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Intervention de Nicole Ameline

Réunion du 8 juillet 2009 à 9h45
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaNicole Ameline, rapporteure pour avis :

Le projet qui vous est soumis pour avis est très important, tant il est vrai que la démocratie se construit sur le droit et que l'édification d'un ordre mondial stable, pacifique et lui-même fondé sur le droit est de l'intérêt de l'ensemble des nations.

Un pas essentiel en ce sens a été franchi avec l'adoption à Rome, le 17 juillet 1998, de la convention portant statut de la Cour pénale internationale, dit statut de Rome, et l'installation officielle de la Cour le 11 mars 2003. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, déjà, le traité de Versailles mettait en accusation Guillaume II pour « offense suprême contre la morale internationale et l'autorité sacrée des traités » et prévoyait son jugement par un tribunal spécial. L'idée d'un tel tribunal ne s'est finalement concrétisée qu'avec la mise en place des tribunaux de Nuremberg et de Tokyo à l'issue de la Seconde Guerre mondiale et, plus récemment, avec la création des tribunaux spéciaux pour le Rwanda et l'ex-Yougoslavie. Aboutissement de ce mouvement, la création de la Cour pénale internationale a une très grande portée symbolique, même si des États aussi importants que la Chine, l'Inde, les États-Unis et Israël ne l'ont pas soutenue.

La France, très engagée dans ce domaine, a joué un rôle diplomatique particulièrement actif dans la mise en place de la CPI et l'affirmation des droits des victimes. En outre, elle fait partie des premiers financeurs de la Cour, dont elle prend en charge près de 10 % du fonctionnement annuel, soit un peu plus de huit millions d'euros. À ce jour, 108 États sont parties au statut de Rome.

La Cour est compétente pour les crimes les plus graves, commis après l'entrée en vigueur de son statut. Elle est compétente pour les crimes commis sur le territoire d'un État partie ou par un ressortissant d'un tel État. Le Conseil de sécurité des Nations unies a un droit de saisine pour des faits ne remplissant aucune de ses conditions. La Cour n'a pas pour objet de se substituer aux systèmes nationaux de justice pénale, mais de les compléter. Sa création a permis d'ouvrir des droits nouveaux aux victimes, qui, pour la première fois devant un tribunal international, ont la possibilité de s'associer, de participer à la procédure et de demander réparation – ce qui consacre à la fois leur place dans le droit international et le nouveau concept onusien qu'est la responsabilité de protéger. La Cour peut prononcer des peines d'emprisonnement pouvant aller jusqu'à la perpétuité.

Jusqu'à ce jour, la Cour a été saisie des dossiers du Congo, de l'Ouganda, de la République centrafricaine et du Darfour, les trois premiers par les États eux-mêmes et le quatrième par le Conseil de sécurité. Douze mandats d'arrêt ont été émis, dont quatre ont été exécutés. La Cour examine également des faits liés à la situation en Côte d'Ivoire, en Géorgie, en Colombie, en Afghanistan et au Kenya.

Ce projet de loi vise à apporter à notre droit pénal interne les adaptations qu'impose l'institution de la CPI.

Actuellement, le droit français ne reconnaît pas les crimes de guerre en tant que tels. Il reconnaît des actes isolés comme la torture ou le viol, mais sans prendre en compte le contexte dans lequel ils ont été commis ; seuls les crimes contre l'humanité font l'objet de dispositions spécifiques. En reconnaissant la spécificité des crimes de guerre, ce projet met en oeuvre, soixante ans après, l'essentiel des stipulations des conventions de Genève de 1949, comblant ainsi une lacune importante.

A l'article 1er, il incrimine la « provocation à commettre un génocide ». Cependant, si le code pénal donne du génocide une définition plus large que celle retenue par le statut de Rome, en revanche il subordonne sa reconnaissance à l'existence d'un plan concerté, alors que le statut de Rome évoque une simple intention. Je vous proposerai de supprimer ce critère, lié à l'histoire de la Seconde Guerre mondiale, qui a été maintenu par le Sénat, car il risque de favoriser l'impunité d'auteurs de faits qui sont réellement constitutifs d'un génocide mais dont on ne peut prouver qu'ils relèvent d'un plan concerté. En réalité, même si le plan n'est pas matérialisé, son existence se déduit de l'ampleur du crime.

Par ailleurs, alors que la jurisprudence pénale internationale considère que l'incitation à commettre un génocide est constitutive d'un crime, qu'elle soit ou non suivie d'effet, une claire distinction est faite dans le projet entre la provocation suivie d'effet, punie de la réclusion criminelle à perpétuité, et la provocation non suivie d'effet, punie de sept ans d'emprisonnement et de 100 000 euros d'amende. Cette différence est conforme à la logique de notre droit pénal et de la distinction qu'il opère entre crimes et délits.

L'article 2 introduit dans le code pénal des dispositions relatives aux crimes contre l'humanité autres que le génocide, tels que la déportation, la réduction en esclavage ou la torture. La question de son exhaustivité a fait débat au Sénat, mais celui-ci n'a finalement pas repris la notion d'esclavage sexuel, alors qu'elle figure dans le statut de Rome. Eu égard à la situation des femmes dans les conflits modernes et à l'engagement de la France sur ce thème, je vous proposerai de réintroduire cette incrimination spécifique.

Le projet contient d'autres avancées notables en matière de crimes contre l'humanité, en particulier, à l'article 3, l'incrimination de complicité d'un supérieur hiérarchique dans la commission d'un tel crime.

Concernant les crimes et délits de guerre, le projet vise à insérer un livre nouveau dans le code pénal, afin de créer des infractions spécifiques. Le Sénat a renforcé le texte gouvernemental sur certains points, notamment en relevant de quinze à dix-huit ans l'âge à partir duquel l'enrôlement d'enfants soldats ne constitue plus un crime de guerre, et en introduisant des dispositions nouvelles relatives à la conduite des conflits.

S'agissant des « crimes et délits de guerre propres aux conflits armés internationaux », le texte punit de vingt ans de réclusion criminelle l'utilisation d'une personne protégée comme « bouclier humain », l'enrôlement forcé et le déplacement de population.

Enfin, le texte prévoit des aggravations de peine pour certains crimes de guerre, l'incrimination de complicité d'un supérieur hiérarchique et l'allongement des délais de prescription. Il ne va pas cependant jusqu'à l'imprescriptibilité des crimes de guerre, maintenant ainsi la nécessaire distinction entre ces derniers et les crimes contre l'humanité.

Mais la principale innovation de ce texte, introduite par le Sénat, est la compétence extraterritoriale, dérogatoire à nos règles ordinaires de compétence, mais indissociable de l'application attendue du statut de Rome.

Selon les règles habituelles, il faut, pour que les juridictions françaises soient compétentes, ou bien que l'infraction ait été commise sur le territoire de la République, ou bien que l'auteur ou la victime de l'infraction soit français. C'est ce que l'on appelle le rattachement territorial ou personnel. Par exception à ce principe, certaines conventions internationales reconnaissent aux tribunaux français une compétence universelle, quel que soit le lieu de commission de l'infraction ou la nationalité de son auteur ou de la victime. Cette compétence universelle est subordonnée à la seule condition que le coupable présumé se trouve sur le territoire français. Elle existe d'ores et déjà dans notre droit sur le fondement des conventions sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et sur la répression du terrorisme, et elle sera prochainement reconnue également en matière de disparitions forcées.

Le projet du Gouvernement ne prévoyait pas de dispositif de ce type pour les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre. Le Sénat l'a introduite dans un nouvel article 7 bis, mais en la subordonnant à quatre conditions cumulatives : la personne doit résider habituellement sur le territoire de la République – le critère de résidence habituelle est donc substitué au critère de présence, retenu ailleurs dans notre droit ; les faits qui lui sont reprochés doivent être punis par la législation de l'État où ils ont été commis – c'est le principe de la double incrimination des faits – ; les poursuites ne peuvent être engagées que sur la requête du ministère public ; enfin, la CPI doit avoir expressément décliné sa compétence.

Je vous proposerai tout d'abord de revenir au critère de présence. Il serait en effet pour le moins paradoxal de rester, dans les critères de poursuite des crimes contre l'humanité et crimes de guerre, en deçà de ce que nous avons prévu par exemple en cas d'actes de torture. Notre droit national serait ainsi en retrait par rapport aux principes que la France proclame sur la scène internationale, ainsi que par rapport aux règles retenues dans d'autres pays européens, ce qui entraînerait sur ce sujet majeur une insécurité juridique dommageable.

En deuxième lieu, je considère que la double incrimination pose problème car les pays qui n'incriminent pas ce type d'actes sont probablement les plus susceptibles d'être concernés par ces infractions.

Troisièmement, j'estime que le fait de confier le monopole des poursuites au ministère public crée une inégalité entre les victimes, les droits des victimes de crimes de guerre ou de crimes contre l'humanité étant ainsi moindres que ceux, par exemple, des victimes de tortures, qui peuvent se constituer partie civile pour mettre en mouvement la justice. Je ne crois pas qu'il faille craindre que la suppression de ce monopole entraîne une inflation des plaintes car en une dizaine d'années, quinze plaintes seulement ont été déposées et deux procès tenus sur la base de la convention internationale contre la torture. En revanche, priver les victimes du droit d'actionner la justice me paraîtrait contraire à ce que proclame la France dans le monde.

S'agissant enfin de la répartition des compétences, il me semble logique que les tribunaux français puissent exercer leur compétence, à moins que la CPI ne soit elle-même saisie de l'affaire. Le fait d'exiger de la CPI qu'elle décline expressément sa compétence ne me paraît conforme ni à la lettre, ni à l'esprit du statut de Rome ; il suffit que le ministère public s'assure auprès de la CPI que l'affaire n'est pas traitée à son niveau. Il n'y a pas à établir un principe de subsidiarité au profit de la CPI, qui sera toujours compétente pour les crimes les plus graves, car elle ne serait pas en mesure de traiter l'ensemble des contentieux.

Il est donc important de reconnaître une compétence aux juridictions françaises, tout en l'encadrant davantage que celle qui a été reconnue aux tribunaux espagnols. Modifié par les amendements que je vous proposerai, ce texte permettra à la France de conserver une grande marge d'appréciation quant à la légitimité et l'opportunité des poursuites, tout en démontrant sa volonté d'agir contre l'impunité.

Il s'agit ici d'action préventive : à travers l'institution de la Cour pénale internationale et ses effets en droit interne, pour la première fois un système de jugement est établi préalablement aux crimes visés. Ce dispositif est un coup porté contre la culture de l'impunité au plan international, et la France ne serait pas fidèle à sa vocation si elle restait en retrait. Je vous propose donc de vous prononcer en faveur de l'adoption de ce projet, après introduction de quelques amendements.

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