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Intervention de Jean Jouzel

Réunion du 10 octobre 2007 à 10h00
Groupe de suivi du « grenelle de l’environnement

Jean Jouzel :

a expliqué que sa spécialité l'avait amené à réfléchir sur les problèmes de l'évolution future du climat dans le cadre du GIEC et à l'occasion de la coprésidence, avec Nicholas Stern, du groupe de travail n° 1 du Grenelle de l'environnement.

L'idée, répandue dans les pays développés, selon laquelle les pays émergents ne feront rien pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre est erronée. La Chine commence déjà à progresser, par exemple. Certains prétendent encore que la France peut continuer ses émissions puisque celles-ci ne représentent que 1 % des émissions mondiales. Le raisonnement est aberrant, y compris, comme l'a démontré Nicholas Stern, du point de vue du développement économique.

En matière de recherche sur le climat, on distinguera deux aspects : la recherche fondamentale, toujours extrêmement importante : la recherche sur les impacts, qui est fortement interdisciplinaire. Ainsi, avec une diminution des précipitations de 30 % et l'augmentation de l'évaporation, les paysages de la France vont profondément changer dans la deuxième partie du xxie siècle. Les conséquences sur la santé doivent être étudiées. De même, le GIEC a estimé qu'une élévation moyenne de 50 cm du niveau des eaux obligerait 200 millions d'habitants de quitter l'endroit où ils vivent. Certaines régions deviendront inhabitables, même si elles ne sont inondées que deux ou trois jours par an.

Les recherches portent également sur l'histoire du climat. Ainsi, il y a 120 000 ans, le Groenland a probablement contribué à une élévation de deux à trois mètres du niveau de la mer. Le réchauffement observé était dû à la position de la Terre sur son orbite.

Au total, on défendra sans réticence l'objectif du facteur 4 pour la France.

À plus longue échéance, même si l'on admet que le climat aura été stabilisé d'ici à la fin du siècle, le niveau de la mer continuera de monter. La part de ce phénomène imputable à la dilatation de l'océan, de l'ordre de 30 centimètres au cours du xxie siècle, se poursuivra dans les mêmes proportions au cours des siècles suivants. Le risque existe aussi qu'une partie des glaces du Groenland continue de disparaître. Quant à l'hypothèse, heureusement beaucoup moins probable, d'une fonte des glaces de l'Antarctique Est, elle se traduirait par une élévation de 60 mètres du niveau de la mer.

Pour espérer une stabilisation de l'effet de serre à la fin du siècle, il faut que les émissions descendent très rapidement à partir de 2020. Cela n'empêchera pas l'élévation quasi mécanique du niveau de la mer, due à l'inertie de l'océan. On pourrait atteindre des niveaux de quatre à cinq mètres. Notre action dans les prochaines décennies sera décisive sur ces phénomènes.

S'agissant du stockage du gaz carbonique, il faut signaler que la capacité de piégeage des océans et des végétaux risque de se stabiliser, voire parfois de s'inverser. Le réchauffement de l'eau entrave les échanges entre les couches de surface et les couches profondes de l'océan. Or, si les eaux de surface ne plongent pas, elles ne peuvent entraîner le gaz carbonique dans le fond. En un certain sens, ce phénomène est bénéfique car l'acidité de l'océan a déjà notablement augmenté, avec des effets importants sur la faune et la flore marines. Les projets visant à augmenter l'absorption par le phytoplancton ou grâce à l'installation de grands tuyaux entre les eaux de surface et les eaux profondes sont de fausses solutions.

En revanche, il faut envisager sérieusement et rapidement le piégeage et le stockage du gaz carbonique à la sortie des grandes centrales, en le renvoyant dans le sous-sol.

L'étude glaciologique du Groenland a mis en évidence l'instabilité du climat de cette région par le passé. On a ainsi costaté des réchauffements de l'ordre de 15 degrés en quelques dizaines d'années, avec des phases de refroidissement un peu plus lentes. Ces variations ont provoqué des arrêts, suivis de reprises, du Gulf Stream au rythme des extensions et des débâcles de la calotte glaciaire. En effet, lorsque de l'eau douce issue de la fonte se trouve à la surface de l'océan, le courant ne peut plus plonger à son arrivée près de la Norvège, si bien que la circulation océanique s'interrompt.

La fonte actuelle du permafrost et des glaces côtières du Groenland, ainsi que l'augmentation des précipitations dans le Nord de l'Europe, risquent de produire un tel effet à échéance de plus d'un siècle. Une simulation prenant en compte l'arrivée d'eau douce du Groenland et un arrêt du Gulf Stream fait apparaître un léger refroidissement au milieu de l'Atlantique Nord et une petite atténuation du réchauffement dans l'Ouest de l'Europe. Toutefois ce ne sont que des variations régionales, le réchauffement global ne présentant pas de modification notable.

Il y a 8 200 ans, la fin de la fonte de la calotte de l'hémisphère Nord a provoqué un tel phénomène, suivi d'une reprise du Gulf Stream au bout d'une centaine d'années. Toujours est-il que l'un arrêt du Gulf Stream, loin de résoudre les problèmes, viendrait au contraire s'y ajouter. Cette perspective devrait nous inciter encore plus à agir pour que le climat évolue le moins possible.

Le président Patrick Ollier a souligné que c'est l'une des premières fois que la commission des affaires économiques entend des spécialistes exposer précisément ces perspectives inquiétantes.

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