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Intervention de Nicole Mosconi

Réunion du 11 décembre 2007 à 18h00
Délégation aux droits des femmes et l’égalité des chances entre les hommes et les femmes

Nicole Mosconi :

a précisé qu'elle n'enseignait déjà plus dans le secondaire quand elle a découvert ces travaux.

Les premiers ont été réalisés en Angleterre et aux États-Unis. Le travail sur des observations de classe a été lancé en France parce que l'on avait des difficultés à admettre ce qui était écrit dans les articles anglais et américains. Les enseignants à qui l'on dit qu'ils ont deux tiers d'interaction avec les garçons dans les classes mixtes et un tiers avec les filles, le nient avec véhémence.

Aujourd'hui, les résultats obtenus en France corroborent les études anglo-saxonnes. L'analyse doit cependant être affinée. Il faut prendre en compte le sexe de l'élève, mais aussi son origine sociale et son niveau scolaire. Si l'on croise ces trois données, on constate que les professeurs ne traitent pas de la même façon les filles et les garçons.

Mme Mosconi a précisé que la méthode utilisée consistait à observer très finement le déroulement d'une leçon. Neuf chercheurs et chercheuses ont ainsi étudié pendant trois ans une heure de classe de mathématiques.

Une leçon se compose de trois moments : on rappelle d'abord les savoirs acquis lors de la séance précédente, on construit ensuite un savoir nouveau puis on fait des exercices d'application pour vérifier que l'ensemble de la classe a compris. Au moment où le savoir nouveau de la séance se construit, les enseignants ont tendance à interroger des garçons en position scolaire haute, c'est-à-dire les bons élèves. Inversement, pour rappeler des savoirs acquis un peu délicats, ils font appel aux filles parce qu'ils savent qu'elles sont fiables et qu'elles ne vont pas faire perdre du temps pour rappeler des choses supposées connues.

On a également observé, sur une classe de primaire, que l'enseignante interroge les filles à leur place mais fait venir les garçons au tableau. Ils ont alors une craie avec laquelle ils peuvent écrire au tableau. Quand l'enseignante sollicite une fille pour venir aider le garçon qui se trompe au tableau, elle n'a pas de craie pour écrire.

On a ainsi découvert le « pouvoir de la craie ». Avoir la craie, c'est normalement la prérogative du professeur dans la classe. Mais, quand les élèves sont sollicités pour écrire, la distribution de la craie est cruciale.

De même que les parents ne traitent pas de la même façon leurs fils et leurs filles, même s'ils disent le contraire, les enseignants, qui ne sont pas plus sexistes que les autres, mais ne le sont pas moins, ne traitent pas de la même façon leurs élèves garçons et leurs élèves filles. Mais cela s'exprime par des choses extrêmement fines qui passent aussi par du non verbal : intonations de la voix, gestuelle, distance par rapport aux élèves et, en particulier, par rapport aux élèves interrogés.

Un collègue belge a vérifié cette dernière caractéristique dans un colloque entre un enseignant du supérieur et sa doctorante. Selon l'attente que l'enseignant a du doctorant – soit qu'il pense qu'il va faire une très bonne thèse, soit qu'il s'attend à une mauvaise thèse –, la distance dans l'entretien est plus ou moins grande.

Cela se vérifie dans les classes. L'enseignant se rapproche de l'élève dont il attend beaucoup et s'éloigne de celui qui ne lui renvoie pas une bonne image de lui-même parce qu'il n'apprend pas bien. Les bons élèves sont d'ailleurs utilisés comme des auxiliaires didactiques dans la classe. Une enseignant demande à son meilleur élève de montrer au tableau comment il a fait l'exercice. Or, la consigne n'est pas claire et l'élève se trompe. L'enseignant est frustré et se rapproche de plus en plus de l'élève, et écrit même à sa place. Il y consacre du temps, ce que les enseignants appellent le « temps de latence », c'est-à-dire le temps laissé à un élève qui a donné une première réponse insatisfaisante pour qu'il puisse la corriger. Très souvent, quand une fille est interrogée et qu'elle se trompe, un garçon l'interrompt pour donner la bonne réponse. Les filles prennent rarement la parole sans y être invitées. Ce sont en général les garçons qui veulent se poser en dominants, parce qu'ils sont de bons élèves ou parce qu'ils veulent s'imposer par de l'indiscipline.

Les enseignants ont un double regard sur l'indiscipline. Ils l'acceptent plus volontiers de la part des garçons – elle est insupportable mais d'une certaine façon inévitable – et beaucoup moins de la part des filles. L'indiscipline est alors jugée beaucoup plus sévèrement. En effet, quand un garçon est indiscipliné, c'est dans sa nature tandis que, quand une fille est indisciplinée, l'enseignant s'en rend responsable. D'où les réactions souvent agressives de ce dernier vis-à-vis des filles indociles.

Il y a toute une série de stéréotypes qui font que les attentes et les conduites sont différentes selon le sexe de la personne qui est en face de soi. Cela vaut pour les élèves comme pour toutes les personnes et il est difficile d'avoir prise sur ces stéréotypes.

Tout cela est facteur chez les élèves de construction de leur identité sexuée. On apprend également à l'école mixte des positions sociales inégales.

Selon Baudelot et Establet dans « Allez les filles ! », c'est parce que les filles sont plus dociles que les garçons qu'elles s'intègrent mieux dans le cadre rigide de l'institution scolaire et y réussissent mieux. Cette interprétation de la réussite scolaire des filles n'est pas entièrement convaincante. En effet, tant que les filles allaient peu à l'école et avaient peu l'occasion d'y réussir, on expliquait déjà cela par leur soumission. Comment se fait-il que, maintenant qu'elles peuvent aller à l'école et qu'elles ont, grâce à la mixité, accès à tous les savoirs, on explique leur réussite par cette même docilité ? Il y a là un premier paradoxe. Il y a un autre paradoxe qui tient au fait que, constater une supériorité des filles dans un domaine, est tellement contre-intuitif que l'on a besoin de compenser cette supériorité par une explication qui les replace dans une certaine infériorité.

Il y a une explication positive de la meilleure réussite des filles : elle vient de ce qu'elles ont compris l'enjeu que représentent pour elles l'école et le fait d'avoir des diplômes. Elles savent que, sur le marché du travail, c'est plus difficile pour elles que pour les garçons.

Très probablement aussi l'éducation familiale qui est donnée aux filles facilite plus l'adaptation des filles à l'école que celle des garçons. À force de dire à ces derniers qu'ils doivent être indépendants et se défendre quand on les attaque, on façonne chez eux une identité sexuée masculine, voire virile, qui ne prédispose pas à accepter l'autorité à la fois de l'enseignant et du savoir.

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