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Intervention de Christian de Boissieu

Réunion du 13 mai 2008 à 16h45
Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Christian de Boissieu :

Même si mon optimisme me pousse à penser que le plus dur est derrière nous, la crise financière n'est pas finie, pour au moins trois raisons. Premièrement, les prix des logements aux États-Unis vont continuer de baisser en 2008. La seule incertitude, c'est de combien – sans doute entre 5 % et 10 %. Or cette chute a été le détonateur de la crise des subprimes, qui s'est ensuite diffusée via la titrisation. Le surendettement des ménages américains et la situation des prêteurs vont donc encore s'aggraver. Deuxièmement, la crise de confiance entre les banques persiste. Les banques centrales ont fait leur travail en injectant massivement des liquidités, mais elles n'ont pas ramené la confiance qui demanderait davantage de transparence sur les positions de chacun. Le G7 a eu raison, à Washington, de donner un délai pour accélérer l'apurement des comptes. Troisièmement, il y a forcément un décalage entre la crise et sa transcription comptable. Les banques et les compagnies d'assurances vont continuer dans les mois qui viennent à révéler des dépréciations d'actifs, voire des pertes pour les établissements les plus touchés.

Cette crise américaine est susceptible de se diffuser à travers trois canaux. S'agissant, premièrement, de l'activité, je ne crois pas au découplage entre l'Europe et les États-Unis. Nous sommes dans la crise, plus ou moins, selon les pays. Le scénario américain conditionnera la capacité de résistance des grands pays émergents. Ce sont eux qui, depuis trois ans, expliquent la résistance – ou la résilience – impressionnante de la croissance aux multiples chocs : choc pétrolier, crise alimentaire, chocs financiers et géopolitiques. Il y a cinq ou dix ans, la conjoncture américaine aurait immanquablement affecté l'Amérique latine. Or, aujourd'hui, la croissance résiste. En Chine, elle sera comprise entre 9 % et 10 % cette année, au lieu de 11,5 % l'année dernière ; en Inde, elle sera autour de 7 %, contre 7 % à 8 %, idem en Russie. S'il en est ainsi, c'est parce qu'il n'y a pas de récession importante et durable aux États-Unis. Et il ne devrait pas y en avoir, parce que les États-Unis ont joué sur trois leviers que l'Europe n'a pas pu ou voulu utiliser : la politique monétaire avec la baisse des taux – le taux directeur de la Fed est aujourd'hui de 2 % –, le taux de change, et la politique budgétaire avec le paquet fiscal « bipartisan » décidé il y a quelques semaines. Bien sûr, la croissance européenne est touchée. L'année dernière, la France a connu une croissance nettement inférieure à celle de la zone euro – 1,9 % contre 2,6 % – mais, avec le ralentissement allemand, cette année, elle devrait se situer autour de la moyenne. Deuxièmement, le canal bancaire : les banques françaises sont affectées, certes, mais plutôt moins que les banques suisses, allemandes ou britanniques. Les banques françaises vont sans doute devenir plus sélectives. Je ne parle pas de credit crunch parce que, d'après les derniers chiffres connus, le crédit au secteur privé augmente encore à un rythme de plus de 10 % dans la zone euro et en France. Cependant, le problème du financement des PME, qui est structurel, se posera de manière plus aiguë car la sélectivité ne pèsera pas également sur les particuliers et les entreprises. Enfin, le troisième canal est le taux de change. Le dollar, déjà faible, est encore affaibli par la crise, c'est-à-dire par le ralentissement de l'économie couplé à la dynamique des taux courts : face à une Fed très réactive, la BCE n'a pas touché à son taux directeur depuis juin 2007. Depuis une semaine, le dollar remonte un peu. Il est un peu tôt pour se réjouir car la Fed n'a peut-être pas dit son dernier mot, tandis que la BCE, pour baisser son taux directeur, attendra que l'inflation soit retombée dans la zone euro.

Que faire ? Le dollar va rester faible, il risque même de rechuter compte tenu de l'ampleur des déficits américains. Dans un contexte où la BCE ne modifiera pas son taux directeur, la question d'une action coordonnée des banques centrales n'est pas absurde à condition que les Américains soient avec nous. Il faudrait que la baisse de leur monnaie ait atteint un niveau tel qu'ils aient intérêt à agir. Ce n'est sans doute pas encore le cas et l'acharnement de M. Paulson et d'autres à répéter qu'ils sont pour un dollar fort est suspect. Le problème de la zone euro n'est pas tant la parité bilatérale euro-dollar que la baisse de toutes les autres monnaies – yen ou livre sterling. En termes de taux de change effectif, l'euro est pratiquement la seule monnaie qui monte. Le G7-G8 du mois de juillet à Hokkaido devrait se demander s'il faut continuer à inciter la Chine à faire évoluer son taux de change et à quelles conditions elle pourrait l'accepter.

Quant au policy mix, j'espérais une politique monétaire européenne un peu plus pragmatique, sans changer les textes. Il n'est pas question de mettre en cause l'indépendance de la BCE. Le ralentissement de la croissance ne nous aide pas beaucoup, nous Français, à cause de son impact sur notre déficit public. La France aura beaucoup de mal à faire passer ses thèses quand elle présidera l'Union européenne si, dans le même temps, elle affiche des comptes publics encore dégradés. Elle est prise dans la quadrature du cercle : comment rallier ses partenaires qui ne lui feront pas de cadeaux, à commencer par l'Allemagne, qui a déjà fait des concessions sur l'Union de la Méditerranée, et qui a connu, en matière budgétaire, une réduction très rapide et très importante de son déficit ? Les recettes étant sous contrainte, le débat se reporte sur la dépense. Je salue les nouvelles procédures telles que la LOLF ou la RGPP, mais ce ne sera pas en trois ou quatre mois qu'elles porteront leurs fruits.

Un dernier mot sur les politiques structurelles. D'une part, nous avons fait au Premier ministre plusieurs recommandations en matière de régulation bancaire et financière. D'autre part, la commission Attali, dont j'étais membre, a fait des propositions pour gagner un point de croissance. Dans le contexte actuel, il ne faut pas ralentir le rythme des réformes car l'objectif visé est le défi français des deux ou trois prochaines années. Le peu de marge de manoeuvre budgétaire doit être utilisé à faciliter la croissance des petites entreprises, à améliorer la qualité de nos universités. Malgré la question du pouvoir d'achat qui est importante à moyen terme, la priorité va à la consolidation du sentier de croissance.

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