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Intervention de Hind Khoury

Réunion du 13 janvier 2009 à 16h30
Commission des affaires étrangères

Hind Khoury, déléguée générale de Palestine en France :

Je voudrais tout d'abord saluer l'engagement que l'Assemblée nationale et sa commission des affaires étrangères ont constamment manifesté en faveur de la paix au Proche-Orient. J'aimerais aussi saluer les efforts du Président Sarkozy, qui s'est, dès le déclenchement de l'agression, rendu dans la région pour rencontrer les différents acteurs et proposer une sortie de crise, qui reste à ce jour la seule proposition sur la table et dont j'espère qu'elle sera mise en oeuvre.

La situation actuelle est en effet terrible pour tous les Palestiniens, après dix-sept jours d'attaques incessantes, de jour comme de nuit, et après le massacre de 918 personnes –bilan provisoire, appelé à s'alourdir hélas puisque cela continue. Au nombre des victimes, il y a au moins 277 enfants et 97 femmes : un tel bilan se passe de commentaire. Imaginez un petit territoire de dix kilomètres de largeur, soit le tiers de la surface de Paris, mais trois fois plus peuplé, pilonné sans répit, par terre, par air et par mer. L'agression militaire de Gaza est un véritable carnage, les hôpitaux débordent ; les ambulanciers courent sous les bombes pour aller chercher les blessés et les cadavres, dont la plupart sont des civils.

Après trois semaines d'attaques massives, ce petit territoire n'est plus qu'un champ de ruines. Habitations, écoles, ministères, infrastructures culturelles et sportives, lieux de culte : rien n'est épargné. Pour l'armée israélienne, les militants du Hamas sont partout. Pourtant, après dix-huit jours de conflit, nous sommes tous frappés par le peu de résistance du Hamas. C'est légèrement armés que ses militants affrontent des chars blindés et des forces militaires disproportionnées.

L'attitude d'Israël me fait penser à Colin Powell brandissant à l'ONU une petite fiole censée prouver la toute-puissance de l'armée irakienne qu'il fallait absolument anéantir. Six mille Palestiniens ont été assassinés par l'armée israélienne depuis la seconde Intifada, pour onze Israéliens tués par des roquettes Qassam en huit ans : comment peut-on parler de légitime défense dans ces conditions ? Même si tout humain est important, et tout assassinat une grande perte, ces chiffres donnent à réfléchir.

Il n'est pas question pour moi, pas plus que pour l'Autorité palestinienne, de justifier les tirs de roquettes : nous les condamnons aujourd'hui, comme nous les avons toujours condamnés. Il faut cependant replacer les faits dans leur contexte. Le Hamas s'est développé suite à l'échec des accords d'Oslo et parallèlement à la colonisation et à l'occupation israéliennes. Voyant que les négociations entre le gouvernement israélien et l'OLP n'aboutissaient à rien, la population palestinienne s'est peu à peu désintéressée du processus politique. Après les élections de 2006, le Hamas, pourtant élu démocratiquement, a été boycotté par Israël, ainsi que par la communauté internationale, qui a décrété l'embargo économique. Le gouvernement d'union nationale établi par l'accord de La Mecque pour maintenir l'unité des Palestiniens et soutenu par 96 % d'entre eux a lui aussi été ignoré, alors que Mahmoud Abbas avait réussi, avec une grande habileté et après beaucoup d'efforts, à intégrer le Hamas dans le processus politique. Ignoré de tous, le Hamas s'est réfugié dans la violence : il s'est emparé de la bande de Gaza, mettant ainsi fin à l'unité palestinienne.

Il ne faut pas oublier enfin le terrible siège de deux ans que vient de subir la bande de Gaza : un million et demi de personnes emprisonnées, ne survivant que grâce à l'aide internationale ; la moitié de la population au chômage ; des conditions de vie misérables ; une économie étouffée. Il y a encore quelques mois, le gouvernement israélien se plaisait à suspendre de manière arbitraire la distribution d'énergie.

Le souci d'Israël de protéger ses citoyens des tirs de roquettes est certes légitime. Mais personne ne vivra en paix et en sécurité aussi longtemps que la bande de Gaza sera assiégée, affamée, agressée. Les tunnels détruits aujourd'hui seront à nouveau creusés demain car ces 800 tunnels sont la seule source d'approvisionnement pour les habitants de Gaza.

Il en va de même pour la Cisjordanie, que les Israéliens citent aujourd'hui en modèle pour justifier leurs massacres et leur volonté d'anéantir le Hamas. Je connais bien la situation de la Cisjordanie puisque j'habite à Bethléem et à Jérusalem. La Cisjordanie reste un territoire occupé, la colonisation y prospérant de jour en jour. Jérusalem-Est est encerclée par 250 000 colons, qui sont en train de couper en deux le territoire qui devait devenir celui de l'État palestinien. Alors que les accords d'Annapolis stipulaient le gel de la colonisation, à l'heure où je vous parle, plus de mille habitations israéliennes sont en cours de construction sur le territoire palestinien ; plus de cent colonies de peuplement israéliennes sont en pleine expansion sur notre sol ; 45% de la Cisjordanie restent colonisés, et quelque 700 barrages rendent les déplacements, les échanges économiques et la vie quotidienne impossibles. Et c'est cette Palestine que les Israéliens citent en modèle de ce qu'ils veulent bâtir ?

Enfin le mur de 725 kilomètres, par lequel Israël veut à terme redessiner unilatéralement les frontières d'Oslo, encerclera complètement la Cisjordanie. Jamais les Palestiniens n'accepteront cela.

Mesdames et messieurs les députés, après plus de deux semaines de souffrances infligées à une population civile déjà tant meurtrie au cours de son histoire – je vous rappelle que la population de la bande de Gaza est issue à 80 % des réfugiés de la guerre de 1948 – il ne faut pas se tromper d'agresseur : une population est massacrée sous nos yeux dans des conditions terribles. L'utilisation de bombes au phosphore et de DIME (« dense inert metal explosive »), évoquée par Le Monde d'hier, n'est pas très étonnante, dans la mesure où ces armes ont déjà été utilisées au Liban il y a deux ans. Je vous laisse imaginer les dégâts dans une zone urbaine aussi dense que Gaza. Est-ce la paix des cimetières qu'Israël souhaite obtenir ?

Nous voilà tous face à nos responsabilités : il est plus qu'urgent d'agir. Je voudrais à ce titre remercier de nouveau Nicolas Sarkozy et Bernard Kouchner, qui n'ont pas ménagé leurs efforts, et ce dès les premières heures de l'attaque. Je voudrais aussi saluer le travail des parlementaires, qui ont été très nombreux à demander un cessez-le-feu immédiat.

Mais cela n'est pas suffisant : l'agression israélienne se poursuit et s'intensifie. Il faut agir maintenant pour un arrêt immédiat et inconditionnel des massacres, pour faciliter la distribution de l'aide alimentaire. Les Palestiniens espèrent que l'initiative franco-égyptienne aboutira à un arrêt très rapide des combats, à la levée du blocus de Gaza, qui est à l'origine de la situation actuelle. L'Autorité palestinienne demande également une protection internationale du peuple palestinien, agressé impunément depuis soixante ans, non seulement à Gaza, mais également en Cisjordanie.

Tels sont nos espoirs pour les prochains mois. Au-delà, les Palestiniens demandent que leurs droits soient enfin reconnus par Israël. Nous demandons la création d'un État palestinien dans les frontières de 1967, avec pour capitale Jérusalem-Est et une solution juste pour les réfugiés. C'est la seule option retenue par le droit international et par l'Autorité palestinienne et l'OLP. Sans un accord durable et reconnu par les deux parties, Israël ne vivra jamais en paix au Moyen-Orient. C'est pure folie de penser que la force seule peut bâtir l'avenir et la paix dans la région. Au Moyen-Orient comme ailleurs, le droit international doit être respecté et Israël ne peut pas faire exception : on ne doit plus tolérer qu'Israël continue à ignorer les résolutions de l'ONU, dont la dernière en date, la résolution 1680. Nous demandons qu'une solution contraignante soit adoptée à l'ONU.

Je voudrais pour finir m'interroger sur l'avenir de cette nouvelle agression israélienne, qui n'a d'ailleurs toujours pas fait de vainqueur : des roquettes continuent d'être tirées contre Israël. Israël est-il vraiment sérieux et crédible lorsqu'il affirme que c'est en massacrant des civils dans la bande de Gaza qu'il permettra aux habitants de Sderot de vivre en paix ? Il faut replacer cette agression dans son contexte, qui dépasse très largement le Hamas et les tirs de roquettes. En 2002, la même politique de destruction était conduite en Cisjordanie, par Ariel Sharon à l'époque, sans que le Hamas y soit pour rien. Une fois encore, le gouvernement israélien se livre à une démonstration de force visant à redonner du crédit à une armée un peu moins dissuasive depuis l'échec de l'opération « Pluie d'été » au Liban en 2006. On ne doit pas négliger non plus la proximité des élections : ce sont les massacres de Palestiniens qui serviront d'arguments de campagne à Kadima et aux travaillistes. Ce qui est certain, c'est qu'Israël a tout fait pour affaiblir l'Autorité palestinienne, qu'elle n'a jamais voulu considérer comme un partenaire de paix à part entière.

Ne faut-il pas voir enfin dans cette attaque massive et disproportionnée la deuxième manche d'une guerre contre l'Iran, après la guerre du Liban et l'offensive contre le Hezbollah, qui n'avait pas davantage lieu d'être. Le peuple palestinien, qui bien évidemment condamne fermement cette politique du pire, ne peut que mettre en garde Israël contre la menace d'un embrasement de la région, mais aussi contre les retombées de ce conflit dans d'autres pays du monde

À ce titre, nous avons condamné avec la plus grande fermeté tous les actes racistes et antisémites auxquels il a donné lieu en France. Dans ce conflit, nous devons tous faire preuve de responsabilité, et je voudrais saluer la grande manifestation de samedi dernier, où Juifs et Arabes ont défilé ensemble pour la paix au Proche-Orient. Voilà l'avenir pour lequel nous devons nous battre et auquel nous devons croire tous ensemble.

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