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Intervention de Jean-Jacques Manach

Réunion du 15 octobre 2008 à 10h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Jean-Jacques Manach :

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, lors de notre audition par votre commission l'an passé, nous étions, comme dirait un marin, dans le pot au noir. Depuis, les affaires se sont précisées par la publication du Livre blanc, document bâti sur des considérations financières issues de la RGPP. Ce cheminement, qui a conduit le Premier ministre à présenter la nouvelle carte militaire le 24 juillet, s'est fait sans concertation sérieuse avec les organisations syndicales ni avec les agents qu'elles représentent.

Partant de ce constat, nous ne pouvons qu'apporter une analyse a posteriori, et elle sera sans complaisance. Nous l'avons dit et redit à maintes reprises : la CFDT est favorable à la modernisation de nos politiques publiques. Mais encore faudrait-il que celles-ci soient définies et construites avec ceux qui les mettent en oeuvre, ce qui est loin d'être le cas.

En ce qui concerne l'aspect capacitaire, en voyant les hommes politiques si prompts à trouver des centaines de milliards d'euros pour sauver un système financier bancal, je ne peux m'empêcher de penser à nos soldats, qui subissent les déficits accumulés par des années de négligence. Certaines comparaisons font mal. Cet aspect des choses, soyez-en assurés, ne manquera pas d'être relevé par ceux qui garantissent chaque jour notre sécurité – même si, par nature, ils n'ont pas la parole.

La recherche effrénée d'économies de bouts de chandelle entraîne des situations surréalistes ; le ministère en est conduit à externaliser à tout va, perdant ainsi sa richesse humaine. J'y reviendrai.

Après les multiples restructurations des années passées, ce nouveau plan fait plus que tailler dans nos capacités : il en attaque le coeur, la partie dite opérationnelle de nos moyens. Celle-ci se réduit de plus en plus, au nom d'une logique que même la Grande Bretagne commence à abandonner, devant les surcoûts de plus de 30 % qu'elle entraîne pour certaines fonctions.

J'attire aussi votre attention sur le montant affecté aux OPEX qui, chaque année, est sous-évalué afin de faire rentrer le budget dans l'épure fixée par Bercy. L'année 2009 ne fera sans doute pas exception à la règle : comme chaque année, le surcoût sera dilué, dans le fonctionnement ou dans les programmes.

Pour ce qui ne relève pas de l'opérationnel, je ne prendrai qu'un exemple, celui de l'habillement. Dans ce domaine, l'État nie sa responsabilité sociale, car les uniformes sont fabriqués au Sri Lanka via une société belge, laquelle foule du pied les conventions fondamentales de l'OIT. Lorsque nous vous avons interpellé il y a deux ans sur ce problème, cela ne vous a pas ému outre mesure. Ce silence n'a pu qu'encourager ce patron voyou, puisqu'après avoir licencié 518 salariés, il s'acharne maintenant sur leurs représentants syndicaux. Une fois de plus, monsieur le président, nous vous demandons de faire cesser ces pratiques intolérables.

J'en viens maintenant à la RGPP, ou plutôt à ses objectifs de réduction d'emploi. Nous sommes bien loin de ses ambitions initiales consistant à revoir des politiques publiques afin de les moderniser et de les adapter aux besoins de nos concitoyens et de la nation.

La RGPP, aujourd'hui, c'est le non-remplacement d'un départ de fonctionnaire sur deux et l'externalisation maximale. C'est ainsi que le chiffre de 54 000 suppressions d'emplois – hors externalisations, s'entend – s'est retrouvé dans le Livre blanc. Les informations que nous avons pu recueillir révèlent pourtant l'impossibilité d'atteindre cet objectif, car le gouffre est énorme entre l'exercice comptable que représente l'audit RGPP et la réalité des faits. Cette obstination à atteindre un objectif inatteignable fait courir à notre appareil de défense un risque maximal. Elle aura des conséquences désastreuses, irrémédiables.

Ce projet apparaît de plus en plus comme un exercice hasardeux, car les coûts induits par les restructurations n'ont vraisemblablement pas été mesurés à leur juste niveau. Comme le prouvent les comparatifs que nous avons pu faire sur plusieurs établissements, au final, les gains espérés se transformeront très probablement en surcoûts.

Il est illusoire de croire que, demain, la suppression de 54 000 emplois au ministère de la défense dégagera des marges de manoeuvre significatives pour la réalisation des équipements. Et ce n'est pas la future loi de programmation militaire qui nous fera changer d'avis : nous en avons trop connu qui n'étaient pas respectées. Je sais ce que vous allez nous répondre : cette fois-ci, ce ne sera pas la même chose. Mais c'est exactement ce que nous avons entendu les fois précédentes. Je ne fais pas ici le procès de votre bonne foi ; je mets simplement en exergue la fragilité d'un dispositif reposant sur les gains illusoires d'une pseudo-modernisation et d'une politique dans laquelle le dogme a pris le pas sur le rationnel et le pragmatisme.

Quant au dispositif d'accompagnement social, nous ne pouvons qu'être choqués par son caractère inégalitaire. En outre, si les mesures d'accompagnement social ont été « bleuies » par Matignon, leur réalisation reste conditionnée, entre autres, par le vote de la loi de programmation militaire. Compte tenu du calendrier parlementaire, nous doutons de la possibilité de les mettre en oeuvre dès 2009.

Au-delà des mesures financières, nous attirons votre attention sur l'absence d'un reclassement cohérent des personnels civils au sein du ministère. Là encore, une véritable modernisation aurait dû se traduire par la mise en place d'une politique de gestion des emplois et des compétences, afin d'éviter l'exacerbation des corporatismes et la captation d'emplois de soutien non opérationnels par des militaires dont ce n'est pourtant pas le métier.

Dans ce domaine également, il faudra nous expliquer la logique de gain financier qui inspire votre politique, dès lors que l'on intègre, par exemple, le coût des pensions.

De même, dans un ministère dont l'objectif affiché est de parvenir à 40 % d'activité de soutien, comment arrive-t-on à une proportion d'un civil pour plus de trois militaires ? Où est la logique RGPP là-dedans ?

Il est vrai que le calendrier adopté pour la réforme ne s'embarrasse guère de telles considérations. Pour autant, cette frénésie à faire du chiffre entraînera son retour de bâton. Déjà, vous avez pu mesurer l'hostilité des personnels, qui ont manifesté le 11 octobre dans les rues de Paris. Mais vous aurez également à expliquer, en tant qu'élus de la représentation nationale, ce qui vous aura amené à voter un budget synonyme de moins de défense – et non de mieux de défense, comme cela devrait être le cas.

Le budget de la défense s'inscrit de fait dans la loi de programmation militaire. Or non seulement celle-ci n'a pas été examinée mais, pire, personne ne connaît son contenu ni quelles en seront les conséquences pour les ressources humaines du ministère de la défense. À lui seul, un tel manque de prospective ne peut que nous amener à juger négativement ce projet de budget.

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