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Intervention de Didier Remacle

Réunion du 14 janvier 2009 à 11h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Didier Remacle, représentant le syndicat SUD :

Mesdames et messieurs les députés, dans le cadre du projet de loi de programmation militaire, vous allez bientôt être en position de décider, comme le prévoit son article 11, de privatiser ou non la SNPE.

Nous allons vous remettre une pétition des salariés du groupe que nous représentons, lancée par l'intersyndicale, qui démontre qu'une majorité du personnel est hostile à ce projet. Nous allons vous en expliquer les raisons et attirer votre attention sur trois points qui sont porteurs pour nous d'une très grande inquiétude.

La privatisation et les projets qui pourraient lui succéder constituent, selon nous, des sources de dangers tant pour la sécurité publique et l'environnement, que pour l'équilibre social et pour l'indépendance nationale de notre industrie de défense.

Nous espérons, en vous exposant notre argumentaire, vous faire prendre conscience des spécificités de notre activité industrielle, pour que vous puissiez mesurer les risques liés à l'éventuelle adoption de l'article 11.

Avant de développer les points essentiels de cette présentation, il nous semble important d'apporter quelques éclairages sur la nature de l'activité de notre groupe et sa configuration par filiales et par sites, ce qui permettra de mieux cerner le contexte dans lequel cette privatisation est envisagée.

Nous avons appris par la presse que la privatisation était envisagée sans que jamais, la direction du groupe ne nous en informe ; il a fallu que le conseil des ministres du 29 octobre 2008 le confirme. Dans les mêmes articles de presse, il est fait état du rachat de la filiale principale de notre groupe par le groupe Safran. La direction de notre groupe n'a jamais confirmé ce projet ; en revanche M. Claude Guéant, secrétaire général de l'Élysée, a répondu à nos interrogations par un courrier que l'on peut considérer comme une confirmation. Vous en jugerez vous-même puisque nous avons joint ce document au dossier que nous allons vous remettre.

L'activité de la principale filiale du groupe, SME, est centrée autour du site de Saint-Médard-en-Jalles où l'on fabrique le propergol pour la propulsion du M51, ce qui est une activité stratégique. Cette matière combustible est coulée sur place dans des structures destinées à être assemblées pour assurer la propulsion du missile. Sur le même site se trouve également le secteur automobile où sont fabriqués des blocs de la même matière, destinés à être assemblés dans les générateurs de gaz qui gonflent les airbags. Toujours sur ce site, Roxel, une filiale à 50 % de SME, a une activité centrée sur l'armement tactique. Le site compte environ 1 052 salariés : 252 pour Roxel et 800 pour SME, dont 200 personnes travaillant pour le secteur automobile.

Ce dernier a été conçu pour diversifier l'activité du groupe. Dans les périodes où l'activité stratégique était faible, du personnel était affecté à ce secteur en pleine activité ; aujourd'hui, avec la crise de l'automobile, c'est l'inverse. Cette dualité de l'activité stratégique et du secteur automobile est un avantage économique et social qui équilibre les opportunités d'obtenir des marchés et de maintenir l'emploi.

Le site de Saint-Médard est au coeur du groupe ; l'en séparer serait condamner ce qu'il restera de celui-ci.

SME possède également d'autres sites. Parmi eux figure le centre de recherche du Bouchet (CRB) qui compte 221 employés. C'est le cerveau du groupe. De renommée internationale pour ses capacités de recherche scientifique, il constitue un atout inestimable. Pour comprendre le rôle central du CRB, il faut par exemple savoir que si son activité de recherche cessait aujourd'hui, ce serait la fin du groupe dans 10 ans. Ses activités sont, pour 35 %, constituées d'études pour les filiales EURENCO, Sécurité Auto, Pyroalliance et Structil. Si ces entités quittent le groupe, 35 % des salariés verraient leur emploi remis en cause.

La synergie est réelle entre propulsion, poudres, explosifs et générateurs de gaz. Ce sont des domaines liés, intervenant dans les matériaux énergétiques. Nous sommes les seuls en Europe à travailler dans le domaine des matériaux énergétiques et nous sommes mondialement reconnus.

Le site de Toulouse (200 employés) fabrique le perchlorate utilisé par le site de Saint-Médard où est fabriqué le propergol ; il en produit aussi pour Ariane au travers de la filiale Régulus (65 salariés) qui assure une partie de l'activité à Kourou. Une partie du perchlorate est stockée à Sainte-Hélène où travaillent une dizaine de salariés rattachés au site de Saint-Médard.

Pyroalliance (108 employés), qui est spécialisée dans la petite pyrotechnie pour les séparateurs d'étage d'Ariane ou pour les satellites, et Structil (77 employés) qui fabrique des matériaux composites pour le Rafale ou l'A380 sont également deux filiales de SME.

Enfin, SME possède EURENCO, divisée elle-même en plusieurs filiales dont EURENCO France (389 salariés) qui dispose d'un site à Bergerac, d'un autre à Sorgue et dont dépend PB Clermont (94 salariés) en Belgique.

En dehors de SME, le groupe SNPE a pour filiales Bergerac Nitro Cellulose (217 salariés) et ses sous-filiales Manuco (41) et Durlin France (35). Bergerac Nitro Cellulose est spécialisée dans la fabrication et la vente de nitrocelluloses industrielles utilisées pour les encres et vernis. Elle commercialise des nitrocelluloses énergétiques pour poudres et propergols.

La SNPE comprend également la filiale lsochem (444 salariés) qui propose des solutions adaptées au besoin de ses clients en synthétisant des intermédiaires et des principes actifs pharmaceutiques et agrochimiques. Le groupe a également quelques filiales à l'étranger.

La santé financière du groupe est bonne ; la tendance est à la hausse depuis quelques années, après des caps difficiles. Ce groupe a une cohérence industrielle liée à son histoire. Le privatiser revient à son démantèlement. Pour certaines branches, cela serait fatal.

Aujourd'hui, le seul argument que la direction du groupe a avancé en faveur de la privatisation de la branche stratégique SME consiste à dire que « c'est quand une entreprise va bien qu'il faut la privatiser ». Nous comprenons l'intérêt que cela peut représenter pour d'éventuels actionnaires privés, mais cela va à l'encontre de l'intérêt public.

La nature des produits utilisés pour la production, comme les opérations délicates dues à l'activité pyrotechnique, font de sites comme celui de Saint-Médard des sites classés Seveso II seuil haut. Cela implique une culture de la sécurité, une formation très spécifique, des procédures très contrôlées et de très importants budgets pour la sécurité tant du personnel que de la population alentour.

Aujourd'hui, parce que nous sommes une société nationale, l'État est directement responsable de la sécurité devant les salariés et la population. Si un accident se produit, il doit rendre des comptes. Il arrive que le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) entre en conflit avec la direction ; cependant des moyens suffisants ont toujours été dégagés pour écarter les risques et prendre toutes les précautions nécessaires. Notre direction elle-même, quand elle était en conflit avec le groupe Total après l'explosion d'AZF, affirmait qu'une telle explosion n'aurait pas été possible sur notre site de Toulouse parce que nous ne sommes pas un groupe privé. Si, dans un futur proche, les décisions budgétaires venaient à se trouver placées sous l'influence d'actionnaires privés, dont le but est d'obtenir des dividendes, les risques seraient forcément augmentés de voir les budgets pour la sécurité réduits parce que ce sont des investissements non rentables. Les actionnaires n'ont eux, individuellement, aucun compte à rendre aux salariés ni à la population, ni même à la justice sur les conséquences d'une mauvaise gestion de la sécurité.

De plus, cette pression pour la rentabilité, qui est le moteur des sociétés privées, ne s'exerce pas que sur les budgets alloués à la sécurité. Elle s'exerce aussi sur le temps de travail rentable et le nombre de personnels. Des politiques de sous-traitance sont généralisées partout où cela est possible, ce qui conduit l'employeur principal à décliner toute responsabilité. Toutes ces pratiques sont autant de facteurs aggravants, autant de dérives possibles voire probables, dont on paye un jour le prix fort. Les permettre, alors qu'après 2001 la devise était de dire « plus jamais cela » serait impardonnable.

Mesdames et messieurs les députés, nous pensons que la responsabilité qui vous incombe est considérable.

La politique du groupe en matière d'environnement est sûrement perfectible, mais nous avons pu constater que beaucoup d'investissements ont été effectués dans le bon sens. Sur nos sites, des bacs de rétention protégeant les sols, des systèmes d'eau en circuit fermé et des unités de recyclage ont vu le jour. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, si ce qui pollue est rentable, nous doutons fort que la direction d'un groupe privé qui rend compte à ses actionnaires apporte autant d'intérêt à la recherche de modes de production propres.

Dans le cas d'une privatisation et d'un rachat privé, nous ignorons par ailleurs ce que sera l'avenir, à court terme, de 1 428 salariés du groupe.

Il s'agit d'abord des salariés du secteur automobile de Saint-Médard, activité qui n'intéresse visiblement pas Safran qui regroupe ses activités autour de l'industrie militaire tactique et stratégique. Les structures dans lesquelles est coulé le propergol à Saint-Médard sont fabriquées par la filiale Snecma Propulsion solide du groupe Safran. Les deux entreprises travaillent déjà ensemble dans la plus grande cohérence et de manière efficace. Un regroupement n'a donc aucun intérêt du point de vue de l'activité. On sait d'ailleurs que le groupe Safran s'est séparé de Molex en 2004, entreprise rentable, mais travaillant dans le secteur automobile. Cette entreprise, rachetée par des Américains, vient d'être abandonnée pour de la sous-traitance en Slovaquie. Malgré la pression de l'État, qui est le premier actionnaire de Safran, le groupe a refusé de reprendre Molex. Cet épisode nous fait craindre pour l'avenir du secteur automobile dans le cas d'un rachat de SME par Safran.

Il s'agit ensuite des salariés d'EURENCO (389 salariés), société pour laquelle le nouveau président du groupe, nommé par l'État pour mener à bien les projets en cours, a annoncé le 7 janvier dernier des réductions d'effectifs. Les difficultés d'EURENCO sont liées à des retards de commandes de l'État. Je relève que son activité ne correspond pas au type d'activités industrielles regroupées dans Safran.

Il s'agit également de Pyroalliance (108 salariés) et de toute la branche chimie du groupe SNPE, avec Isochem (344 salariés), PB Clermont (94 salariés) et Bergerac NC (217 salariés).

Nous sommes inquiets pour les parties de la société qui ne seraient pas rachetées et qui, sans être intégrées au groupe SNPE, sont en danger.

Si le groupe ou une partie de celui-ci était racheté, nos craintes de voir s'appliquer une politique de groupe privé sont fondées sur les conséquences d'une telle mesure en termes de sécurité mais elles le sont aussi sur ses conséquences en termes d'emploi. Il y a trop d'exemples de groupes qui se restructurent simplement pour réaliser plus de bénéfices. Notre groupe est financièrement cohérent, pourquoi le détruire ?

Enfin, nous sommes inquiets en ce qui concerne les projets relatifs à l'industrie de défense européenne notamment au vu des dernières déclarations du ministre de la défense sur ce sujet. À terme, il est question d'un partage européen de ces activités, ce qui n'est pas sans générer de nouvelles craintes pour les emplois. Est-il judicieux en ces temps de crise, de mettre en danger l'emploi là où l'activité existe ? Ne serait-il pas plus profitable de sauvegarder notre compétence industrielle ? Il faut savoir qu'aujourd'hui, il n'y a plus, en France, de fabrication de poudre pour les armes de la défense nationale ; nous sommes dépendant de l'étranger. Il en est de même pour les douilles combustibles équipant le char Leclerc.

Nous voudrions également attirer votre attention sur notre troisième crainte, celle de voir une partie de l'industrie de défense stratégique, avec son savoir-faire, passer pour tout ou partie dans des mains privées qui n'ont aucune légitimité à contrôler cette activité. Nous désapprouvons le fait que des actionnaires privés puissent s'enrichir grâce à des investissements qui appartiennent à l'État et dont la propriété est, de fait, celle des contribuables. Nous nous indignons encore plus qu'il puisse être décidé que l'État a la possibilité de se désengager de la défense d'une propriété collective alors que les électeurs n'ont jamais élu aucun député pour autoriser un Gouvernement à le faire. Nous continuerons à défendre ce que nous pensons être l'intérêt des salariés que nous représentons ici, mais aussi l'intérêt collectif et le bien public.

Nous ferons tout pour que ce débat soit porté à la connaissance de l'opinion publique et que chacun assume publiquement ses positions.

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