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Intervention de Marc Touati

Réunion du 13 mai 2008 à 16h45
Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Marc Touati :

Les crises sont inévitables. La spéculation fait partie des marchés. Il serait illusoire d'imaginer la supprimer. Sans spéculation, il n'y a pas de liquidités sur les marchés, pas de prise de risque ni de couverture de risque. Les produits aujourd'hui incriminés, les produits optionnels et complexes, permettent, à la base, de couvrir le risque. Et ceux qui prennent des risques, ce sont les spéculateurs. Ils ont donc un rôle à jouer.

Cela dit, laisse-t-on une crise financière devenir une récession économique ? Ce fut le cas en 1929, où, à la différence d'aujourd'hui, on était en période de déflation et où la Réserve fédérale américaine a refusé de baisser les taux d'intérêt sous prétexte que ce n'était pas à elle de faire plaisir aux méchants spéculateurs. Elle avait considéré qu'il fallait laisser faire le marché et avait maintenu des taux d'intérêt très élevés. Je vous rassure, Jean-Claude Trichet n'était pas à la FED à l'époque…

L'économie est une science humaine, non une science exacte. Cela signifie qu'elle peut être influencée par les hommes et les femmes, en fonction de leur réactivité.

Le monde est confronté à une crise financière grave, qui aurait pu devenir une récession grave d'un point de vue économique, mais qui ne le deviendra pas grâce à la réactivité de la Réserve fédérale américaine, qui a en fait agi comme si l'on était en récession.

C'est pourquoi j'exclus le scénario d'un écroulement de la croissance américaine, qui devrait redémarrer progressivement, après un deuxième trimestre encore mauvais, pour atteindre 1,8 % en moyenne annuelle.

J'ai d'ailleurs du mal à comprendre pourquoi le FMI a annoncé 0,5 % de croissance pour cette année, alors que l'acquis de croissance était déjà de 1,1 % à la fin du premier trimestre. Cette prévision pessimiste repose sur l'hypothèse que le PIB baisse sans remonter ensuite, alors que l'on peut faire jouer les trois armes dont on dispose – budgétaire, monétaire, et du change.

Les Américains sont en train de vivre la période la plus dure, même si, d'un point de vue bancaire, il y aura certainement encore des mauvaises surprises. La Réserve fédérale a joué son rôle de prêteur en dernier ressort, c'est-à-dire qu'elle n'a pas laissé les banques faire faillite, selon le principe too big to fail. Les banques ne sont pas des marchands de légumes : lorsqu'un grand établissement fait faillite, on peut craindre un effet domino.

Il y a toutefois des aléas moraux. Les banques sachant qu'elles sont soutenues quoi qu'il advienne, elles peuvent se laisser aller à faire un peu n'importe quoi. Mais, au-delà de ces petites tempêtes à moyen terme, je pense que l'économie américaine va redémarrer assez rapidement à partir du troisième trimestre et qu'elle retrouvera son niveau de croissance structurelle de 3 % à partir de l'année prochaine.

Je suis en revanche beaucoup moins optimiste et même inquiet pour l'économie européenne. En économie, comme partout, on n'a que ce que l'on mérite. En Europe, comme on n'a rien fait, on n'aura rien… On n'a aucune marge de manoeuvre de relance budgétaire. La politique monétaire est excessivement restrictive et l'euro est trop fort. Nous revivons aujourd'hui ce que nous avons connu en 2002. On tenait d'ailleurs alors le même discours : pour les États-Unis, c'est fini, pour l'Europe, tout va bien. Or, les Américains ont redémarré dès 2002-2003 et la zone euro uniquement en 2006 – grâce notamment à la baisse de l'euro en 2005. En 2001-2002, l'euro valait un dollar. Aujourd'hui, il est monté à 1,60. Si l'on intègre la hausse de l'euro dans l'évolution des taux d'intérêt – c'est-à-dire, si l'on calcule l'indicateur des conditions monétaires, composé du taux d'intérêt de la BCE augmenté du change –, c'est comme si nous avions aujourd'hui des taux d'intérêt de 5,25 %. La situation est donc même pire qu'en 2002.

La crise n'est pas finie, en particulier en Europe. Les banques européennes risquent de se trouver en difficultés et les mauvaises nouvelles de s'accumuler. Tout l'enjeu aujourd'hui est là. Alors que l'activité américaine va permettre aux États-Unis d'avoir une croissance plus forte, en Europe, elle sera très molle.

J'en tirerai deux conclusions et deux perspectives.

Premièrement, dans la zone euro, la BCE finira par baisser les taux. Mais elle le fera trop tard. Toute inflexion de politique monétaire n'agit sur l'activité qu'au bout de six à neuf mois. C'est le délai qu'il faudrait pour qu'une baisse des taux produise ses effets. Il est donc trop tard pour 2008 : dans le meilleur des cas, on aura une croissance de 1,6 % dans la zone euro, et d'environ 1,4 % en France. Et le déficit public de cette dernière atteindra environ 3 % du PIB cette année.

L'autre conséquence – que je vis au quotidien –, c'est que les clients demandent aujourd'hui à avoir des produits financiers qu'ils puissent comprendre. Il faut reconnaître qu'ils sont de plus en plus complexes, réalisés uniquement via des modèles mathématiques indépendants des fondamentaux économiques. On fait miroiter des gains de 6, 10, voire 15 %, ce qui est, par définition, faux, car plus le rendement est élevé, plus le risque l'est également. C'est la loi de base de la finance.

La crise est salutaire, puisqu'elle conduit à retrouver le sens des réalités. C'est une sorte de revanche de l'économie réelle sur l'économie financière. Or la réalité de la première aujourd'hui, c'est l'investissement des entreprises. Il faut savoir qu'aux États-Unis, l'investissement des entreprises en équipement croît de 6 % par an. En période de récession, il diminuerait de 10 %. Les indicateurs avancés de l'investissement, c'est-à-dire les carnets de commande des biens d'équipement, annoncent que cette augmentation va se poursuivre. Quand on a l'investissement, on entre dans ce qu'on appelle le cercle vertueux, résumé par la formule : l'investissement génère de l'emploi, donc du revenu, donc de la consommation.

En résumé, nous sommes confrontés à une crise grave. Les États-Unis sont réactifs, pas l'Europe. Cette dernière va revivre ce qu'elle a connu en 2002 : son économie va s'enliser dans la croissance molle tandis que celle des États-Unis va redémarrer.

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