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Intervention de Gaël Yanno

Réunion du 10 mars 2009 à 10h15
Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGaël Yanno, rapporteur :

Les conséquences de la modernisation du PCG ne sont pas moins importantes que celles découlant des normes IFRS. Comme l'a souligné M. Dominique Baert, les normes IFRS constituent une véritable rupture par rapport à la tradition comptable française. Les grandes entreprises que sont les groupes faisant appel public à l'épargne ont les moyens de les mettre en oeuvre. Cependant, dès lors que le choix a été fait de moderniser l'ensemble des normes comptables françaises, ce sont les gérants et les experts-comptables de millions de PME qui ont dû se former dans l'urgence à des normes nouvelles, parfois imprécises et souvent complexes, par exemple l'amortissement par composants.

L'insécurité juridique qui en résulte a souvent été soulignée lors des auditions. Elle est d'autant plus réelle que, s'agissant de normes fondées sur des principes, celles-ci font très souvent appel au « jugement » du préparateur de comptes à qui revient la responsabilité, sous le contrôle des auditeurs, de choisir le traitement comptable approprié d'une opération.

Or, des sanctions pénales lourdes sont prévues s'il apparaissait que les comptes ne donnent pas une « image fidèle » de l'entreprise. Or, le risque n'est pas négligeable que telle interprétation puisse fausser « l'image fidèle » des comptes de l'entreprise, du moins l'idée qu'un juge pourra s'en faire s'il venait à être saisi. Afin de limiter cette insécurité, il apparaît nécessaire de renforcer la compétence et les moyens des juridictions en matière comptable.

Enfin, les normes comptables ont une influence directe sur la fiscalité. En effet, l'assiette de l'impôt sur les sociétés s'appuie sur les comptes individuels des entreprises établis conformément aux règles du PCG ; de même pour la taxe professionnelle dont l'assiette est assise sur la valeur locative des immobilisations corporelles telles que définies par le PCG.

En elles-mêmes, les normes IFRS n'ont aucune conséquence fiscale puisque ces normes ne s'appliquent qu'aux comptes consolidés. Mais le processus de modernisation du PCG remet incontestablement en cause l'article 34 de la Constitution qui dispose que « la loi fixe les règles concernant l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures ». Si l'assiette de l'impôt est définie par les règles comptables établies en pratique par le CNC (devenu l'ANC), le principe de légalité de l'impôt est-il encore respecté ? Les arrêtés ministériels homologuant les règlements du CRC ne sont-ils pas entachés d'incompétence ? Le Conseil d'État a répondu par la négative, en distinguant entre l'objet et l'effet des normes comptables : certes, celles-ci ont des effets sur l'assiette de l'impôt sur les bénéfices, mais elles n'ont pas un objet fiscal à proprement parler et ne peuvent donc, par elles-mêmes, violer la constitution.

Bien que la question ait été tranchée du point de vue du droit, il n'en reste pas moins que dans les faits, par ses avis, le CNC a influé sur l'assiette fiscale, en dehors de toute compétence constitutionnelle. Par exemple, l'amortissement par composants a entraîné, au titre de l'exercice 2005, selon les entreprises, une majoration ou une minoration de leur résultat imposable que l'article 42 de la loi de finances rectificative pour 2004 a dû étaler sur cinq ans.

Certes, le CNC n'émettait que des avis, repris ou non dans des règlements du CRC dont l'homologation relevait de ministres responsables devant le Parlement. Mais l'homologation est largement formelle et rien ne dit qu'un Gouvernement ne verra pas dans les règles comptables un outil discret pour modifier l'assiette fiscale. Si le Parlement peut neutraliser ou lisser l'impact fiscal des modifications comptables, il ne peut cependant le faire qu'à la condition d'être informé de celles-ci, ce que souhaite la mission d'information.

Les enjeux des nouvelles normes comptables sont donc à la mesure de leurs conséquences : considérables. C'est pourquoi la mission d'information formule dans son rapport trente propositions afin d'améliorer la qualité et la légitimité des normes comptables et du processus de normalisation.

L'IASB qui, à l'origine, n'était qu'un think tank, est aujourd'hui le normalisateur comptable de plus de cent pays. Un tel pouvoir ne peut aller sans responsabilité ni légitimité. Cependant, la réforme en cours de l'IASB est insuffisante ; pour l'essentiel, elle se contente de créer un « conseil de surveillance » composé, notamment, des autorités nationales de marché. Non seulement les pouvoirs de celui-ci seront très limités – désigner les trustees et surveiller leur activité – mais la réforme ne traite pas deux questions majeures : d'une part le financement de l'IASB qui ne peut reposer uniquement sur les entreprises privées et les cabinets d'audit et, d'autre part, l'insuffisance des études d'impact des normes IFRS qui ne prennent pas en compte les conséquences sociales, managériales ou macro-économiques de celles-ci.

En outre, il apparaît nécessaire, maintenant que l'Union européenne a délégué son pouvoir de normalisation comptable, qu'elle exerce un contrôle étroit et permanent sur l'usage qui en est fait. Afin d'améliorer son influence sur l'IASB, la mission d'information estime qu'elle devra d'abord renforcer sa capacité de recherche en comptabilité afin de promouvoir une vision européenne de la comptabilité alternative à celle de l'IASB.

De plus, il apparaît nécessaire de faire de l'EFRAG un organisme public et d'en renforcer les moyens matériels et humains, afin que l'Union européenne parle d'une seule voix, et d'une voix forte, sur la scène comptable internationale.

Enfin, l'assouplissement en urgence, en octobre 2008, de la norme IAS 39, conformément aux exigences du Conseil ECOFIN, a démontré que l'influence de l'Union européenne ne se limite pas à la seule procédure d'homologation. Elle ne doit pas s'interdire de faire pression, autant que nécessaire, sur l'IASB pour orienter les normes IFRS dans un sens favorable à ses intérêts.

Le renforcement de l'influence de l'Union européenne sur l'IASB apparaît d'autant plus nécessaire que des nombreux projets de normes sont susceptibles, prochainement, d'affecter fortement les entreprises européennes.

Depuis 2002, l'IASB et le normalisateur comptable américain ont entrepris de faire converger leurs normes comptables respectives. Si la convergence est de nature à améliorer la comparabilité des comptes et à simplifier la vie des entreprises européennes cotées aux États-Unis, elle apparaît en pratique à sens unique, c'est-à-dire que les normes IFRS convergent seules vers les US GAAP. Les exemples sont ainsi nombreux où les nouvelles normes IFRS ne sont que la quasi-copie des normes américaines équivalentes, quand bien même celles-ci sont d'une qualité inférieure.

Si l'on peut douter que la convergence soit vraiment dans l'intérêt de l'Union européenne, elle a cependant toutes les chances de se poursuivre ; c'est pourquoi elle doit être étroitement surveillée, via le « conseil de surveillance » de l'IASC, l'EFRAG et l'ECOFIN.

De plus, plusieurs projets de normes et d'amendements à des normes existantes sont actuellement en préparation qui suscitent, pour certains d'entre eux, de fortes réserves de la part de l'EFRAG, des normalisateurs nationaux et des entreprises européennes.

Le premier de ces projets est la réforme du cadre conceptuel des normes IFRS, qui ne remet en cause ni l'orientation des normes IFRS vers les seuls investisseurs ni le postulat du bon fonctionnement des marchés.

Le deuxième est l'aménagement de la norme IAS 31 Participation dans des coentreprises, qui supprimera la possibilité pour les groupes de consolider leur participation dans des coentreprises par la méthode de l'intégration proportionnelle, au risque de réduire la pertinence des comptes consolidés et de remettre en cause les stratégies de développement des entreprises, laquelle, notamment en Asie, passe souvent par des coentreprises.

Enfin, le dernier est la future norme IFRS 4 applicable aux contrats d'assurance, que la mission d'information estime nécessaire de coordonner avec les normes prudentielles « Solvabilité II », afin que leur combinaison ne conduisent pas aux mêmes effets pervers que la norme IAS 39 et les normes prudentielles « Bâle II ».

S'agissant des normes comptables nationales, le PCG a connu, entre 2000 et 2004, des changements aussi rapides que considérables. La mission d'information estime donc nécessaire de limiter désormais les évolutions du PCG au strict nécessaire, afin de permettre aux entreprises et aux comptables d'assimiler les nouvelles normes comptables. Cependant, dans l'éventualité d'une poursuite de la modernisation du PCG, l'ANC pourrait mener des études d'impact préalables à la publication des nouvelles normes comptables nationales. Elle pourrait également se doter d'un cadre conceptuel, soumis au Gouvernement pour homologation. Si le politique n'a pas à rentrer dans le détail des règles comptables, il lui appartient cependant de fixer la ligne que celles-ci doivent suivre.

La mission d'information s'est intéressée à la question de savoir quelles normes comptables - éventuellement simplifiées - doivent être appliquées aux comptes individuels, c'est-à-dire à ceux de l'ensemble des entreprises françaises.

Tant l'application des IFRS que celle des IFRS simplifiées pour les PME doivent être rejetées pour des raisons de complexité et d'inutilité. En outre, les comptes individuels servant de base à l'établissement de l'assiette de l'impôt, l'application des normes IFRS entraînerait l'obligation de déconnecter la fiscalité et la comptabilité afin d'éviter la volatilité des ressources publiques. La mission d'information estime donc qu'il convient de conserver, pour les comptes sociaux, des référentiels comptables nationaux.

Par ailleurs, des propositions ont été avancées, notamment par la Commission européenne, afin d'exonérer les plus petites entreprises de toutes formalités comptables. Si la comptabilité est, certes, une charge, elle est aussi et surtout un outil d'information indispensable pour l'entrepreneur comme pour les tiers, à commencer par les créanciers.

La poursuite d'une modernisation mesurée et concertée de ces normes, sans rechercher l'alignement systématique sur les normes IFRS mais avec un objectif de simplification, est en tout point préférable à une nouvelle révolution comptable dans les comptes individuels.

Enfin, la mission d'information s'est intéressée à la pérennité de la connexion entre la comptabilité et la fiscalité dans un contexte d'évolution rapide des normes comptables et de perspective d'une assiette consolidée de l'impôt sur les sociétés au niveau européen.

La déconnexion totale entre fiscalité et comptabilité, comme c'est le cas aux États-Unis ou en Grande-Bretagne, n'est souhaitée ni par l'administration fiscale ni par les entreprises pour lesquelles elle constitue une garantie dans leurs rapports avec celle-ci ; l'administration fiscale a quant à elle défini trois principes : le maintien de la connexité fiscalo-comptable, la neutralisation des incidences fiscales des évolutions comptables et la simplicité des retraitements.

Si la mission d'information soutient la position de l'administration fiscale, elle regrette cependant que ces principes aient été fixés dans une simple instruction fiscale et attire l'attention sur le difficile équilibre entre ceux-ci. Ainsi, le maintien de la connexion, qui se traduit par un alignement de la fiscalité sur la comptabilité, est contradictoire avec le principe de neutralité ; celui-ci entraîne une déconnexion au moins partielle de la fiscalité et de la comptabilité via des retraitements complexes qui mettent à mal le principe de simplicité.

Par ailleurs, le projet d'une assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés, que prépare actuellement la Commission européenne, s'il devrait permettre d'améliorer le fonctionnement du marché commun en supprimant les entraves fiscales, les double-impositions et les discriminations, risque de rompre les liens entre comptabilité et fiscalité.

En effet, une assiette fiscale commune à l'ensemble des États-membres serait, par nature, incompatible avec une connexion fiscalo-comptable qui repose sur des règles comptables et fiscales nationales. Ainsi, une entreprise française continuerait à établir ses comptes individuels – et donc son résultat comptable – selon les règles du PCG mais, en matière fiscale, elle pourrait opter pour les règles de l'ACCIS, lesquelles n'auront probablement qu'un lointain rapport avec ces dernières.

La question du maintien de la connexion fiscalo-comptable est également compliquée par celle de l'égalité devant l'impôt. Dès lors que l'ACCIS serait optionnelle, la charge fiscale des entreprises variera selon qu'elles auront opté ou non. Dans ces conditions, maintenir la connexion fiscalo-comptable pourrait se traduire par un rapprochement des normes comptables françaises vers les règles fiscales de l'ACCIS, rapprochement qui aurait également pour effet de rétablir les entreprises n'ayant pas opté pour l'ACCIS dans une position d'égalité avec celles ayant opté. Cependant, outre l'impact fiscal considérable qu'aurait un tel rapprochement, ce serait lancer une nouvelle modernisation du PCG qui devra être conciliée avec la convergence de celui-ci vers les normes IFRS.

Enfin, la France pourrait toujours faire converger ses seules règles fiscales vers l'ACCIS, mettant ainsi un terme à la connexion entre la fiscalité et la comptabilité, avec toutes les conséquences que ce terme implique.

Pour conclure, maintenant que l'élaboration des normes comptables, tant nationales qu'internationales, a été déléguée à des organismes indépendants composés d'experts, une responsabilité particulière repose sur l'État.

Le pouvoir exécutif doit surveiller étroitement l'élaboration des normes comptables nationales et internationales et, le cas échéant, peser sur celles-ci, lorsque ses intérêts ou ceux des entreprises françaises apparaissent menacés. Le pouvoir législatif, outre le contrôle du pouvoir exécutif dans sa mission de surveillance des normalisateurs comptables, doit veiller à ce que ceux-ci ne modifient pas, via les règles comptables, l'assiette fiscale dont la détermination relève de sa compétence exclusive.Enfin, les juridictions auront, de plus en plus, à juger de contentieux comptables très techniques pour lesquels une formation préalable en comptabilité et en analyse financière apparaît nécessaire.

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