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Intervention de Bruno le Maire

Réunion du 20 janvier 2009 à 17h00
Commission des affaires étrangères

Bruno le Maire, secrétaire d'état chargé des affaires européennes :

C'est un grand honneur pour moi d'être accueilli par votre Commission, que je connais bien et dont j'ai toujours apprécié les travaux. Chacun sait par ailleurs l'amitié qui me lie à vous, monsieur le président.

La présidence de l'Union européenne est une question qui mérite d'être abordée avec une grande lucidité et d'une façon aussi équilibrée que possible. Il ne me semble pas qu'il y ait des motifs d'insatisfaction à l'issue de la présidence française que nous venons de vivre ; il existe en revanche des sujets d'inquiétude : on peut notamment se demander si l'Union parviendra à conserver son esprit d'initiative face aux difficultés actuelles, qui proviennent aussi bien de l'Europe elle-même que du reste du monde. Pour cela, il faudra non seulement faire preuve de sens politique, mais aussi disposer des moyens institutionnels nécessaires.

Notre pays venant d'exercer une grande présidence de l'Union, certains en ont déduit que l'année 2009 ne serait pas aussi marquante au plan européen. Or je suis personnellement d'un avis opposé. J'ajoute que je n'ai guère été surpris par la réussite française, car nous avions un Président de la République très actif, ainsi qu'un Gouvernement très mobilisé, qui a réalisé une préparation très en amont et très poussée au plan technique, préparation que j'ai eu l'occasion de suivre de près lorsque j'exerçais mes fonctions à Matignon. Bernard Kouchner s'est beaucoup investi dans cette question, et nous avons pu nous appuyer sur un représentant permanent auprès de l'Union européenne tout au fait exceptionnel en la personne de M. Pierre Sellal.

La question est aujourd'hui de savoir si l'Union saura préserver cet élan en 2009. Pour que l'année qui s'ouvre soit également une grande année pour l'Europe, le premier défi à relever concerne nos institutions communes. Je pense en particulier à la ratification du traité de Lisbonne, objet de nombreuses incertitudes en raison du référendum qui devrait être organisé en Irlande cet automne, mais aussi de la situation politique en République tchèque.

Pour m'être récemment entretenu avec mon homologue, M. Alexandr Vondra, ainsi qu'avec le premier ministre, M. Mirek Topolanek, et le Président de la République, M. Vaklav Klaus, je peux vous dire que la ratification du traité de Lisbonne continue à faire débat en République tchèque. Alors qu'il paraissait acquis qu'elle aurait lieu en début d'année, le gouvernement de ce pays considère maintenant qu'il obtiendrait un beau résultat si elle était effective dès le printemps.

Or, je le répète : il s'agit d'une question essentielle. Si nous ne disposons pas des institutions permettant d'assurer une direction ferme de l'Union européenne, l'Europe politique que nous appelons de nos voeux, en compagnie d'autres peuples, ne pourra pas voir le jour. J'y reviendrai plus tard si vous le souhaitez.

Un deuxième sujet de préoccupation concerne la capacité de l'Union à apporter, en temps utile, des réponses à la crise économique et financière qui est en train de balayer toutes nos certitudes. Alors que tous les constructeurs français et européens assistent aujourd'hui aux Etats généraux de l'automobile, organisés à Bercy par Luc Chatel et Christine Lagarde, on voit bien que les institutions européennes ne sont pas, pour le moment, en mesure de réagir rapidement à la crise actuelle, bien qu'elle détruise de l'emploi et menace des sites industriels.

Pour y faire face, nous devrons instaurer des mesures rapides, puissantes et coordonnées. Je m'y emploie à la faveur des déplacements que j'ai déjà entrepris auprès de la Commission européenne et des États-membres de l'Union les plus concernés, mais je constate que l'Europe ne dispose pas encore des moyens nécessaires pour réagir rapidement et vigoureusement.

Cela vaut en particulier pour la crise financière : il faut que nous soyons capables de définir une position commune dans les semaines qui viennent, avant le début du prochain G20, consacré à la régulation financière. Nous avons pris des engagements très forts devant nos concitoyens, leur promettant : « plus jamais ça ». Pour cela, nous avons fixé l'objectif qu'il y ait désormais des règles, objet d'une surveillance effective ; mais encore faudrait-il commencer par nous mettre d'accord au plan européen sur une position commune, ce qui n'ira pas sans difficultés.

En effet, alors que l'économie britannique repose largement sur la dérégulation financière, les Allemands et les Français aspirent à une réglementation plus forte. De même, tandis que notre pays accueille assez favorablement l'idée d'une coordination européenne de la supervision, qui pourrait notamment être assurée en liaison avec la Banque centrale européenne (BCE), l'Allemagne demeure très attachée au principe d'une supervision bancaire au plan national. Nous devrons donc approfondir très rapidement le dialogue afin d'assurer la compatibilité de nos positions.

Sur cette question essentielle, il faudra que l'Union européenne établisse la preuve qu'elle peut trouver les solutions qui sont attendues d'elles. Des réponses apportées à cette question essentielle, ainsi qu'à celle de la ratification du traité de Lisbonne, dépendra l'Europe que nous bâtirons dans les années, voire les décennies, à venir. C'est pourquoi 2009 sera une année décisive.

En vous interrogeant sur les relations entre la France, la République tchèque et la Suède, vous avez abordé un autre point essentiel, monsieur le président. A défaut d'une présidence stable, nous avons en effet besoin d'un bon fonctionnement du trio formé par la présidence sortante, la présidence en exercice et la présidence à venir.

Pour ce qui est de la République tchèque, je suis en contact permanent avec M. Vondra, et il m'arrive de m'entretenir directement avec M. Topolanek. J'ai par ailleurs noué des contacts avec mon homologue suédoise, que je devrais revoir très prochainement à Stockholm.

Toutefois, chacun entrevoit sans peine les difficultés de fonctionnement auxquelles un tel trio peut se heurter. Il est possible d'organiser une consultation à 3 aussi bien qu'à 27, mais ce n'est pas le cas de la prise de décision. Pour être très clair, celle-ci a généralement lieu entre l'Allemagne et la France, en association avec le pays exerçant la présidence de l'Union européenne ainsi qu'avec d'autres partenaires comme le Royaume-Uni, l'Italie et l'Espagne.

Contrairement à ce que je lis ici ou là, je peux également témoigner, sans manier la langue de bois, que les relations franco-allemandes ne souffrent d'aucune difficulté de nature personnelle : Nicolas Sarkozy s'entend très bien avec Angela Merkel, de même que Bernard Kouchner avec Frank-Walter Steinmeier. Et la force de ces relations a permis depuis des mois de désamorcer les problèmes. Il est vrai cependant qu'il existe certaines difficultés, dont certaines tiennent aux circonstances et d'autres aux évolutions historiques différentes que nos deux pays ont vécues.

Tout d'abord, il est extraordinairement difficile pour des Français, habitués à une stricte hiérarchie au sein du pouvoir exécutif, de traiter avec un gouvernement de coalition rassemblant des partis qui s'apprêtent à s'affronter au cours d'une campagne électorale qui se rapproche – et cette difficulté est d'autant plus grande que nous traversons une grave crise économique et financière.

Le jeu est également contraint par plusieurs règles constitutionnelles en vigueur chez nos voisins – il faut notamment respecter le rôle reconnu aux ministres-présidents des Länder dans certains domaines. Lorsque nous avons invité l'Allemagne à participer aux états généraux de l'automobile, il a ainsi été nécessaire de présenter notre projet non seulement à la chancellerie fédérale, mais aussi à M. Steinmeier et à la CSU en Bavière. C'est un état de fait que nous devons prendre en compte.

Il faut également être conscient que la France et l'Allemagne se sont progressivement éloignées l'une de l'autre pour des raisons plus profondes. L'Allemagne a en effet accompli un effort considérable de compréhension et de dépassement de son propre passé – cela vaut aussi bien pour la Seconde Guerre mondiale que pour la réunification avec l'Allemagne de l'Est. Grâce à ce travail de mémoire, fréquemment sous-estimé dans notre pays, nos voisins ont réussi leur réunification, ce qui n'était pas rien.

L'Allemagne s'est en outre engagée dans un travail d'assainissement de ses finances publiques et de rétablissement de son économie. Ces objectifs n'ont pu être réalisés que grâce à des efforts exceptionnels consentis par tous les ménages pour réduire l'endettement public et le déficit, pour stabiliser les salaires, lesquels n'ont pas progressé en euros courants depuis des années, et enfin pour restructurer l'industrie. De ce fait, nos voisins estiment avoir accompli un travail que nous n'avons pas encore entrepris. C'est un élément essentiel qu'il faut impérativement prendre en compte pour comprendre le regard porté par l'Allemagne sur la France.

Un troisième facteur de divergence résulte des choix industriels de chaque pays : en vue de gagner des parts de marché à l'exportation, l'Allemagne a en effet décidé de porter au maximum sa compétitivité, en assumant toutes les conséquences qui pouvaient en résulter, qu'il s'agisse des politiques monétaire et industrielle, des délocalisations ou encore des relations entre les entreprises et leurs sous-traitants. La France ayant quasiment suivi une orientation inverse, il existe aujourd'hui une divergence entre les intérêts industriels des deux principaux partenaires commerciaux de l'Union européenne, laquelle divergence explique bon nombre des difficultés actuelles.

Ainsi, alors que l'excédent commercial de l'Allemagne s'élève à près de 150 milliards d'euros, la position française est déficitaire d'environ 70 milliards. Il y a quelques années encore, la situation était pourtant presque à l'équilibre. C'est un facteur d'éloignement entre nos deux pays qu'il faut prendre en considération.

J'en viens aux voies et moyens de renforcer les relations franco-allemandes. Il faudra tout d'abord nous efforcer de respecter au mieux l'identité de nos voisins et le travail de mémoire qu'ils ont réalisé sur eux-mêmes. Chaque peuple a en effet son identité, et je ne vois pas pourquoi nous ne serions pas aussi attentifs au respect de ce principe aussi bien quand il s'agit des pays du Maghreb, de l'Iran ou encore des grands États de l'Amérique latine que quand il s'agit de l'Allemagne.

Ensuite, nous devrons impérativement discuter des moyens de poursuivre notre coopération dans de nouveaux domaines : ce que nous avons déjà fait pour l'industrie aéronautique, nous pouvons également le faire pour l'automobile, l'énergie et la construction de gazoducs. Il faut poser les dossiers sur la table et prendre le temps d'en discuter de façon approfondie, aussi bien au niveau des parlementaires et des ministres qu'au niveau des chefs d'État – si ce travail se fait assez naturellement à ce dernier niveau, c'est moins vrai pour les autres échelons.

En dernier lieu, nous devrons veiller à renforcer la connaissance que nos sociétés civiles ont l'une de l'autre en développant encore davantage les échanges entre les étudiants et les apprentis, et plus généralement en favorisant les relations culturelles qui unissent déjà nos deux pays. Il faut stimuler l'intérêt de chacun pour la culture de l'autre. C'est un travail de longue haleine, mais je ne doute pas qu'il porte ses fruits.

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