France, perdre à jamais toute crédibilité auprès de tous les progressistes d'Afrique et du monde arabe. Ce serait donc trop cher payer les ambitions personnelles d'un homme assoiffé de dictature.

Pour ma part, en vertu des charges qui sont les miennes, et soucieux, avant tout, des intérêts majeurs du pays, j'ai suggéré une solution de sortie de crise qui tente de concilier, malgré les difficultés, les positions des protagonistes, légalistes et putschistes. Tout en jugeant inconcevable que le Président de la République ne soit pas rétabli dans ses fonctions constitutionnelles, et en dehors d'un passage de témoin qui serait opéré par lui-même, je concède ainsi la possibilité d'organiser, avec le libre consentement du chef de l'État, une élection présidentielle anticipée. Or, à l'intérieur comme à l'extérieur, le seul refus opposé clairement à cette proposition vient de la junte militaire – preuve supplémentaire, s'il en était besoin, que le général est venu au pouvoir pour le conserver. Tous ensemble, notre devoir est de le convaincre que cela n'est pas possible et ne le sera jamais. Il y va de l'avenir de la démocratie en Afrique et dans le monde arabe, et du rôle d'avant-garde joué par la France, arraché de haute lutte depuis 1789, et qu'elle se doit de conserver contre vents et marées.

Je réitère une fois encore mes respects et toute ma gratitude, et me tiens à votre disposition pour répondre à vos questions.

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