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Intervention de Jean Picq

Réunion du 22 juillet 2008 à 15h00
Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Jean Picq, président de la troisième chambre de la Cour des Comptes :

Ce travail que nous avons accompli – en moins de six mois – est en effet une « première » dans les relations entre la Cour des comptes et le Parlement, la commission des Finances ayant accepté de modifier son agenda afin de pouvoir disposer d'une base de travail solide fondée sur le contrôle des quatre sociétés dites de l'audiovisuel extérieur : CFI, TV5, RFI et France 24. Peut-être s'agit-il d'ailleurs d'une première application, par anticipation, du nouvel article 47-2 de la Constitution ?

Quatre aspects importants me semblent devoir être en l'occurrence soulignés.

Sur le plan budgétaire, tout d'abord, nous remarquons que la cherté d'une politique ne garantit pas la richesse d'une société. Les dotations de l'action audiovisuelle extérieure, en effet, ont augmenté sensiblement au cours des six dernières années. Le total des crédits des programmes 115 et 116, auquel s'ajoute le financement par la redevance, est ainsi passé entre 2002 et 2007 de 215 à 281 millions, ce qui représente une progression de 31 %. À cela s'ajoutent également 16 millions résultant de l'application de la convention liant l'État à France 24. Le financement de ces entreprises s'élève donc à près de 300 millions. Cette forte progression a été presque entièrement absorbée par la montée en charge de France 24 alors que la tension sur les ressources n'en est pas moins persistante. Les subventions accordées aux autres sociétés – TV5, CFI et RFI – ont quant à elles progressé de façon modérée : sans être alarmante, leur situation financière est également tendue, toutes devant faire face à des besoins de financement qui ne permettent pas d'envisager une stabilisation de leur budget à court terme. RFI a ainsi connu une perte exceptionnelle de 11 millions en 2006 liée à la renégociation, par ailleurs génératrice d'économies à terme, du contrat de diffusion qui la liait à TDF ; une recapitalisation est nécessaire. Par ailleurs, des coûts de restructuration doivent être également prévus en raison de choix de langues et de zones de diffusion trop longtemps différés. TV5 a financé son développement en réalisant des économies sur les frais de diffusion mais il ne reste qu'une zone, l'Europe, où une telle option existe si la société décide de renoncer à l'analogique en 2009 ; sans projet de développement particulier, le maintien de sa présence à son niveau actuel exige la poursuite de sa politique de sous-titrage ; les besoins d'enrichissement de sa grille de programmes sont par ailleurs manifestes. France 24, enfin, est en phase de montée en puissance. Les développements envisagés par la convention – extension de la durée du programme arabophone, extension géographique de la diffusion aux Amériques et, éventuellement, diffusion en espagnol – combinés au mécanisme d'indexation pourraient porter son budget à 133 millions en 2010. Au total, il ne faut donc pas exclure l'hypothèse d'un financement du secteur de l'audiovisuel extérieur à hauteur de 350 millions.

Si, par ailleurs, la Cour des comptes n'est pas la mieux placée pour juger de l'efficacité du dispositif lui-même, elle n'en a pas moins formulé quelques remarques essentielles. La présence de RFI est importante en Afrique subsaharienne mais plus inégale ailleurs ; ses langues et ses priorités géographiques de diffusion méritent donc d'être repensées. TV5 est, quant à elle, une chaîne généraliste mondiale dont le réseau constitue le principal atout mais la qualité de ses programmes est souvent critiquée ; elle a de plus été entraînée vers un format hybride informationgénéraliste qui a certes été clarifié dans le sens d'un retour à sa vocation initiale mais sans que ses moyens d'information aient été pour autant réduits. France 24 est une chaîne d'information moderne relativement économe qui repose principalement sur la fourniture externe d'images et le recours à un réseau de correspondants non permanents. CFI, enfin, est une banque gratuite de programmes à laquelle s'ajoute une vocation récente de coopération dont on ne sait pas si elle prendra le relais d'une activité de banque vouée au déclin dès lors que de plus en plus de pays accèdent à une offre de programmes payante. La présence de programmes français, en outre, ne coïncide pas toujours avec nos priorités stratégiques : TV5 est ainsi une chaîne francophone très investie en Europe alors que l'avenir de la francophonie se joue plutôt en Afrique ; RFI, de surcroît, n'a pas suffisamment réorienté son offre depuis la fin de la guerre froide et est insuffisamment présente au Maghreb ; ses modes de présence au Moyen-Orient, par ailleurs, doivent être redéfinis. De manière générale, c'est la présence des chaînes nationales françaises, par débordement ou par piratage, qui tient lieu de politique audiovisuelle extérieure en Afrique du Nord ; le passage à la télévision numérique risque, du reste, de créer un « trou noir » pour la présence audiovisuelle dans cette zone. Enfin, les résultats de ces sociétés ne sont pas assez mesurés : outre qu'elles consacrent moins de 1 % de leurs chiffres d'affaires à l'évaluation de leur audience, les différentes mesures tendent plutôt à valoriser l'offre – le nombre de foyers initialisés – ou la notoriété.

Le pilotage politique et administratif de l'audiovisuel extérieur, en outre, est divisé et d'une efficacité inégale. La gestion de TV5 et CFI par le ministère des Affaires étrangères n'a pas permis d'imposer à TV5 les priorités géographiques qui avaient été décidées ni d'organiser de vraies synergies avec CFI. De plus, la forte opposition du Quai d'Orsay au projet de chaîne d'information internationale a conduit à mettre en place une offre renforcée d'information sur TV5. RFI, quant à elle, est financée par le ministère des Affaires étrangères mais également par le ministère de la Culture à travers la redevance ; il est notable que des arbitrages sur les langues et les zones de diffusion n'ont pas été rendus. France 24 a été budgétairement rattachée au Premier ministre mais il s'agit d'une entreprise privée qui n'a pas eu de tutelle particulière et dont les choix stratégiques, souvent heureux, ont été opérés par sa direction. Enfin, France Télévisions n'a pas joué le rôle d'orientation stratégique qui aurait pu être le sien auprès de TV5 et CFI.

J'ajoute qu'à la suite des décisions prises par le chef de l'État, des travaux de la commission Benamou et de la nomination de M. Alain de Pouzilhac à la présidence de la société Audiovisuel extérieur de la France, de France 24, de RFI et de TV5, une holding permet désormais de centraliser l'ensemble des questions qui se posent.

Enfin, des incertitudes demeurent et des priorités devraient inspirer selon nous l'action publique.

Une première inquiétude a trait à l'évolution de l'actionnariat de France 24. M. le Premier président Philippe Séguin a conclu ainsi la lettre qu'il a transmise à la Commission au début du mois de juillet : « La perspective du changement d'actionnariat met en lumière le paradoxe d'un montage initial où la société, bien que financée sur fonds publics, est néanmoins détenue par des actionnaires qui n'encourent aucun risque financier réel dans sa gestion. En l'absence – que l'on peut regretter – d'une clause de retour à l'État de l'investissement qu'il a ainsi consenti, la Cour souligne la nécessité que le caractère original du montage d'origine soit pris en compte lors de son éventuel dénouement d'une façon qui reflète sa réalité économique et préserve les intérêts patrimoniaux de l'État. »

Une seconde inquiétude concerne le pilotage de la holding par l'État. Si, en effet, le rassemblement de l'ensemble des subventions de l'État à l'audiovisuel extérieur dans un seul programme budgétaire – et ce d'autant plus que pourrait être supprimé le financement de RFI par la redevance – va dans le sens d'une plus grande lisibilité de la politique et des financements de l'État, comment seront décidées les orientations stratégiques, géographiques et linguistiques ?

La troisième inquiétude concerne le rôle de la holding dans l'allocation des ressources de chaque entité. Les instruments de pilotage seront-ils entièrement dirigés vers la holding, qui serait libre de répartir les ressources publiques entre ses sociétés filiales, ou les financements de chacune d'elle seront-ils individualisés dans le programme « audiovisuel extérieur » ? De la même façon, y aura-t-il un contrat unique d'objectifs et de moyens au niveau de la holding ou l'État sera-t-il amené à assigner des objectifs spécifiques à chaque société ?

Trois priorités nous semblent par ailleurs décisives.

La restructuration de RFI et la mobilisation de chacune des sociétés contrôlées – TV5, CFI, RFI – sur de véritables projets est essentielle. Ces sociétés, en effet, ont pâti des nombreuses remises en chantier de l'architecture d'ensemble de l'audiovisuel extérieur. Si leurs atouts sont reconnus, elles ne s'en trouvent pas moins confrontées à une nécessaire redynamisation. S'agissant de TV5, le projet devra en outre emporter l'adhésion des partenaires de la France.

Par ailleurs, des choix politiques doivent être opérés en terme de zones, de publics et de moyens. Le périmètre de l'audiovisuel extérieur est aujourd'hui excessif compte tenu des moyens affectés à cette politique : la contrainte budgétaire commande de passer d'une logique de l'offre et de la présence universelle de médias français sans doute trop nombreux à une politique ciblée qui réponde à une demande mieux définie.

Enfin, si les synergies sans cesse annoncées et jamais réalisées doivent être un cap essentiel pour le management, elles impliquent néanmoins un coût d'entrée et ne pourront se réaliser qu'à terme.

De telles priorités ne dispensant pas les sociétés d'un effort de maîtrise des coûts, la Cour formule deux préconisations. Ces sociétés doivent tout d'abord avoir des objectifs de ressources propres, en l'occurrence et à terme, selon la direction de France 24, à hauteur de 40 %. L'absence d'un tel objectif dans le plan de financement initial de cette chaîne est d'autant plus injustifié que celle-ci a réalisé au cours de son premier exercice un produit de 4,3 millions. Les ressources propres de TV5, quant à elles, sont passées de 8,9 à 10,5 millions de 2002 à 2007. En outre, s'il est normal d'anticiper les coûts de restructuration et d'achèvement de la montée en puissance de France 24, il est impératif de les inscrire dans un cycle pluriannuel de ressources dans lequel, à ces surcoûts qui peuvent être considérés comme un investissement de départ, succédera une phase de « retour » budgétaire sous forme de synergies ou d'une croissance des ressources propres. Ce cycle devrait être formalisé dans un contrat pluriannuel.

La France a hérité dans le domaine de l'audiovisuel extérieur d'un ensemble disparate constitué en strates successives où chaque société a été l'objet d'attentions prioritaires : d'abord RFI, pilier le plus ancien de cette politique qui a manqué depuis longtemps d'un ensemble d'orientations de la part des pouvoirs publics ; CFI, qui a aspiré à devenir une chaîne mondiale de télévision au début des années 90 et est aujourd'hui ramenée à un rôle modeste de banque de programmes et de coopérations : TV5, chaîne francophone mondiale devenue à la fin des années 90 la pièce centrale du dispositif audiovisuel extérieur ; France 24, enfin, chaîne d'information continue conçue en marge d'un système qu'elle complète plus qu'elle ne s'y intègre. Ce dispositif, que l'on peut juger trop étendu, est aujourd'hui un fait acquis. Il doit être resserré, les différents intervenants doivent avoir des rôles mieux définis et les résultats d'audience être mieux évalués. Cela implique d'abord de stabiliser un secteur laissé dans l'incertitude, de remobiliser des personnels parfois démoralisés et d'assigner à chacun des objectifs clarifiés. La mise en place de la holding n'est pas une fin en soi : il s'agit d'un moyen permettant d'atteindre ces objectifs dans la cohérence et la durée.

Le Président Didier Migaud : Je vous remercie.

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