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Intervention de général d'armée Elrick Irastorza

Réunion du 15 octobre 2008 à 16h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

général d'armée Elrick Irastorza :

Je vous remercie de l'opportunité que la commission de la défense offre chaque automne au chef d'état-major de l'armée de terre de pouvoir vous faire un point de situation. Je vais vous donner mes éléments d'appréciation sur le projet de loi de finances 2009, que j'estime globalement satisfaisant.

Depuis cette rentrée 2008, l'armée de terre s'est engagée dans une réorganisation de grande ampleur, qui était devenue indispensable à moins de vouloir faire perdurer, au prix d'un « inexorable déclassement militaire », des dysfonctionnements clairement identifiés. L'enjeu de cette réforme consiste, à enveloppe budgétaire durablement périmétrée au plus juste, à retrouver des marges de manoeuvre pour financer et soutenir nos équipements et pour améliorer la condition militaire de nos hommes.

Cette manoeuvre doit être perçue comme le prolongement de la professionnalisation engagée en 1996. Rappeler quelques caractéristiques de celle-ci ne peut que faciliter la compréhension des problématiques auxquelles nous sommes confrontés aujourd'hui.

Ce fut d'abord une vaste manoeuvre de personnel puisque, avec un peu plus de 230 000 militaires, l'armée de terre pesait à l'époque ce que pèsent aujourd'hui les trois armées. Mais la déflation de l'encadrement qui aurait dû s'ensuivre fut incomplète faute d'un dispositif d'accompagnement suffisamment robuste. Notre taux d'encadrement est donc passé de 32 % à 48 %, ce qui nous permettait, globalement, de rallier les normes de la plupart des armées occidentales équivalentes ; cependant, le pyramidage était imparfait.

Ce fut ensuite une réorganisation territoriale d'ampleur. Toutefois, une orientation très simple avait alors présidé à la conduite de cette opération : maintenir, dans une logique d'aménagement du territoire, un maillage géographique important en dé-densifiant un certain nombre de garnisons voire de régiments. Mais le passage par ces quelques dysfonctionnements était sans doute inévitable pour faire accepter, puis conduire et in fine réussir la professionnalisation.

Avant de rentrer dans le vif du sujet, j'aimerais souligner quelques ordres de grandeur qui permettent de mieux mettre en perspective la nécessité des réformes engagées. Notre masse salariale, pensions comprises, s'élève à 7,5 milliards d'euros, soit 81 % du budget opérationnel de programme (BOP) de l'armée de terre. Avec 800 millions d'euros, dont 23 millions d'euros de ressources exceptionnelles, enveloppe que j'estime au demeurant suffisante, le fonctionnement courant et les activités représentent un peu plus de 10 % de cette masse, tandis que l'entraînement, c'est-à-dire notre coeur de métier, ne représente, lui, que 75 millions d'euros, soit 1 % de cette masse salariale, ce qui constitue en revanche un plancher.

Une fois payés les salaires, le principal poste de dépense du BOP Terre est l'entretien programmé des matériels avec 604 millions d'euros, soit 340 millions d'euros pour l'entretien programmé des matériels (EPM) terrestres et 264 millions d'euros pour l'entretien programmé des hélicoptères, ce qui marque bien l'effort soutenu consenti depuis quelques années dans ce domaine. Mais avec sept régiments sur 99, les quatre régiments de chars Leclerc et les trois régiments d'hélicoptères de combat, qui consomment à eux seuls 60 % de ces crédits, l'inflation des coûts devient de plus en plus préoccupante.

Ces quelques chiffres vous montrent que nous n'avons pas de marges de manoeuvre, sauf à ne plus s'entraîner, et que les réformes sont nécessaires pour nous redonner un peu de souplesse. C'est ce que je souhaite à présent mettre en évidence en revenant sur les éléments de contexte et en abordant successivement la réorganisation, la « manoeuvre » des ressources humaines, les équipements et la préparation opérationnelle de l'armée de terre.

L'été a été difficile. Le drame de Carcassonne a mis en lumière un certain nombre de dysfonctionnements dans la gestion des munitions et de manquements impardonnables aux règles les plus élémentaires de sécurité. L'armée de terre assume collectivement ses responsabilités et en tirera toutes les conséquences, notamment en matière de contrôle des munitions, mais il est impératif que les officiers puissent disposer des prérogatives légales leur permettant de prévenir ce type de dysfonctionnement.

L'annonce des restructurations a ensuite déchaîné passions et rancoeurs dans la population et chez certains élus, mais aussi chez certains de nos militaires tout autant attachés à leur ville de garnison qu'à leur régiment.

La mort de nos dix camarades dans la vallée d'Uzbeen a rappelé à nos concitoyens, et parfois dans nos propres rangs, que, derrière les vocables toujours trompeurs et galvaudés d'opérations d'aide au retour à la paix, de stabilisation ou de normalisation, se cachaient de véritables opérations de guerre avec tout ce que cela comporte, et surtout qu'une fois choisi ce métier, on ne choisit plus ses missions. Mais elle a aussi rappelé que toute opération militaire comporte un volet médiatique qui va bien au-delà de la simple relation des faits et devient partie intégrante du conflit, fût-ce au prix de dommages collatéraux pour nos familles et nos soldats en opérations ou en cycle de préparation opérationnelle.

Après cette période difficile, les temps ne sont plus aux doutes et aux atermoiements, mais à l'action, et tous les officiers en situation de commandement, des généraux aux chefs de corps, ont reçu leur feuille de route pour la conduite du changement.

La nouvelle organisation retenue n'a qu'une ambition : donner à l'armée de terre les moyens humains et techniques d'emporter la décision là où elle sera engagée, le plus souvent en coalition, européenne notamment.

Conformément aux directives du Livre blanc, les forces terrestres potentiellement projetables représenteront environ 88 000 hommes, forces qui seront organisées en huit brigades interarmes (deux de décision, quatre multi-rôles et deux d'engagement d'urgence), soutenues par trois brigades spécialisées dans le renseignement, le soutien logistique, les transmissions et l'appui au commandement. Il convient d'y ajouter les forces spéciales et les unités d'hélicoptères, qui feront l'objet d'un rattachement particulier au commandement des forces terrestres.

L'armée de terre s'est engagée dans un plan de restructuration ambitieux qui poursuit trois objectifs : améliorer le caractère opérationnel de l'outil de défense en regroupant notamment les unités qui doivent s'entraîner ensemble, c'est-à-dire les brigades de renseignement ainsi que les forces spéciales ; rationaliser, notamment par la mise en place de bases de défense, un déploiement aujourd'hui très dispersé ; optimiser les soutiens courants par leur mutualisation. Cette réorganisation se traduira à l'horizon 2012 par la dissolution de 18 régiments, l'abandon de 30 garnisons et la réorganisation fonctionnelle de la totalité des formations restantes, dans le cadre de la révision générale des politiques publiques.

Cette démarche de restructurations est ambitieuse mais nécessaire pour réduire nos frais de fonctionnement courant. Nous aurons besoin d'utiliser toutes les ressources disponibles pour mener à bien nos réformes. Je relève que les coûts liés aux restructurations tout comme l'application de politiques gouvernementales jugées prioritaires, comme le plan égalité des chances ou le plan développement durable, seront en principe couverts par l'apport de ressources exceptionnelles : 23 millions pour le BOP 178 et plus de 63 % de la ressource accordée du programme 212 « Soutien de la politique de défense ». C'est bien cet apport qui permettra à l'armée de terre de conduire le changement.

La manoeuvre RH impactera pratiquement toutes les formations de l'armée de terre, concernera directement près de 50 000 personnels militaires et civils, soit par des départs de l'institution, soit par des mutations, et touchera 15 000 conjoints et 28 000 enfants. L'armée de terre perdra par an environ 3 600 personnes (2 800 militaires et 800 civils). En fin de cycle, ses effectifs s'élèveront à 121 000 hommes, soit une réduction de 24 450 militaires et civils. À ces effectifs il convient d'ajouter les militaires en kaki servant hors de l'armée de terre.

Pour mener à bien cette déflation nous disposons de trois leviers : les non-recrutements, les non-renouvellements de contrat et les départs volontaires et naturels. Je privilégie bien évidemment les deux derniers en espérant que, dans une conjoncture difficile, le nombre de départs sera conforme à nos prévisions grâce à la mise en place de mesures d'incitation et d'accompagnement. À cet égard, je souligne que le dispositif des pécules me semble pour partie lié au vote de la loi de programmation militaire, alors qu'il nous faudrait le mettre en oeuvre dès le début de 2009 pour en tirer d'emblée un maximum d'effet pour ce qui est de la masse salariale. Enfin, il est bien évident que si les mécanismes d'intégration dans les fonctions publiques de notre personnel souhaitant y poursuivre leur vie professionnelle ne fonctionnent pas bien, nous aurons du mal à tenir nos objectifs.

L'impératif de jeunesse est un principe-clé dans une armée professionnelle composée à 72 % de contractuels à carrières courtes, voire très courtes. Pour maintenir une moyenne d'âge des militaires compatible avec la disponibilité opérationnelle que nous attendons tous, nous devons en permanence régénérer nos effectifs et donc recruter. C'est l'une de mes préoccupations majeures : si nous limitons voire stoppons nos flux d'entrée, notre système vieillira et s'effondrera sur lui-même faute de combattants jeunes.

En ce qui concerne le financement de la masse salariale, j'estime que nous aurons très probablement un déficit de fin de gestion en 2009 du fait d'un sous-soclage structurel lors de l'entrée en LOLF, que j'évalue aujourd'hui à près de 60 millions d'euros, et d'une divergence d'appréciation qui reste à évaluer sur le glissement vieillesse technicité. Si tel devait être le cas, il est impératif que ce problème ne trouve pas sa solution dans une augmentation brutale d'une déflation déjà bien délicate à mettre en oeuvre sans trop porter atteinte aux capacités opérationnelles de l'armée de terre ou à son moral. Il me parait donc souhaitable que le tempo de la déflation soit sanctuarisé en effectifs dans la prochaine loi de programmation militaire.

J'en viens maintenant aux équipements. Le projet de loi de finances est très encourageant pour les livraisons et les commandes d'équipements majeurs. L'année 2009 sera marquée par trois commandes majeures – deux en fait, car l'une d'entre elles constitue le report d'une année précédente : 332 véhicules blindés de combat d'infanterie (VBCI), 16 000 équipements FELIN et 22 hélicoptères NH90, ce qui explique l'augmentation substantielle de notre enveloppe en autorisations d'engagement. Je souligne également les commandes de 50 drones tactiques supplémentaires, de 53 véhicules haute mobilité, des 50 premiers porteurs polyvalents terrestres (PPT), de 232 petits véhicules protégés et du premier lance-roquette unitaire (LRU). Il est clair que ces commandes viennent compenser les choix opérés au cours de la loi de programmation militaire précédente. J'en déduis que, conformément aux orientations du Livre blanc, nous bénéficions d'un effort significatif qui devrait nous permettre de poursuivre la régénération de nos principales capacités de combat.

Je souligne également que nous allons prendre livraison d'équipements bien adaptés à nos engagements actuels. Ils nous permettront de combattre avec la puissance de feu et la précision requises, tout en garantissant un maximum de protection à nos soldats : 96 VBCI, 2 749 FELIN, 34 canons CAESAR et 8 hélicoptères Tigre seront ainsi mis en service dans les forces en 2009.

Je ne veux pas oublier les systèmes d'information et de communication (SIC) dont la livraison nous permettra de poursuivre la numérisation de l'espace de bataille. Nous recevrons 56 systèmes d'information régimentaires (SIR) et 1 600 postes de radio de quatrième génération (PR4G), qui sont désormais indispensables à la mise en convergence sur le terrain de nos capacités interarmes, interarmées et interalliées. J'estime, par ailleurs, que pour mieux contrer les dernières technologies de téléphonie civile, conservées par nécessité sur la plupart de nos théâtres dans le cadre du règlement global des crises, il conviendrait de donner une impulsion plus soutenue à la guerre électronique de contact.

Les programmes à effets majeurs devraient donc être au rendez-vous, mais il est essentiel que les petites opérations de cohérence, par essence plus morcelées, ne s'en trouvent ni écrasées ni évincées pour autant.

L'augmentation de 8 % du budget de l'entretien programmé des matériels devrait nous permettre, avec 604 millions d'euros, de conserver une disponibilité technique des matériels en opérations supérieure à 90 %, et suffisante en métropole pour préserver un niveau d'entraînement compatible avec le respect de nos contrats opérationnels. La création à l'été prochain, pour un fonctionnement nominal au 1er janvier 2010, des nouvelles structures de maîtrise d'ouvrage déléguée, la structure interarmées de maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres (la SIMMT), c'est-à-dire le pendant terrestre de la SIMMAD et de maîtrise d'oeuvre, le service de la maintenance industriel terrestre (SMITER), le pendant du SIAé, et le commandement de la maintenance terrestre (COMMT), rattaché au commandement des forces terrestres, nous permettra d'amorcer une rationalisation en profondeur de nos structures de maintenance. La poursuite de la montée en puissance de la politique d'emploi et de gestion des parcs (PEGP) devrait nous permettre de contenir les coûts croissants du maintien en condition opérationnelle (MCO) en limitant au plus juste le volume et le rythme d'emploi des parcs utilisés à l'entraînement.

Les crédits d'entretien programmé des personnels, soit 135 millions d'euros, doivent prendre en compte les besoins croissants de nos hommes sur les théâtres, notamment dans le domaine de la protection par des améliorations ciblées. Mais, en raison d'une enveloppe constante, je suis contraint de conduire une politique de différenciation des paquetages – par théâtre ou par type de formation – et de renoncement à certains effets d'uniforme.

L'engagement opérationnel et la préparation de cet engagement opérationnel sont notre seule raison d'être. Avec 10 250 hommes en opérations, 4 250 en missions de présence et de souveraineté de courte durée, 5 750 en alerte Guépard en permanence et environ un millier déployés sur le territoire national dans le cadre de Vigipirate, l'armée de terre est clairement une armée d'emploi et surtout une armée employée, qui fournit 80 % des effectifs engagés en opérations. Nos hommes combattent au quotidien en Afghanistan, avec plus de 40 accrochages depuis le début du mois d'août. L'abondement supplémentaire du budget opérationnel de programme consacré aux opérations extérieures (BOP OPEX) de 50 millions d'euros permettra d'alléger une contrainte du préfinancement qui pèse lourdement sur la gestion en fin d'exercice.

Le rythme de renouvellement de notre personnel et la complexité de nos engagements, quelle qu'en soit l'intensité, nous imposent un effort incompressible de formation initiale puis d'entraînement. Nos bataillons sont bien entraînés et sont dotés des meilleurs équipements dont nous disposons. Grâce à la procédure de l'adaptation réactive mise au point en 2007, nous avons pu consacrer depuis début 2008 près de 116 millions d'euros supplémentaires à la protection et à la puissance de feu de nos hommes en Afghanistan. Cet effort sera poursuivi en 2009 mais, à ressources financières constantes, il est bien évident que l'effort ne profitera qu'à ceux qui en ont un besoin impératif ; il est impossible de faire autrement.

Je relève que, pour le projet de loi de finances 2009, l'augmentation de plus de 4,5 millions d'euros des ressources en carburant opérationnel devrait nous permettre de maintenir à un niveau seuil les ressources consacrées à la formation et à l'entraînement des forces, soit 73 millions d'euros, hors carburant, et de poursuivre cette politique de différenciation ciblée. De la même façon qu'il n'y aura plus d'égalité devant le paquetage, il n'y aura plus d'égalité devant la formation opérationnelle avant l'engagement : tout est lié au niveau de la crise dans laquelle les forces sont engagées. Je reste vigilant sur les ressources consacrées à la préparation opérationnelle, qui ne peuvent plus servir de variable d'ajustement compte tenu du niveau plancher atteint, et je propose qu'elles soient sanctuarisées dans la future loi de programmation militaire.

En conclusion, je veux vous rappeler que la fin de gestion 2008 conditionnera inévitablement le bon démarrage de l'année 2009 et surtout les réformes qu'il faut mettre en oeuvre sans tarder. Tout dépendra donc des arbitrages qui seront rendus concernant la levée des réserves législatives et le remboursement des dépenses engagées pour la conduite des opérations extérieures.

L'armée de terre, je le réaffirme, s'inscrit résolument dans une démarche de réforme active, consciente qu'elle doit participer à l'effort de l'État de réduction de la dette. Simultanément, nos hommes doivent pouvoir bénéficier de ce qu'il y a de mieux lorsqu'ils vont remplir, au péril de leur vie, les missions qui leur sont confiées. En soulignant l'effort à faire au profit des forces terrestres au cours de la prochaine LPM, le Livre blanc ne dit rien d'autre.

Je vous remercie de votre attention et je suis prêt à répondre aux questions que vous voudrez bien me poser, en espérant que la crise épargnera notre pays.

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