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Intervention de Hervé Gaymard

Réunion du 25 mars 2009 à 10h00
Commission des affaires culturelles, familiales et sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaHervé Gaymard :

Vous m'avez demandé, monsieur le président, si le système qui s'applique au livre doit être étendu à d'autres secteurs de l'économie. Le livre est un produit très spécifique, qui se situe dans une économie de prototypes : par définition, chaque livre est unique et on ne sait pas s'il rencontrera ou non son lecteur. Chaque succès ou chaque échec est le résultat d'une alchimie complexe qu'on ne peut pas anticiper. Si des systèmes de prix unique ont été mis en place dans quatorze pays sur vingt-cinq que nous avons étudiés, c'est parce qu'on a estimé qu'il fallait préserver ce modèle d'unicité et de création et que la « compétitivité » devait s'exercer sur d'autres terrains que sur celui du prix – sur ceux du conseil et de la diversité de l'offre. Je ne suis donc pas certain que ce qui a été fait pour le livre soit transposable utilement à d'autres secteurs de l'économie.

On aurait certes pu l'imaginer, voici une trentaine d'années, pour d'autres secteurs de l'économie culturelle, comme celui du disque, mais ce n'était pas à l'époque, me semble-t-il, ce que demandaient les industriels du disque et les disquaires. Ces derniers, qui étaient encore nombreux dans nos communes, ont du reste presque complètement disparu aujourd'hui et l'on trouve des rayons de disques dans les supermarchés et dans certaines librairies.

Monsieur Kert, votre question sur les délais de soldes rejoint la première remarque de M. Rogemont. Tout bien considéré, et sans conservatisme, il ne me semble pas utile de modifier des pratiques commerciales enracinées depuis maintenant près de 30 ans et qui donnent globalement satisfaction. Cela s'impose d'autant moins que la France se caractérise par une grande vitalité du livre de poche. On ne dit pas assez que, dans notre pays, le livre de poche publie des oeuvres très nombreuses, y compris des oeuvres difficiles, et que la deuxième vie du livre est souvent, en réalité, plutôt celle du livre de poche que celle du livre soldé. Ainsi, je viens d'acheter à la gare de Lyon, pour sept euros en collection de poche, la traduction française du livre remarquable de l'historien anglais Antony Beevor sur la guerre d'Espagne, que j'avais renoncé à acheter voilà deux ans lorsqu'elle était parue au prix de vingt-cinq euros. C'est donc encore mieux que le livre princeps soldé.

La question du trop grand volume de nouveautés est ancienne – le terme recouvrant, rappelons-le, aussi bien les ouvrages réellement nouveaux que les réimpressions. Le rapport que je vous présente aujourd'hui, qui sera publié dans quelques semaines par les éditions Gallimard, en coédition avec la Documentation française, sous forme d'un mariage entre le numérique et le papier – les annexes étant, comme je l'ai indiqué tout à l'heure, disponibles seulement sous forme numérique – citera des textes d'auteurs évoquant le livre.

Nous avons ainsi retrouvé un texte dans lequel Jacques Chardonne, éditeur et écrivain – associé sous son vrai nom de Boutelleau avec Maurice Delamain pour reprendre les éditions Stock et la librairie du même nom au Palais Royal, et l'un des auteurs favoris du président Mitterrand –, évoque, au milieu des années 1960, l'édition des années 1920 et 1930 et s'insurge devant le trop grand nombre de nouveautés et l'impossibilité pour les libraires de déballer les cartons. On trouve déjà les mêmes plaintes dans des textes du début du siècle. Les libraires se plaignent donc de cette masse et, en particulier, des offices d'actualités qui les submergent, chaque fois que se produit un événement géopolitique mondial ou qu'une personnalité vient à mourir, de livres qu'ils ne peuvent pas toujours vendre, qui leur imposent un surcroît de manutention et qui alourdissent leur trésorerie – même s'ils font travailler les entreprises de transports.

Tout le monde convient que certains aspects des relations entre éditeurs, diffuseurs et libraires doivent être revus. Ce travail doit être aidé par le booktracking, dont la mise en place, monsieur Herbillon, a tardé du fait sans doute de quelques pesanteurs naturelles qui ne sont pas propres au secteur du livre. Au demeurant, le système exige, pour fonctionner correctement, que 80 % au moins des points de vente soient équipés de terminaux, ce qui ne peut se faire que progressivement – il n'est opérationnel au Royaume-Uni que depuis deux ans. Le système fonctionne en outre en Australie et en Nouvelle-Zélande et il commence à se mettre en place en Italie, où le seuil de 80 % n'est pas encore atteint. Pour ce qui concerne la France, les spécialistes britanniques sont venus faire une démonstration devant la commission au Cercle de la librairie, à Paris, et le processus semble bien engagé. Dans un secteur qui se caractérise par des marges très faibles du fait de la multiplicité des intermédiaires et, face à la rareté des financements publics – limités, comme je l'ai dit, à quelques aides à la traduction et à la publication d'ouvrages difficiles – et à l'absence de recettes publicitaires, la réduction des taux de retour apporterait un soulagement financier bien venu à toute la filière.

Pour ce qui concerne les ouvrages étrangers, l'image de xénophobie que l'on associe volontiers à la France en matière culturelle est fausse : l'édition française publie beaucoup plus de traductions que ne le font d'autres pays. À l'inverse, la traduction des livres français à l'étranger, notamment dans le monde anglo-saxon, est un vrai problème et peut-être la future Commission des affaires culturelles de cette Assemblée pourrait-elle se pencher, avec la Commission des affaires étrangères, sur la question de la politique culturelle extérieure française – ce qui serait particulièrement opportun dans le contexte actuel. L'aide à la traduction d'ouvrages français à l'étranger doit assurément être développée.

Sur la question des droits d'auteur et du piratage, les chiffres sont, par définition, très difficiles à évaluer. Il semblerait que le piratage de livres concerne un peu plus de 20 % des droits d'auteur servis chaque année – ce qui est considérable –, mais cette statistique doit être prise avec beaucoup de précautions. En outre, le piratage concerne vraisemblablement plus les sciences humaines que la littérature générale.

Monsieur Rogemont, la lecture publique, qui faisait l'objet de votre deuxième remarque, est en effet un sujet d'une grande importance, qu'évoquait d'ailleurs aussi M. Herbillon. La question mériterait d'être traitée d'une manière distincte et il ne serait pas inutile que la Commission puisse auditionner, par exemple, le directeur du livre et de la lecture au ministère de la culture, qui a beaucoup travaillé sur ce sujet. De fait, le problème ne se résume pas aux horaires d'ouverture des bibliothèques. Une chose certaine est que l'on constate une baisse des pratiques de lecture dans les classes les plus populaires de la société. Les enquêtes de fréquentation font apparaître que ce sont les classes moyennes supérieures et les classes supérieures qui utilisent de plus en plus les bibliothèques publiques, ce qui n'était pas le cas voilà vingt ou trente ans. Le développement important de la lecture publique n'a pas été le fait des classes les plus modestes et une politique de reconquête de ce lectorat doit être mise en oeuvre.

Une autre question liée à la lecture publique est celle des appels d'offres pour les bibliothèques. Le rapport propose que le ministère de la culture organise une table ronde réunissant autour de cette question les libraires, les bibliothécaires et les collectivités locales, confrontés aux difficultés induites par les réformes successives du code des marchés publics et la non-pertinence du critère de prix dans une situation de prix unique.

Monsieur Roy, certains éditeurs de livres destinés à la jeunesse proposent déjà aux écoles primaires des offres groupées à des prix beaucoup plus compétitifs que les prix de vente publics. Votre remarque n'en est pas moins pertinente.

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