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Intervention de Jean-Paul Dupré

Réunion du 28 janvier 2009 à 10h00
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Paul Dupré, rapporteur :

Les deux accords que nous devons examiner aujourd'hui portent sur l'encouragement et la protection réciproques des investissements en Guinée et au Kenya.

Ce n'est pas tant par leur contenu, très classique, qu'ils sont importants, que par le fait que leur présentation au parlement coïncide avec une actualité interne qui illustre particulièrement l'intérêt de ce type d'accord bilatéral : chacun se souvient en effet des troubles survenus au Kenya il y a tout juste un an, à la suite de l'élection présidentielle contestée, ou de la crise ouverte par le coup d'Etat intervenu fin décembre en Guinée au lendemain de la mort du président Lansana Conté, qui n'est pas encore résolue.

En d'autres termes, ces deux accords illustrent l'un comme l'autre la nécessité de garantir à nos investisseurs un cadre juridique stable qui les prémunisse notamment des risques de nature politique. Ils sont aussi particulièrement opportuns eu égard aux perspectives d'investissements que le Kenya et la Guinée offrent, qui justifient une attention particulière, même si nos échanges commerciaux avec ces deux pays sont pour le moment encore relativement modestes.

Sur près de 100 conventions bilatérales - (92 exactement) - de promotion et protection des investissements que la France a signées, 23 concernent des pays africains. Une quinzaine seulement, sont en vigueur, certaines n'ayant pas encore été ratifiées.

Les accords en vigueur sont ceux conclus avec l'Afrique du sud, l'Algérie, l'Egypte, l'Ethiopie, la Guinée équatoriale, le Liberia, la Libye, Madagascar, le Maroc, le Mozambique, la Namibie, le Nigeria, l'Ouganda, la Tunisie et enfin la RDC (à l'époque Zaïre).

Dans cette liste figurent bien sûr quelques-uns des principaux partenaires économiques de la France sur le continent, tels l'Algérie et le Nigeria, bientôt l'Angola, mais j'avoue être assez surpris de constater que le Congo, le Gabon, la Côte d'Ivoire, pour ne citer qu'eux, à savoir des pays dans lesquels les investissements français sont importants, où la présence des entrepreneurs et expatriés français est forte et ancienne n'y apparaissent pas. Inversement, la France a conclu des accords avec certains autres pays, comme le Mozambique, la Namibie ou le Liberia, avec lesquels les échanges commerciaux et les investissements restent relativement modestes. Sans doute d'autres considérations que strictement économiques interviennent-elles dans l'agenda de négociation de la France, d'ordre politique ou diplomatique, mais je souhaitais mentionner le fait.

Au plan commercial, la France est le deuxième client et le troisième fournisseur de la Guinée, derrière la Chine et la Côte d'Ivoire, avec des sommes encore assez faibles mais en hausse forte.

Les investissements directs français en Guinée se montent à un peu plus d'une vingtaine de millions de dollars US, sur un total de près de 700 millions d'investissement étrangers directs (IED). Ce sont essentiellement le secteur bancaire et les assurances (BNP Paribas, Société Générale), la distribution, le secteur pharmaceutique, automobile, l'hôtellerie (ACCOR), les transports et transitaires, la construction (VINCI), le secteur pétrolier et gazier (TOTAL), la gestion aéroportuaire (ADP), les télécommunications (ORANGE) qui sont présents. Il faut aussi mentionner une quarantaine d'implantations locales créées par des Français, avec ou sans partenaire guinéen.

Il est prématuré d'estimer les conséquences du coup d'Etat militaire en Guinée qui a eu lieu il y a tout juste un mois. La France est en contact permanent avec la CEDEAO et avec l'UA afin d'aider à la transition et au respect des engagements pris par la junte, avec laquelle le dialogue reste ouvert. Le maintien de notre coopération a notamment été décidé, suite à la visite de M. Alain Joyandet à Conakry au début du mois de janvier. Quoiqu'il en soit, les perspectives sont importantes, d'autant que le désendettement en cours du pays devrait aider au développement des IED. Ils pourraient tripler d'ici à 2013, portés par les ressources naturelles exceptionnelles du pays. Comme dans plusieurs pays africains, c'est le secteur minier, avec d'importants gisements de bauxite, qui est le plus prometteur et qui devrait attirer les plus forts investissements : A titre d'exemple, la Banque africaine de développement a approuvé en décembre dernier le plus grand projet dans le pays, pour un montant de 6,3 milliards de dollars US, portant sur la construction d'une raffinerie d'alumine, qui permettra la création de milliers d'emplois directs et indirects et contribuera au développement économique de la Guinée.

Autre exemple particulièrement parlant des effets néfastes des aléas politiques sur la conjoncture économique et la sérénité des investissements, le Kenya : les violences intervenues lors des élections au début de l'année 2008 a interrompu brutalement le rythme de croissance annuelle du pays qui atteignait 7% en 2007. Des secteurs comme ceux du tourisme, de l'agriculture et des transports ont été particulièrement touchés. Les entreprises, notamment les PME implantées dans l'ouest du pays, ont plus particulièrement souffert.

Fort heureusement, la situation économique semble être rapidement retournée à la normale dans la plupart des secteurs clés et, pour 2009, la croissance devrait notamment être tirée par un programme d'investissement public ambitieux. Sur ce plan, les dernières années ont été marquées par un flux d'investissements français particulièrement élevé, puisqu'il est passé de 5 millions d'euros en 2006 à 440 en 2007, suite à la reprise par France Telecom de l'opérateur historique public kenyan. Le Kenya est désormais classé 33ème (contre 110ème en 2006) dans les IED français et nos investissements représentent désormais 14 % de la capitalisation à la bourse de Nairobi. La présence française est forte d'une quarantaine d'implantations dans des secteurs très diversifiés et génèrerait plus de 10 000 emplois directs : matériaux de construction, télécommunications, distribution d'hydrocarbures, agriculture (café, fleurs), banque, transports, automobile, chimie, pharmacie et services.

Il est important de souligner que c'est précisément le manque de législation incitative au Kenya, qui longtemps l'a confiné aux marges de l'investissement étranger : jusqu'à ces derniers temps, il recevait trois fois moins d'IED que ses voisins ougandais et tanzanien. La Banque Mondiale a notamment établi que l'amélioration récente de l'environnement des affaires, avec la création d'un guichet unique pour faciliter les formalités des investisseurs et diverses autres mesures de simplification administrative, a permis au Kenya de recevoir 728 millions de dollars US de flux d'IED en 2007 contre 51 millions en 2006. Le Kenya est désormais l'un des pays les plus réformateurs en la matière.

En d'autres termes, la signature de la convention avec la France intervient par conséquent dans un contexte porteur qui mérite d'être salué.

D'une manière générale, le but des accords de protection des investissements (API) est d'établir les conditions de protection minimales dont bénéficient les investisseurs, à savoir principalement un traitement juste et équitable, la garantie d'un libre transfert des différents revenus liés aux investissements, une indemnisation prompte et adéquate en cas de dépossession et le recours possible à l'arbitrage international en cas de litige. Ils ouvrent également la possibilité pour les investisseurs français de bénéficier de la garantie de la Coface.

Ceux signés par la France avec la Guinée et le Kenya ont été conclus pour une période de 10 ans, renouvelables par tacite reconduction. S'ils venaient à être dénoncés, les investissements ayant été soumis à leurs dispositions en garderaient le bénéfice pour une période complémentaire de 20 ans. La protection offerte à l'investisseur est donc particulièrement stable.

Ils sont structurés en deux axes : le premier a trait à la promotion et à la protection des investissements, le second au règlement des différends. En d'autres termes, comme je l'ai indiqué, ces deux accords sont fort classiques tant dans la forme que dans le fond, et les quelques différences de rédaction n'appellent pas de commentaire particulier. Le traitement des investisseurs, notamment, est identique dans les deux accords : ils doivent être traités de manière juste et équitable, et de manière aussi favorable que les investisseurs nationaux et ceux de la Nation la plus favorisée, sauf dans le cas de privilèges particuliers résultant de l'appartenance ou de l'association d'une Partie à une union économique régionale.

En matière de règlement des différends par voie d'arbitrage ; il n'y a rien que de très classique dans ce domaine ici aussi, les deux conventions renvoyant les parties en cause au mécanisme prévu par la convention de Washington de 1965.

Si la Banque mondiale avait salué les efforts réformateurs du Kenya, il n'est pas inutile de conclure en indiquant que la CNUCED s'est aussi penchée sur ces accords bilatéraux de promotion et protection des investissements. Je voudrais vous présenter les remarques qu'elle a formulées qui me semblent particulièrement dignes d'intérêt.

La CNUCED a établi en effet que plus de 80 % des accords signés dans le monde ne comportaient en fait pas la moindre disposition sur la promotion des investissements. Lorsque le thème est abordé, c'est, dans la plupart des cas, sans caractère contraignant. En l'espèce, ceux de la France avec la Guinée et le Kenya se bornent à exprimer que « chacune des Parties contractantes encourage et admet, dans le cadre de sa législation et des dispositions du présent Accord, les investissements effectués par les investisseurs de l'autre Partie sur son territoire. »

Or, selon la CNUCED, une promotion effective des IED pourrait aider les pays bénéficiaires à mieux attirer de nouveaux investissements et contribuerait à mieux stimuler la croissance économique nécessaire à leur développement. Elle recommande donc le renforcement des accords sur cet aspect et propose plusieurs pistes telles que l'insertion de mesures tendant à l'amélioration de l'environnement des investissements, notamment en ce qui concerne la transparence et la levée des obstacles informels aux investissements.

La CNUCED indique aussi que certains des accords les plus ambitieux prévoient l'obligation de publicité des réglementations nationales en matière d'investissement, l'échange de renseignements sur les possibilités d'investissements, voire même une aide technique et financière de la part du pays développé envers son partenaire pour la création de conditions favorables.

Les orientations défendues par la CNUCED sont intéressantes et mériteraient d'être soutenues. Je pense notamment qu'il serait opportun que notre pays s'en inspire pour les futures négociations, car les accords n'en auraient que plus d'intérêt et le bénéfice serait autant pour nos investisseurs que pour les pays en développement qui les accueillent. Il ne faut pas oublier que la hausse, importante et rapide, qui s'est surtout produite en matière d'IED vers l'Afrique (qui sont passés de 2,4 milliards de dollars en 1986 à 36 milliards en 2006) s'est produite pendant la période 2001-2007, précisément grâce à un climat plus favorable à l'investissement de la part des pays receveurs, notamment par la modification des législations internes, et grâce aux accords bilatéraux de protection.

En vous recommandant bien sûr d'approuver ces projets de loi, je crois opportun que notre commission attire l'attention du gouvernement sur cet aspect de la question.

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