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Intervention de Christian Ménard

Réunion du 13 mai 2009 à 11h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristian Ménard, rapporteur d'information :

Depuis le 4 avril 2008, jour de l'attaque du voilier de croisière le Ponant, la piraterie n'a plus quitté la une des médias et chaque semaine apporte son lot de nouvelles attaques. L'opinion publique s'étonne de voir resurgir des pratiques qu'elle croyait révolues. Pourtant, la piraterie n'est pas une nouveauté puisqu'elle remonte à l'antiquité – Jules César lui-même a été pris en otage en 78 avant J. C. – et a continué au cours des siècles, suivant une courbe sinusoïdale. Au début du XIXe siècle, alors que les Barbaresques faisaient encore beaucoup de dégâts en Méditerranée, la lutte contre la piraterie a même été l'occasion pour les jeunes États-Unis d'Amérique de conduire leur première opération navale internationale.

Mais la piraterie est également un phénomène contemporain. Au début des années 2000, elle sévissait en mer de Chine et dans le détroit de Malacca et aujourd'hui même, alors que tous les projecteurs sont braqués sur le golfe d'Aden et les côtes somaliennes, une piraterie bien plus dangereuse et violente touche les installations pétrolières du golfe de Guinée et des eaux nigérianes.

Grâce à une prise de conscience précoce des enjeux et des risques, la France a joué et joue toujours un rôle de premier plan dans la lutte contre la piraterie. De l'escorte des navires du programme alimentaire mondial, le long des côtes somaliennes, jusqu'à l'engagement de la première opération navale de l'Union européenne, Atalante, notre pays a fortement contribué à la mobilisation de la communauté internationale sur ce sujet.

Au-delà de ses conséquences les plus directes – attaques, otages, rançons –, la piraterie a mis en évidence l'importance des enjeux de sûreté maritime, aux frontières de la défense et de la sécurité. Alors que 94 % du commerce mondial transitent aujourd'hui par la mer et que celle-ci constitue une formidable réserve de ressources, l'économie mondiale est désormais étroitement liée à la maîtrise du milieu marin et sous-marin. Il y a là un enjeu stratégique essentiel, souvent mal connu en France.

La piraterie est l'exemple parfait de la menace asymétrique : elle provient de formations réduites, dotées de moyens légers et peu classiques et vise de gros bateaux, civils mais aussi parfois militaires. Conduite dans le golfe d'Aden avec des moyens dérisoires et un certain degré d'amateurisme, elle a eu un impact médiatique extraordinaire et généré, à juste titre, une spectaculaire mobilisation de la communauté internationale, dans un relatif consensus.

La première réaction aux attaques de pirates a nécessairement été de nature militaire et navale. Pourtant, chacun s'accorde à dire que la piraterie n'est que le symptôme d'un mal beaucoup plus profond : la solution durable au problème est essentiellement politique et réside à terre, là où l'autorité des États riverains est défaillante et où la misère pousse les plus démunis à tenter d'attaquer la caravane qui croise à quelques milles de leurs côtes.

Consciente de l'importance du phénomène de la piraterie et de ses enjeux en matière de sécurité mondiale et de sûreté maritime, notre commission a décidé, le 28 mai dernier, de créer une mission d'information sur le sujet.

J'ai procédé pendant dix mois à de nombreuses auditions et à plusieurs déplacements afin de mieux connaître les caractéristiques – historiques, géographiques, économiques, humaines et opérationnelles – de la piraterie contemporaine ainsi que ses enjeux et ses conséquences, notamment pour le trafic maritime international. J'ai également examiné les réponses apportées par la France, l'Europe et la communauté internationale ainsi que leur efficacité à court et plus long termes. Mon rapport reprend tout cela en détail avant de proposer les orientations qui me semblent les plus à même d'apporter une réponse durable à cette résurgence d'une pratique millénaire. Ce sont ces propositions que je voudrais maintenant vous exposer.

En ce qui concerne la communauté internationale tout d'abord, celle-ci doit mettre en oeuvre une approche globale du problème de la piraterie, en articulant les actions civiles et militaires.

Dans cet esprit, je propose, pour ce qui concerne spécifiquement la piraterie dans le golfe d'Aden et au large de la Somalie, d'adapter les modalités d'intervention militaire afin de rendre les attaques plus risquées et plus coûteuses pour les pirates, notamment en menant des interventions à terre de type policier, comme le permet la résolution 1851 des Nations Unies. Il ne s'agit pas d'engager une opération militaire d'envergure mais d'agir ponctuellement, par exemple en répertoriant les bateaux suspects et en avertissant que tous ceux qui seront retrouvés en mer seront détruits.

Je propose aussi de renforcer la présence navale et aérienne afin de mieux couvrir les zones à risque, et notamment la mer des Seychelles qui connaît une vague importante d'attaques depuis le début du mois d'avril. Les pêcheurs sont particulièrement vulnérables dans cette zone et la meilleure solution serait très certainement de baser un avion de patrouille maritime aux Seychelles. Cet État, fortement menacé par la piraterie, ne devrait pas s'y opposer.

Il faudrait enfin utiliser des drones – comme le font les américains de la Task force 151 – qui constituent un outil particulièrement adapté pour renforcer les moyens de surveillance.

En ce qui concerne l'action civile, je préconise de renforcer l'aide au développement de la Somalie en combinant le soutien à la restauration de l'État de droit et les aides directes et conditionnelles à la population. Le nouveau président de Somalie élu en janvier semble être un interlocuteur solide et volontaire : il faut en profiter, même si la situation sur place est complexe et toujours très difficile. Il convient également de contribuer rapidement à la consolidation des capacités juridiques et judiciaires des États côtiers – comme le Kenya – auxquels l'Union européenne a choisi de transférer les pirates capturés. Enfin, je préconise d'aider la Somalie à recouvrer sa souveraineté maritime et à exploiter ses ressources en matière de pêche, trop longtemps pillées.

Plus généralement, la communauté internationale doit se mobiliser pour améliorer le partage de l'information et la coopération entre les forces navales présentes dans les zones à risques, renforcer la coopération bilatérale avec les États côtiers en matière de sauvegarde maritime en les soutenant dans leurs efforts pour mettre sur pied des forces de gardes-côtes, et mieux contrôler la circulation des flux financiers générés par la piraterie.

Mais la communauté internationale n'est pas la seule à devoir et pouvoir agir contre la piraterie. L'implication des États régionaux est en effet essentielle si l'on veut que le problème trouve une issue durable. À l'image de ce que sont parvenus à faire les États riverains du détroit de Malacca (Malaisie, Indonésie, Singapour), il convient de soutenir la mise en oeuvre du code de conduite adopté à Djibouti le 29 janvier 2009, qui prévoit des mécanismes de coopération et de coordination des actions anti-pirates entre les États de la région.

Les armateurs ont également leur rôle à jouer et des responsabilités à assumer. Ils doivent tout d'abord faire des efforts pour renforcer les capacités de défense passive des navires et améliorer la formation des équipages. Il existe de nombreuses possibilités à expérimenter dans ce domaine, comme par exemple les systèmes automatiques de veille optique. Mais il convient également d'explorer la possibilité d'organiser une contribution des armateurs au développement économique de la région et à la sécurisation des espaces maritimes. Les richesses qui transitent dans la zone du golfe d'Aden sont immenses (en percevant un euro par tonne de marchandise, on peut réunir 2 millions d'euros par jour) et les armateurs ont tout intérêt à pouvoir la traverser sans encombre plutôt que de devoir passer par le cap de Bonne Espérance. Sur une base volontaire, une participation devrait donc pouvoir s'organiser.

Enfin, j'ai voulu poser la question du rôle des sociétés militaires privées (SMP). La plupart des acteurs du dossier de la piraterie est fermement opposée à l'intervention de ces sociétés. Néanmoins, à titre personnel, certains de mes interlocuteurs ont estimé que cela pouvait être, parfois, une solution. En tout état de cause, si l'on envisage de faire jouer aux sociétés privées de sécurité un rôle quelconque, nous devons définir un cadre juridique rigoureux pour ce type d'activités, aujourd'hui principalement exercées par des sociétés anglo-saxonnes.

En conclusion, je veux rappeler que le problème de la piraterie dans le golfe d'Aden ne trouvera pas de solution durable sans une stabilisation intérieure de la Somalie, ce qui passe nécessairement par la restauration de la gouvernance et de l'autorité publique, la mise en place de structures administratives et le rétablissement de la souveraineté maritime.

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