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Intervention de Étienne Pinte

Réunion du 15 octobre 2008 à 10h15
Commission des affaires culturelles, familiales et sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉtienne Pinte :

Les fondements d'une société harmonieuse sont, dans l'ordre, un toit pour chacun, une formation, un emploi et la santé. Du logement découle le reste, car un enfant qui n'a pas de toit ne peut suivre une formation qualifiante ; il n'aura donc pas d'emploi, et il s'ensuivra trop souvent des troubles psychiatriques. Toute la chaîne qui forme l'équilibre d'un être risque donc d'être perturbée s'il n'a pas de toit. Or, bien que les prémices de la crise du logement aient été perceptibles dès les années 1970, nous assumons à ce sujet une responsabilité collective car aucune majorité n'a tenu assez tôt cette question pour prioritaire. Prévision et prévention ayant fait défaut, le déficit du nombre de logements et de places d'hébergement n'a cessé de s'aggraver. Je soulignerai pour conclure ce propos liminaire que tout citoyen a la possibilité de compléter l'action publique par le biais de loyers solidaires ou d'intermédiation.

Sans revenir sur le détail du rapport, je mettrai l'accent sur le diagnostic et sur les mesures que j'ai proposées au Premier ministre et à la ministre du logement.

En décembre 2007, le Premier ministre m'a confié une mission relative à l'hébergement d'urgence et à l'accès au logement des personnes sans abri et mal logées. C'est qu'une deuxième manifestation des enfants de Don Quichotte avait eu lieu ; il avait donc fallu, une fois de plus, que des associations fassent pression en tirant la sonnette d'alarme pour que des décisions soient prises, en urgence et à chaud. De même, si nous avions anticipé les besoins en logements de la société française, nous n'aurions pas été contraints de voter, en mars 2007, la loi DALO qui entre progressivement en application.

Les logements manquent en France, dans quatre régions principalement : l'Ile-de-France, Rhône-Alpes, Provence-Alpes-Côte-d'Azur et le Nord. Outre que nous ne construisons pas assez de logements en général, nous ne construisons pas assez de logements très sociaux ou adaptés aux populations les plus fragiles. On estime à 100 000 le nombre de personnes sans abri, à 600 000 celui des logements indignes, à 900 000 celui de personnes sans domicile personnel et à 3,5 millions les personnes mal logées. Il faudrait donc construire chaque année 500 000 logements, dont 120 000 logements sociaux. Considérant qu'en 2008, en France, l'un des pays les plus riches du monde, de 7 à 8 millions de personnes selon les estimations, soit quelque 13 % de la population, vivent en dessous du seuil de pauvreté, on mesure la gravité du problème du logement.

Pourtant, depuis le début des années 2000, les gouvernements successifs ont engagé des efforts très importants pour développer et améliorer les dispositifs d'hébergement et le parc de logements. Le nombre des constructions a augmenté ces dernières années, mais il reste en deçà des objectifs et nous ne parvenons pas à consommer tous les crédits consacrés à l'aide à la pierre, qui s'élèvent à 1,25 milliard pour 2008. Une partie de ces crédits a certes été gelée, mais tous les fonds disponibles n'ont pas été utilisés. Commençons donc par dépenser les crédits votés ! C'est une responsabilité partagée de l'État, du Parlement et des acteurs locaux ; si elle n'est pas correctement assumée, nous serons dans une situation difficile face à un ministère du budget qui veut réduire les dépenses. Nous devons nous battre pour qu'au moins les crédits votés l'an dernier soient reconduits. C'est d'autant plus nécessaire que la crise économique et financière va entraîner la baisse de l'offre de logements neufs. Il est donc indispensable que l'État ne relâche pas son effort en matière de construction de logement social et de logement adapté. L'urgence impose une mobilisation générale.

En matière d'hébergement, en dépit des efforts réalisés ces dernières années, les capacités sont insuffisantes, en particulier dans les zones tendues. En Ile-de-France, 45 % des demandes n'ont pu être satisfaites cet été, et 38 % dans le reste du pays. C'est que le droit au maintien dans les structures d'hébergement d'urgence prévu par la loi DALO a eu pour conséquence un engorgement : toutes les personnes qui étaient hébergées dans les centres ont désormais le droit d'y rester jusqu'à ce qu'une solution pérenne leur soit proposée, mais bien peu le sont. Les centres étant déjà bondés, que se passera-t-il cet hiver, c'est-à-dire dans deux mois ?

Outre que certains centres doivent être humanisés ou réhabilités, on manque encore de places dans certaines villes et surtout de logements adaptés, de logements passerelles, de maisons relais et de logements très sociaux. L'État doit absolument privilégier les dépenses orientées vers le long terme et adopter un comportement vertueux. Héberger une famille dans un centre d'urgence ou à l'hôtel – ce nouveau pis-aller – coûte bien plus cher à la collectivité que de louer un logement, même au prix du marché. Aucune estimation précise n'a été faite des coûts économiques, sociaux et sanitaires du « mal-logement » mais on les imagine bien supérieurs à nos dépenses actuelles d'accueil, d'accompagnement social et d'aide au logement. Il est regrettable que l'on agisse toujours dans l'urgence en débloquant des fonds pour répondre aux situations de crise, voire aux drames.

Compte tenu de la crise structurelle et conjoncturelle de la construction, il est inconcevable de diminuer le budget consacré à l'hébergement.

J'ai été frappé par la diversité des personnes qui sont à la rue, menacées de l'être ou qui sont hébergées, et sensibilisé par M. Xavier Emmanuelli au fait que, très souvent, leurs problèmes découlent de troubles du comportement ou de troubles psychiatriques. « Compassion, café chaud et duvet, c'est bien, mais ce n'est pas ainsi que l'on parviendra à sortir de la rue ceux qui y sont », a-t-il coutume de dire ; il a raison. Or, j'ai pu mesurer, au cours de cette mission, à quel point l'État s'est désengagé de la prise en charge des personnes souffrant de troubles du comportement ou de troubles psychiatriques. Leur accès aux soins est notoirement insuffisant en raison du grave manque de professionnels et de crédits. La question de l'hébergement n'est pas traitée à la hauteur des enjeux, ou on laisse les familles la résoudre - lorsqu'il y en a une. Le nombre des lits psychiatriques a baissé de 28,6 % entre 1994 et 2005 ; pendant la même période, la réduction a été de 17,2 % pour les lits de médecine, chirurgie et obstétrique. Trente pour cent des personnes expulsées de logements sociaux – alors qu'elles payent leur loyer – le sont en raison de troubles du comportement, et l'on estime que 68 % des personnes sans abri souffrent de troubles de la personnalité ou de problèmes psychiatriques. Plus longtemps une personne reste à la rue, plus long sera le temps nécessaire à sa réinsertion, comme le souligne La Lettre d'Emmaüs dans sa dernière livraison. Or, personne, à part des associations spécialisées, ne met en oeuvre d'actions ciblées pour ramener ces gens à une vie normale.

Mais ce n'est pas tout. Il faut aussi répondre aux besoins des femmes battues fuyant le domicile conjugal, des jeunes rejetés par leur famille ou isolés, de familles entières qui se trouvent à la rue, des étrangers sans papiers, des demandeurs d'asile, des femmes seules avec de jeunes enfants parfois même au sortir de la maternité... Imaginez ces nouvelles accouchées que, parce que les centres maternels sont pleins, on loge à l'hôtel. Est-ce le lieu de vie adéquat pour une mère et un nourrisson de trois jours ? Elles sont pourtant des centaines dans ce cas dans la seule Ile-de-France.

Ces situations d'extrême précarité sont souvent la conséquence d'un accident majeur dans un parcours marqué par bien des aléas, et si des personnes peuvent « sortir de la rue » grâce aux dispositifs mis en place, d'autres basculeront. Il ne s'agit donc pas d'une population stable, mais d'un flux constant, et ces personnes connaissent d'autres formes de pauvreté et de précarité parfois peu connues : hébergement transitoire dans la famille, chez des tiers, dans des logements de fortune, déménagements forcés, pertes d'emploi, ruptures conjugales... L'éventail des situations difficiles est très large, mais la situation spécifique de certaines populations fait qu'elles ne peuvent prétendre accéder à un logement ou à un hébergement stable. C'est le cas, en particulier, des étrangers en situation irrégulière, qui ne sont acceptés que dans les centres d'hébergement d'urgence. Enfin, certaines personnes préfèrent se trouver à la rue que d'être hébergées dans des structures dont ils se sont fait une image négative, quelle que soit la réalité de l'accueil. Nous devons pouvoir offrir à chacun une solution adaptée à son cas.

La diversité et la multiplicité des intervenants compliquent encore la situation : travailleurs sociaux dans les centres d'hébergement ou les maisons relais financés par l'État, travailleurs sociaux des communes et des départements, personnel des bailleurs sociaux, caisses d'allocations familiales… Il est impératif de clarifier les rôles à l'échelle du département et de l'agglomération pour garantir la coordination et la complémentarité des interventions. L'organisation de l'accompagnement vers le logement échoit naturellement au conseil général en tant que chef de file de l'action sociale. Toutefois, l'État assure avec lui l'élaboration et le pilotage du plan départemental d'action pour le logement des personnes défavorisées, ce qui lui confère une responsabilité. L'accompagnement social est une des conditions essentielles de l'accès au logement et le déficit de moyens à cet effet est régulièrement pointé, notamment en Ile-de-France.

L'éclatement actuel des compétences entre les institutions et l'étendue des champs concernés ne permet pas, pour l'instant, de confier à un seul organisme le suivi social d'une personne, ce qui serait l'idéal. Il faut trouver des modalités permettant de concilier le respect de l'éthique professionnelle et de la confidentialité par les travailleurs sociaux et la nécessité de mieux articuler les interventions au-delà de la compétence stricte des institutions.

Il est temps, aussi, de clairement définir les responsabilités, et notamment celles de l'État. Cela signifie qu'il faut dégager des objectifs précis de réduction du nombre de personnes à la rue, sans domicile ou mal logées, comme l'Angleterre et l'Écosse ont su le faire par des voies différentes. Cela signifie aussi qu'il faut appliquer une politique et en évaluer l'efficacité, et qu'il est nécessaire de revoir l'intervention sociale auprès des personnes à la rue pour définir des cadres d'intervention professionnalisés. Cela signifie enfin qu'il faut sensibiliser nos concitoyens à ces questions pour qu'ils accompagnent ces actions, et que les initiatives individuelles entrent dans ces cadres d'intervention. Il ne s'agit pas de rejeter le volontariat mais de l'insérer dans un processus professionnalisé.

Les propositions que j'ai remises au Premier ministre suivent trois axes : prévenir la mise à la rue, sortir de la rue et se donner les moyens d'appliquer la loi « DALO » en augmentant le nombre de logements. Sur le plan budgétaire, les efforts de l'État en matière d'hébergement et de logement doivent être intégralement maintenus aussi longtemps que la crise ne sera pas résorbée. En dépit des difficultés, il est indispensable que les 950 millions de crédits votés par le Parlement et les 250 millions ajoutés par le Premier ministre soient maintenus et que les DDAS ne se trouvent pas sans argent en juin, comme elles en font état. Je pense en avoir obtenu le principe, même si je sais que le collectif à venir demandera que des ajustements soient faits.

En matière d'hébergement, la ligne budgétaire pour 2008 ne permettait pas de remettre les compteurs à zéro et de financer les nouvelles décisions. Au stade actuel, l'enveloppe prévue pour 2009 semble insuffisante pour répondre aux besoins, poursuivre le développement des maisons relais et substituer à l'hébergement des logements temporaires, à terme moins coûteux. De plus, le développement de l'intermédiation locative n'est pas budgété, alors que le Premier ministre s'était engagé à financer 10 000 logements de ce type en 2008. L'intermédiation locative consiste en la possibilité, pour une association ou pour la collectivité ou pour un bailleur social, de louer à un particulier un logement qui sera sous-loué à des personnes qui en ont besoin.

Pour le programme Hébergement, les besoins étaient au minimum de 1,256 milliard en 2008. On en est à 1,117 milliard, dont 958 millions pour les centres d'hébergement d'urgence (CHU) et les centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS). Le budget initial pour 2009 doit être établi de manière transparente, en tenant compte des besoins recensés par le préfet délégué général. Le Premier ministre a annoncé une rallonge de 50 millions pour terminer l'année 2008 - c'est un premier pas. On utiliserait plus intelligemment les crédits de l'hébergement en destinant au développement de l'intermédiation une partie des sommes consacrées aux nuitées d'hôtel. Enfin, le financement des dispositifs sanitaires supplémentaires n'est pas assuré. Il relève du budget de la santé. Le Premier ministre s'était engagé à ce qu'ils soient financés en 2008 à hauteur de 10 millions ; cette somme doit être pérennisée.

En matière de logement, il est indispensable de maintenir les aides à la pierre à hauteur des 800 millions votés pour 2008 pour le programme Développement et amélioration de l'offre de logement. Les crédits votés doivent être effectivement engagés, et davantage concentrés sur les zones les plus tendues. Alors que 798 millions ont été votés dans la loi de finances pour 2008, 643 millions seulement ont été répartis, le reste ayant été gelé ou non utilisé. Les collectivités territoriales ont une part de responsabilité dans cette situation. Les fonds non encore engagés pourraient servir à mieux financer la production de maisons relais – par exemple, comme le recommande Michel Pélissier, en portant à 35 % ou même à 50 % le taux de subvention - et à renforcer les fonds propres de l'ADOMA. Les crédits affectés à l'ANAH n'ont pas non plus tous été « dégelés », alors que les besoins sont importants. Il est vrai que l'accord conclu entre les partenaires sociaux et le ministère du logement fait que le « 1 % logement » versera à l'État une contribution supplémentaire de 850 millions par an pendant trois ans, qui seront répartis entre l'ANRU et l'ANAH. Ce versement fait parler, je le sais, mais l'urgence étant à la construction de logement sociaux et très sociaux, je ne vois qu'avantages à la réorientation des priorités de ces organismes.

A la suite des propositions que je lui ai faites fin janvier, le Premier ministre a érigé le traitement de l'habitat indigne au rang de priorité absolue, fixant un objectif de 15 000 logements à traiter dès 2008 et l'assortissant d'une enveloppe complémentaire de 60 millions. Or tous ces moyens n'ont pas encore été utilisés. Il faut donc améliorer l'ingénierie de l'ANAH et sa réactivité.

Il faut aussi conditionner les avantages fiscaux à une vraie contrepartie sociale. Les aides fiscales au logement représentent aujourd'hui 9 milliards, hors aides à la pierre. Les aides à l'investissement locatif devraient être davantage conditionnées à une contrepartie sociale effective et recentrées sur la location et la sous-location aux personnes les plus modestes.

A la suite de mes premières propositions, le Premier ministre a nommé un préfet délégué général à l'hébergement d'urgence et à l'accès au logement, chargé de coordonner les services de l'État. Il faut aller plus loin, en clarifiant le pilotage au niveau départemental auprès du préfet ; en renforçant les pouvoirs des préfets pour faire respecter la loi « SRU » par l'exercice du droit de préemption et la délivrance de permis de construire : en lançant une campagne de sensibilisation pour faire connaître les maisons relais, les résidences hôtelières à vocation sociale et les formules d'intermédiation. A cet égard, il m'a paru singulier que l'adjointe au maire chargé du logement à Marseille ait ignoré l'existence des maisons relais jusqu'à ce que je lui en parle.

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