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Intervention de Marietta Karamanli

Réunion du 16 septembre 2008 à 15h00
Mission d’information sur les questions mémorielles

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarietta Karamanli :

Je vous remercie.

Parmi les trois groupes humains victimes, en France, de crimes contre l'humanité, la mémoire des Juifs n'a rien à voir avec celle des Arméniens ou celle des descendants de victimes de l'esclavage.

Pour les Juifs, tout acte d'antisémitisme ramène à la Shoah. Ils font des cauchemars qui les réveillent. Ce n'est pas le cas des descendants d'esclaves. Pour les Juifs, il faut que cela ne se reproduise jamais. La question est très actuelle, très présente. Pour les Arméniens, la question est celle de la négation du génocide par la Turquie. S'y ajoute celle de la survie et du développement de l'Arménie dans ses frontières actuelles. Pour les Antillais, la question est essentiellement identitaire : qui sont-ils ? Leur identité a été niée. Lorsqu'en 1848 la République a aboli une deuxième fois l'esclavage, elle l'a fait sur le principe « Tous nés en 1848 ». Les Antillais étaient invités à faire abstraction du passé et de leurs ancêtres esclaves. L'idée est maintenant de retrouver cette filiation rompue pour s'insérer, par ce travail identitaire, dans la République.

Il est important, lorsque l'on parle de génocide ou de crime contre l'humanité, de ne pas établir une hiérarchie des souffrances. Chacune a sa spécificité mais on ne saurait affirmer que telle souffrance a été plus vive que l'autre. Les descendants d'esclaves ne peuvent entendre ce discours-là. Il n'est pas possible non plus d'établir une hiérarchie en fonction du temps, en accordant par exemple plus d'attention à une souffrance récente qu'à une souffrance ancienne. Lorsque j'étais à la tête du Collectifdom, j'ai poursuivi en justice un historien. Cette démarche a soulevé un grand débat. J'estime en tout cas que la problématique ne peut être abordée de façon apaisée que si elle s'inscrit dans un cadre véritablement national. Toute histoire est communautaire. Les Vendéens ont leur propre histoire, qui peut différer, à des moments donnés, de l'histoire nationale telle qu'elle nous est racontée. Il en va de même pour les Français d'outre-mer descendants d'esclaves. Reste que leur histoire s'inscrit dans un ensemble plus vaste, celui de l'histoire nationale.

Le deuxième écueil à éviter est en effet de croire que les histoires communautaires ne sont pas l'histoire nationale alors qu'elles sont par essence des histoires nationales. Chaque région a son histoire plus ou moins tragique mais chaque région a contribué à l'édification de la nation française.

Encore faut-il que la recherche historique soit menée de manière scientifique. En Guadeloupe ou en Martinique, le terme de « nég'marron » est péjoratif. Or les nég'marrons représentent la résistance à l'oppression. Alors que l'on valorise les résistants métropolitains de 1940, on dévalorise ceux de l'époque de l'esclavage. L'histoire doit être écrite de manière juste et scientifique.

Elle doit aussi redonner à chaque descendant de victime sa place dans la société. Nos compatriotes de métropole sont souvent férus de généalogie. Certains peuvent retrouver des ancêtres jusqu'aux XVIe, XVIIe ou XVIIIe siècles. Comment un descendant d'esclaves retrouvera-t-il ses ancêtres ?

Les descendants d'esclaves ont contribué à construire l'identité de la France. Mme Taubira a souligné, dans ses ouvrages, ce que la richesse de certaines villes, et même l'essor économique de la France tout entière, doivent à la période tragique de l'esclavage. Il ne s'agit pas de réclamer une vengeance ou une revanche mais de restituer dans un cadre national les histoires des différentes communautés qui composent la nation.

C'est à ces conditions que l'on évitera une histoire conflictuelle et que l'on instaurera un vrai dialogue entre les communautés au sein de la nation française, et entre ces communautés et la nation française. En travaillant avec les autres communautés pour restituer l'histoire des Ultramarins, le comité « Marche du 23 mai » évite la concurrence des mémoires, la confrontation, le « tout victimaire », et remet au centre du projet républicain la mémoire de l'esclavage.

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