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Intervention de Pierre Nora

Réunion du 15 avril 2008 à 16h00
Mission d’information sur les questions mémorielles

Pierre Nora :

Bien sûr !

Si la France doit s'ériger en procureur de son propre passé et en juge de la conscience universelle, allons-y gaiement aussi avec les Indiens d'Amérique ! La « pan-diabolisation » de l'Histoire est très grave et doit s'arrêter. Je comprends parfaitement que les Arméniens fassent tout pour la reconnaissance historique du génocide dont ils ont été victimes. Je comprends que la traite des Noirs soit fustigée et que l'on commémore le souvenir de ses victimes. Le problème se pose lorsque la reconnaissance de cette histoire débouche sur une contrainte législative avec toutes les conséquences juridiques que l'on sait. Ma réaction n'a rien de corporatiste – l'Histoire n'appartient à personne – mais les historiens sont les mieux à même de se prononcer sur une certaine forme de vérité historique qui ne se confond pas avec la vérité vécue de la mémoire. Cette révision générale de l'Histoire en fonction de la victime est extraordinairement dangereuse. Prendre conscience de cela, c'est défendre la raison, le bon sens, l'esprit critique, la liberté intellectuelle et l'intérêt national.

Alors, dans ces conditions, que faire ? Le moins possible. Il ne s'agit pas de revenir sur les rapports très complexes de la mémoire et de l'Histoire ou sur l'utilisation du devoir de mémoire : il s'agit de savoir où passe la frontière entre la souveraineté nationale et les mondes de la recherche historique et de l'enseignement, même si elle n'est pas toujours facile à déterminer. Une chose est sûre : la gestion du registre symbolique revient aux politiques. C'est à vous de formuler des recommandations, d'émettre des avis, d'instituer des commémorations, de rendre hommage à toutes les victimes, de veiller aux questions liées à l'enseignement sans pour autant vous mêler des programmes. Et c'est aux historiens de gérer la vérité scientifique, même s'ils peuvent ne pas être toujours à la hauteur de leur tâche.

M. Chirac avait dit que ce n'est pas aux politiques d'écrire l'Histoire, tout comme d'ailleurs M. Sarkozy, alors ministre de l'Intérieur, lorsque nous avions été le voir avec René Rémond et Françoise Chandernagor. Une réforme institutionnelle avait déjà été évoquée : l'Assemblée nationale ne devrait-elle pas pouvoir formuler des résolutions, comme c'était le cas sous la IVe République ? Il me semble que les élus pourraient réfléchir dans ce sens, tout en se gardant des possibles dérives. Les politiques ont des difficultés, les historiens ont les leurs : il est parfois difficile de faire comprendre à l'opinion publique, intoxiquée de mémoires souffrantes, militantes, revendicatrices, que nous ne demandons aucun privilège. Raison de plus pour y réfléchir ensemble.

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