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Intervention de Thomas Clay

Réunion du 10 septembre 2008 à 9h30
Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Thomas Clay :

C'est un plaisir et un honneur pour moi d'être auditionné par votre Commission à propos d'une affaire qui a porté l'arbitrage à la connaissance du grand public, mais dans une représentation infidèle de ce qu'est cette justice privée. Il ne faut en effet pas croire que tous les arbitrages se déroulent comme celui qui fait l'objet de vos travaux. Dans l'immense majorité des cas, l'arbitrage est une justice qui fonctionne, et qui fonctionne même très bien – c'est pourquoi, d'ailleurs, on en entend peu parler. C'est une justice qui donne toute satisfaction car elle est rapide, confidentielle, adaptée aux affaires et aux usages du monde des affaires. C'est aussi une justice à laquelle les arbitres consacrent tout le temps nécessaire, et qui présente l'avantage pour les parties qu'elles peuvent choisir ceux qui vont les juger. Il ne faudrait donc pas que cette affaire discrédite la pratique de l'arbitrage ; autrement dit, il ne faut pas confondre l'arbitrage en tant que tel et cet arbitrage particulier.

Il ne m'appartient pas de juger l'affaire au fond car je n'ai eu qu'un accès très partiel au dossier et je n'y suis lié en rien, mais il convient de donner un éclairage sur la procédure suivie, qui ne laisse pas d'interroger. Je m'efforcerai donc d'éclairer votre Commission sur le droit et la pratique de l'arbitrage, puis d'éprouver la procédure suivie en l'espèce au regard de ce droit et de ces pratiques avant d'indiquer quels sont les recours possibles à l'égard de la sentence arbitrale rendue le 7 juillet dernier.

L'arbitrage n'est pas une justice exceptionnelle, c'est même la forme originelle de la justice, et il existe depuis quelque 4 000 ans. La seule différence entre l'arbitrage et la justice étatique est que l'on choisit celui qui va rendre la décision à laquelle on accepte par avance de se soumettre.

L'arbitrage n'est pas une justice dérogatoire. Il s'est progressivement imposé comme la justice des affaires, particulièrement en matière internationale, où il est devenu la justice exclusive car nul n'a envie de se retrouver devant la justice de l'autre pays, non par défiance, mais parce que les règles appliquées relèvent d'une autre culture. Le Parlement le sait bien qui, le 17 octobre dernier, a voté la loi permettant l'ouverture d'une annexe du musée du Louvre à Abou Dhabi : ce texte prévoit que tous les conflits seront tranchés par la voie de l'arbitrage. De même que les contractants français ne souhaiteraient pas, en cas de litige, se retrouver devant la justice de l'émirat, de même le contractant américain qui s'implante à Marne-la-Vallée ne souhaite pas se retrouver devant la justice française, si bien que la clause prévoyant le recours à l'arbitrage a été une condition sine qua non de l'implantation d'Eurodisney en France.

Ces deux exemples montrent que l'État peut conclure des conventions d'arbitrage et qu'il est même tenu de le faire lorsqu'il intervient comme opérateur du commerce international. Il n'existe pas d'interdiction de principe du recours à l'arbitrage pour l'État ou les collectivités publiques, mais la question de son recours à l'arbitrage en matière interne se pose peut-être différemment.

L'arbitrage n'est pas non plus une justice occulte ou sulfureuse. Le droit de l'arbitrage repose sur deux séries de normes : normes d'origine nationale et normes d'origine internationale. Pour les normes nationales, c'est le code civil qui autorise l'arbitrage et le code de procédure civile qui l'organise. Ces normes existaient déjà dans le code de procédure civile de 1807, ce qui dit assez la continuité de cette justice.

Pour les normes internationales, la France est liée par une série de conventions qui organisent la reconnaissance des sentences arbitrales dans le pays signataire, souvent encore plus facilement que les décisions de la justice étatique. La plus importante est la Convention de New York signée en 1958 et à laquelle 142 États sont parties.

L'arbitrage n'est donc pas une spécificité française, et c'est un des rares domaines du droit où le droit français rayonne dans le monde entier, au point d'être considéré comme une référence. Ce droit est copié partout, parfois recopié, ce qui fait rayonner la pensée juridique française. Paris est, incontestablement, la capitale mondiale de l'arbitrage, la ville où les plus grands cabinets anglo-saxons ont installé leurs départements spécialisés, celle où se résolvent les plus importants contentieux du commerce international, celle où se concentre le plus grand nombre de spécialistes. Les sentences arbitrales rendues à Paris s'appliquent dans le monde entier de la même manière. Cette prééminence suscite des convoitises, les places de Londres, Genève et Madrid essayant de capter une activité qui a de très importantes retombées économiques. À cet égard, le fait que la sentence rendue ait été immédiatement mise en ligne dessert la réputation de la place de Paris, principal centre d'arbitrage mondial.

L'arbitrage n'est pas davantage une justice illégitime, du moins dans les cas où il a vocation à s'appliquer, c'est-à-dire dans le contentieux des affaires, interne ou international, ou, plus exactement, depuis la réforme que vous avez votée en 2001, dans le contentieux professionnel, commercial et civil.

En conclusion, la justice d'arbitrage n'est ni exceptionnelle, ni occulte, ni dérogatoire, ni spécifiquement française, ni illégitime. Il reste à savoir si, en l'espèce, elle était légitime.

Au moment de commencer vos auditions, vous avez déclaré, Monsieur le Président, que vos travaux ont notamment pour objet de déterminer si le choix de l'arbitrage en l'espèce est, précisément « légitime » et « opportun ». À titre personnel, je répondrai par la négative. Il me semble en effet que le choix de l'arbitrage était, dans ce cas, non pas illégal mais inadapté, pour les raisons suivantes. En premier lieu, il intervient en cours de procédure, après une décision de la formation la plus solennelle de la plus haute juridiction de l'ordre judiciaire, si bien que l'arbitrage semble être une procédure « parachute » alors que c'est une procédure parallèle. Ensuite, le dossier concerne l'argent public ; or l'arbitrage est par nature confidentiel et il m'apparaît que confidentialité et argent public ne font pas bon ménage. Enfin, le dossier a une forte résonance politique, ce qui ne fait pas meilleur ménage avec l'obligation de confidentialité qui caractérise la pratique arbitrale.

L'inadaptation du choix opéré se traduit dans les spécificités de la procédure suivie, spécificités qui surprennent car elles s'écartent sensiblement des canons habituels. Ainsi, le compromis d'arbitrage encadre si singulièrement le pouvoir des arbitres qu'il l'enserre : non seulement les montants donnés forment une sorte de compromis conditionnel mais la capacité d'arbitrage est limitée par l'autorité de la chose jugée des décisions judiciaires préalables. En résumé, ce compromis, dont la rédaction étonne, ressemble beaucoup à une transaction dans laquelle les parties renoncent à des actions pour obtenir une contrepartie, au demeurant déjà plafonnée.

Ensuite, la sentence arbitrale épouse le compromis. En réalité, elle figure déjà dans le compromis ! Que reste-t-il alors du pouvoir des arbitres ?

La troisième singularité tient au quantum des honoraires. En général, il est fixé en tenant compte de plusieurs critères : le montant du litige, sa complexité, sa durée et la notoriété des arbitres. Dans le cas qui nous occupe, la difficulté tient à ce que le montant du litige n'était pas fixé au moment où l'arbitrage a été décidé : parlait-on de 135 millions ou de 400 millions ? Nul ne le sait. Il est donc compliqué de se faire une opinion sur le montant des honoraires versé aux arbitres, mais l'on peut dire en tout cas qu'il s'agit d'un montant très important, que l'on trouve plutôt dans les arbitrages internationaux qui supposent des déplacements, une longue durée et des volumes de mémoires à compulser. Le dossier évoqué en l'espèce a été tranché en moins de six mois, la procédure ayant commencé le 30 janvier et la sentence ayant été rendue le 7 juillet. Il ne m'appartient pas de dire que les honoraires versés étaient illégitimes ou exagérés, mais ils étaient en tout cas importants, et les déclarations faites à la presse par l'un des arbitres jugeant « normal » le montant des honoraires au regard du travail « effrayant » que le dossier avait demandé m'ont semblé indécentes. Je crois savoir que de nombreux magistrats les ont mal perçues.

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