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Intervention de Martin Hirsch

Réunion du 4 juillet 2007 à 15h00
Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Martin Hirsch, Haut Commissaire aux solidarités actives contre la pauvret :

, a fait observer que les articles 8 à 11 du projet de loi en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat – si celui-ci est adopté – permettront d'expérimenter, dans des départements volontaires, un dispositif qui est le fruit du travail d'une commission ayant réuni, notamment, deux parlementaires, Mme Paulette Guinchard et M. Laurent Wauquiez, et des représentants des syndicats et des associations.

Cette commission cherchait à résoudre le problème de la pauvreté des enfants : comment réduire celle-ci en privilégiant le retour au travail des parents ? Elle a publié un rapport, qui contient une quinzaine de résolutions et qui relève une difficulté majeure : dans un certain nombre de cas, la possibilité de travailler ne permet pas de sortir de la pauvreté.

Pour les personnes qui bénéficient des minima sociaux, la sortie du système est coûteuse : par exemple, une personne bénéficiaire du revenu minimum d'insertion (RMI), qui perçoit environ 440 euros par mois et une allocation, si elle reprend un travail à mi-temps – rémunéré à moins de 500 euros par mois –, ou si elle conclut un contrat d'avenir – dont la durée est plafonnée à vingt-six heures et qui est rémunéré à hauteur de 650 ou 700 euros par mois –, perdra le droit à certaines aides. Il devient alors presque rationnel de ne pas chercher à reprendre un travail. D'autres personnes, qui travaillent pourtant, vont se retrouver dans une situation de très grande pauvreté, d'où une certaine amertume.

Enfin, il existe de nombreuses situations intermédiaires : certains, en s'occupant de personnes âgées ou handicapées quelques demi-journées payées au Smic, par exemple quatre jours par semaine, percevraient ainsi 350 euros par mois. Mais comme cette somme est presque entièrement déduite de leurs prestations, ils ne gagneraient en fait pas un centime de plus que s'ils ne travaillaient pas.

Autre cas de figure : une personne bénéficiaire du RMI, qui avait eu l'opportunité de travailler pendant un été, a reçu ensuite une demande de remboursement de la caisse d'allocations familiales, qui avait recalculé la moyenne de ses revenus en prenant en compte ses revenus de l'été.

Il s'agit de répondre à ce genre de situations. Le dispositif proposé doit donc satisfaire à trois objectifs :

– Le premier est de garantir à toute personne qui reprend un travail que ses ressources vont augmenter, et cela dès la première heure travaillée, sans recréer de nouveaux effets de seuil, qu'il s'agisse d'un temps partiel ou d'un plein temps, et de façon durable. Les mécanismes existants permettent parfois de cumuler différents types de revenus, mais au bout d'un an, les ressources diminuent : l'effet en est évidemment délétère.

– Le deuxième objectif est de disposer d'une arme « anti-travailleurs pauvres ». Parfois, le temps de travail du salarié est contraint, sa qualification insuffisante et ses charges de famille telles qu'il se retrouve en dessous du seuil de pauvreté. Ainsi, sur un total de 2,5 millions de travailleurs pauvres, un tiers est constitué d'intermittents : il s'agit d'une pauvreté due à la précarité ; les situations de temps partiel subi correspondent au deuxième tiers : le plus souvent, des femmes sont concernées ; le troisième tiers est constitué de salariés travaillant à plein temps, avec des charges de famille importantes. Certaines armes ont été imaginées pour sortir ces travailleurs de la pauvreté au travail, à l'image de la prime pour l'emploi ou des négociations salariales. Mais la solidarité doit pouvoir compléter les revenus du travail.

– Le troisième objectif est de simplifier. Le code des droits contre l'exclusion, ouvrage de 800 pages, a recensé le nombre d'aides auxquelles un allocataire du RMI peut théoriquement prétendre : on en dénombre 51 ! Aucun allocataire ne peut effectivement prétendre à toutes et aucun spécialiste du droit social ne peut les connaître toutes. Toutefois elles existent, peuvent se neutraliser, disparaître, d'autant que certaines sont liées à un statut. Le système est donc d'une grande complexité.

À la complexité des aides s'ajoute la complexité des acteurs. Il y en a une douzaine : l'allocataire du RMI aura à faire au conseil général, au centre communal d'action sociale, à la caisse d'allocations familiales (CAF), à la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM), à l'Agence nationale pour l'emploi (ANPE), aux Assédic, à l'Association nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA), etc. Le circuit pourra durer quelques mois avant que l'intéressé puisse faire valoir ses droits de façon effective et qu'on puisse lui parler de travail.

Il faut encore ajouter la complexité des situations. On a souvent classé les gens par catégories : allocataires du RMI, bénéficiaires de l'allocation de parent isolé, personnes relevant d'un autre dispositif ou minimum social, etc.

Ces situations sont difficiles pour les personnes concernées mais aussi pour celles qui sont censées les aider – services sociaux, entreprises, élus – et pour l'ensemble du pays, qui compte plus de situations de pauvreté qu'il ne devrait en dénombrer. Il faut remarquer également que les minima sociaux ont été conçus principalement pour ceux qui sont dans l'incapacité de travailler, et non pour ceux auxquels la société est incapable de procurer un travail leur permettant de vivre dignement.

C'est dans ce contexte qu'a été conçu le revenu de solidarité active. On passe de l'idée d'une allocation différentielle où les aides viennent compléter les revenus du travail, à celle selon laquelle les aides décroissent, mais moins vite que ne croissent les revenus du travail. Il est possible de faire un parallèle avec le bouclier qui concerne les salaires les plus élevés, où l'on fait en sorte de ne pas prélever plus qu'une certaine partie des revenus. Présentement, il se trouve que certains allocataires du RMI, qui reprennent un travail, se voient prélever 100 % de leur revenu supplémentaire. L'idée d'un bouclier consistera à garantir au bénéficiaire du RMI qui reprend un travail rémunéré à hauteur de 500 euros par mois qu'il conservera effectivement 60 % ou 70 % de cette somme, ce pourcentage restant à définir. Il reviendra ensuite aux différents services de recalculer les aides correspondantes.

Tel est le principe du RSA, conçu au départ par la commission précitée comme une prestation qui devait se substituer et non se rajouter au RMI, à l'allocation de parent isolé, aux primes et différents mécanismes d'intéressement, à la prime pour l'emploi et qui avait vocation à s'articuler ou se fondre avec l'allocation aux adultes handicapés (AAH) et l'allocation de solidarité spécifique (ASS). En effet, les problèmes que rencontrent les personnes handicapées sont équivalents à ceux que connaissent les allocataires du RMI : certaines, qui bénéficient de l'AAH, conviennent qu'elles auraient la possibilité de travailler à quart de temps mais qu'elles ne le font pas pour éviter qu'on ne déduise la rémunération correspondante du montant de leur allocation.

Il convient de simplifier les modalités de mise en oeuvre de ces différentes primes, mais aussi certains droits connexes, qu'ils dépendent de l'État ou des collectivités locales. Les barèmes devraient être harmonisés et s'appliquer en fonction non des statuts des intéressés mais de leurs ressources. Des travaux parlementaires ont été menés en la matière aussi bien à l'Assemblée nationale qu'au Sénat pour simplifier et rendre plus juste le dispositif.

Cela demande du temps et de nombreuses concertations sont requises : ces dispositifs sont gérés par des institutions et des collectivités différentes ainsi que des budgets différents ; ils sont enchevêtrés, mais ne peuvent être « détricotés » trop rapidement. D'où la nécessité de trouver une méthode évitant d'aller « dans le mur », sur le plan financier comme sur le plan opérationnel.

Sur le plan financier, il s'agit d'aider les gens à trouver un travail à la hauteur de leurs capacités et de ce qu'on peut leur offrir, mais aussi qui leur permette de s'en sortir. Le travail est conçu comme un socle fondamental. Si l'on fait disparaître les effets de seuil précédemment évoqués, il devrait être possible de permettre à certains de passer d'une situation où ils ne travaillent pas à une situation où ils travaillent – quitte à ce que ce soit à temps partiel dans un premier temps – et de permettre à d'autres, qui travaillent à temps partiel, de travailler à temps plein. Au total, le volume d'heures travaillées serait donc augmenté pour chacun. Cela devrait engendrer des économies en matière de prestations sociales. Cependant, pour permettre ces économies, il faut d'abord consentir à un certain investissement, établir les barèmes et la nature des prestations au bon niveau, sans déstabiliser, dans le même temps, d'autres dispositifs.

Sur le plan opérationnel, les personnes en difficulté rencontrent différentes catégories d'obstacles : les premiers sont liés à l'environnement économique, aux effets de seuil, à la conjoncture économique, à la situation de l'emploi ; les seconds sont liés à leurs propres difficultés, qu'elles concernent l'emploi, le logement, la formation, la santé, les transports, la garde des enfants, le surendettement, etc. Il est possible de déterminer douze ou quinze problèmes fréquents. La plupart des personnes en rencontrent trois ou quatre, qu'il faut traiter en même temps. Or les politiques publiques ne sont plus armées pour cela et ces personnes se trouvent renvoyées d'une administration à l'autre. Il convient donc de créer des dispositifs davantage centrés sur les personnes, plus réactifs, plus fluides et plus rapides. Pour cela, il faut mobiliser les différents services qui ont chacun à gérer leur propre dispositif. Opérationnellement, il est important de modifier les habitudes.

Le pari est double : miser sur la simplification des prestations, pour rendre plus fluide le dispositif institutionnel ; miser sur l'organisation d'expérimentations sur des territoires volontaires.

Le sujet a déjà été travaillé et certains effets de la loi n° 2006-339 du 23 mars 2006 relative au retour à l'emploi et sur les droits et les devoirs des bénéficiaires de minima sociaux ont été mis en évidence. Sur le premier territoire où un travail a été réalisé – le département de l'Eure – il a été décidé qu'un jour donné, les nouveaux allocataires du RMI trouveraient en face d'eux les représentants de la caisse d'allocations familiales (CAF) et d'autres institutions ; qu'il faudrait non plus trois mois, mais trois jours pour mettre au point un contrat d'insertion ; que ces nouveaux allocataires du RMI pourraient bénéficier immédiatement de la couverture maladie universelle (CMU) ; que dès le premier jour, la question du travail serait évoquée, car l'Agence nationale pour l'emploi (ANPE) était aussi présente, avec les offres d'emploi disponibles. Grâce à ce dispositif, le taux de conclusion de contrats d'insertion est ainsi passé de 30 % à 90 %.

Il est aujourd'hui proposé de travailler en deux étapes, en commençant par une étape expérimentale, consolidée et même considérablement renforcée par le présent texte. Elle permettrait de préparer et de faire vivre les expérimentations, tout en favorisant la concertation sur les choix à faire s'agissant de la grande réforme des minima sociaux. Cette phase comporte quatre éléments :

– Premièrement, dans les départements volontaires, sur la partie du territoire choisie comme lieu d'expérimentation, tous les allocataires du RMI ayant une activité pendant cette période – qu'ils la reprennent ou qu'ils en accroissent la durée – se verront garantir un revenu supérieur à celui qu'ils percevraient s'ils ne travaillaient pas ; et cela, sans distinctions entre les allocataires car le dispositif doit être simple et accessible à tout le monde.

– Deuxièmement, les bénéficiaires de l'allocation de parent isolé (API), qui ne bénéficient pas des mécanismes d'insertion, et sont souvent de futurs allocataires du RMI, devraient bénéficier d'un dispositif « miroir » de celui dont bénéficient les allocataires du RMI : en effet, les allocataires du RMI dépendent des conseils généraux, ceux de l'API de l'État. Il serait souhaitable que l'État puisse faire bénéficier les allocataires de l'API du revenu de solidarité sans que l'on attende qu'ils soient sortis du dispositif API.

– Troisièmement, l'État contribuera au financement de ces expérimentations. Les départements pionniers, qui avaient trouvé la démarche intéressante, se sont dits prêts à les financer eux-mêmes, en attendant des jours meilleurs. Mais dès lors que cette démarche s'inscrit dans une réforme globale – d'intérêt local mais aussi d'intérêt national –, il a semblé normal au gouvernement que l'État participe de tous les points de vue à ces programmes d'expérimentation, en particulier en mobilisant les différentes administrations ou les différents établissements publics qui relèvent de sa compétence, la réussite de ces expérimentations devenant l'un de leurs objectifs, en simplifiant juridiquement les dispositifs concernés et en prenant financièrement en charge une partie du surcoût.

– Quatrièmement, les conditions dans lesquelles les départements pourront se porter volontaires doivent être précisées. L'article 142 de la loi de finances pour 2007 a entrouvert la porte de ces expérimentations ; il a conduit dix-sept départements à s'engager dans cette démarche. Il est proposé à ces départements de compléter leur dossier d'ici au 30 septembre s'ils souhaitent bénéficier des modifications que pourrait adopter le Parlement avec le présent texte.

Il est prévu également que les départements qui n'ont pas été intéressés par le premier dispositif, mais qui le seraient par le dispositif renforcé, puissent s'inscrire d'ici au 30 septembre. Néanmoins, leur nombre sera limité à une dizaine. Au-delà, les départements prioritairement retenus seront ceux connaissant le plus de difficultés, et donc ayant le potentiel fiscal le plus faible. Reste à savoir si c'est le bon critère ; il sera possible d'en discuter. Cette phase d'expérimentation devrait durer trois ans, voire moins, si la réforme peut entrer en vigueur plus rapidement, peut-être dès la fin de l'année prochaine.

Telle est l'économie générale de ce dispositif, dont il sera bien sûr rendu compte de l'état d'avancement.

Un débat a suivi l'exposé du Haut Commissaire.

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