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Intervention de Christian Vella

Réunion du 14 janvier 2009 à 11h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Christian Vella, représentant la CFE-CGC :

En préambule, vous devez savoir, mesdames et messieurs les députés, que l'ensemble de nos déclarations repose sur une vision commune, les six organisations syndicales ayant décidé de porter le même message.

Dans un contexte économique mondial très difficile, et alors que nous connaissons la plus grave crise financière depuis les années 1920, le Gouvernement croit bon, dans le cadre du projet de loi de programmation militaire 2009-2014, d'inscrire la SNPE et sa filiale SME (SNPE matériaux énergétiques) sur la liste des sociétés privatisables.

Cette décision a été prise et annoncée en même temps que le Gouvernement faisait part de son aide au secteur bancaire, faisant ainsi réagir l'ensemble des personnels sur un plan politique, et non en fonction d'un positionnement envers un projet industriel, comme s'il fallait à tout prix faire rentrer de l'argent dans les caisses de l'État en bradant la SNPE à Safran. L'État a en effet affiché sa volonté de voir la SNPE adossée au groupe Safran : cette démarche est clairement présentée dans le cadre du projet Herakles.

Dans ce contexte, cette décision coupe toute possibilité aux organisations syndicales de pouvoir prendre position sur un véritable projet industriel.

Mais qu'en est-il exactement ?

Ce projet existe depuis plus de 10 ans, autant d'années pendant lesquelles la SNPE a subi les campagnes de presse les plus désobligeantes, créant le doute, la suspicion, et affichant la volonté des présidents de Safran de se servir de SME comme monnaie d'échange. Les éléments présentés semblent faire peu de cas des personnels de notre groupe, tant et si bien que chaque article de presse n'a fait que renforcer le sentiment du personnel de la SNPE d'appartenir à un même groupe et de partager des valeurs.

La délégation générale pour l'armement (DGA) et certains membres des ministères ont savamment orchestré et alimenté cette campagne de presse visant tant la direction de la SNPE-SME que son personnel. Une telle campagne est-elle ou était-elle nécessaire ? Pourquoi la DGA a-t-elle clairement demandé que la SNPE s'adosse à Safran ? C'est une décision arbitraire ! Il est vrai que le lobbying de Safran auprès de la DGA n'est pas neutre.

Mesdames et messieurs les députés, pensez vous qu'il soit sain que, depuis plus de dix ans, un certain nombre de conseillers proches des différents ministres de la défense poursuivent leur carrière dans le groupe dont ils ont soutenu le projet contre la SNPE ? Dans le privé, il existe des clauses de non concurrence !

Notre groupe n'a à recevoir de leçon de personne, comme en témoignent sa production industrielle, ses études technologiques, ses résultats économiques, ou sa politique sociale. La qualité de tout ce travail est le fruit de l'ensemble du personnel de la SNPE, et ce depuis plusieurs années.

SME dégage des bénéfices, et les négociations entreprises par notre ancien président, M. Jacques Zyss, avec le groupe Total, contre lequel la SNPE avait engagé une procédure devant les tribunaux lors de la catastrophe d'AZF, ont abouti à ce jour à une indemnisation de la part de Total. Nous estimons donc que la donne a complètement changé et qu'il est important que vous vous prononciez en faveur d'un « sursis à statuer ». Nous vous demandons de retirer la privatisation de SNPE-SME du projet de la loi de programmation militaire. Il faut d'ailleurs rappeler que lorsque M. Francis Mer était ministre des finances, la baisse de l'action SNECMA avait alors été avancée pour retirer la SNPE de la liste des sociétés privatisables et pour reporter le projet.

Plus que jamais nous estimons que l'État doit demander que des propositions de création d'un pôle fort et compétitif dans le domaine de la défense lui soient faites par les industriels ; ce n'est qu'au vu d'un projet cohérent que l'État doit prendre ses responsabilités, et non pas l'inverse. Il est important de valider et de favoriser la pertinence d'un dossier industriel plutôt que de reconnaître des amitiés.

Légiférer alors qu'un nouveau président arrive à la tête de SNPE sans aucune connaissance dans le secteur de la défense et de l'armement et lui demander de se prononcer sur des mesures immédiates dans un domaine aussi complexe n'est pas une démarche crédible de la part de l'État.

Mesdames et messieurs les députés, vous vous devez de prendre toutes les garanties sur un sujet aussi important qui touche aux droits régaliens du chef de l'État. Vous vous devez aussi de résister aux pressions que le ministère de la défense ne manquera pas d'exercer à votre encontre.

Un nouveau président du groupe SNPE, une nouvelle donne économique, un nouveau délégué général pour l'armement, vous avez là, mesdames et messieurs les députés, toutes les raisons de surseoir à l'inscription en question.

Si un groupe européen devait voir le jour dans le secteur de la défense, pensez vous d'ailleurs qu'il puisse ignorer l'existence d'EADS ?

L'année 2009 doit permettre au nouveau président du groupe SNPE de procéder au redressement d'EURENCO et des autres filiales en difficulté, mais pas dans la précipitation. Le groupe pourra alors jouer de toute sa solidarité vis-à-vis des personnels, comme il l'a toujours fait. Ce ne sera pas le cas si vous privatisez SME et mettez ainsi dans la rue tous les salariés et toutes les populations qui les soutiennent qu'il s'agisse des sous-traitants ou des commerçants.

Enfin, a-t-on mesuré les conséquences d'une telle décision sur le plan de la sécurité quand les salariés sont envahis par le doute, quand ils sont en proie à l'incertitude et au mécontentement ? Non ! Nous ne fabriquons pas du « chocolat », mais des matières fortement énergétiques ! Ce risque s'est accru depuis ces quatre dernières années car nous avons recruté des personnels très jeunes, en phase de formation sur des postes sensibles et à risques.

La SNPE est un groupe appartenant à l'industrie chimique, ce qui nécessite des compétences bien spécifiques, incompatibles avec une gestion sur le modèle de l'industrie métallurgique.

D'aucuns ont sciemment distillé à la presse des informations visant à déstabiliser l'ensemble des personnels, en mettant en avant la nécessité de missionner comme président un « redresseur de sociétés », alors que les résultats sont là, après un lourd investissement des personnels, à tous les niveaux de la hiérarchie. Ces mêmes personnes, tant à la DGA qu'au ministère de la défense et au sein de l'État, veulent à n'importe quel prix la disparition de la SNPE au profit de Safran. Elles porteront la responsabilité de tous les problèmes graves que déclenchera cette orientation, à commencer par les mouvements sociaux à venir.

Avez-vous ou ont-ils vraiment mesuré l'impact d'une telle décision sur les mouvements sociaux en Aquitaine, compte tenu des problèmes de Ford et de Sogerma ? La région Aquitaine a-t-elle les moyens de se priver d'un éventuel reclassement des personnels de l'industrie automobile ? Préférez-vous voir un embrasement social du bassin aéronautique aquitain ? La vraie mission d'un parlementaire consiste-t-elle à mettre les citoyens dans la rue alors que l'on peut avancer par étape sans créer de troubles ni susciter de doutes ?

Certes, l'appétit de Safran est grand, et comme cette entreprise intervient avant tout dans le domaine mécanique, sans s'intéresser à la chimie, elle n'hésitera pas à se séparer de certains secteurs, comme la sécurité automobile de SME, qui pourtant est reconnue mondialement depuis une dizaine d'années pour la qualité de ses produits pour airbags.

Pas de leçon sur le plan social !

À une époque, le président de Safran se permettait dans ses courriers de comparer le personnel de SME à des « pompistes » qui ne faisaient que remplir une structure ! Il aurait mieux fait de réfléchir aux moyens d'appliquer une politique sociale cohérente, qui aurait sûrement empêché une grève de plusieurs semaines sur le site du Haillan de la Snecma propulsion solide (SPS) lors des dernières négociations salariales de 2008 et, plus encore, évité quelques mois plus tard de devoir demander à la SNPE-SME de lui prêter des personnels pour l'aider à rattraper le retard pris par le programme M51 !

Les présidents Jean Faure, Jacques Loppion et Jacques Zyss avaient su, d'une part, éviter le démantèlement de notre groupe et, d'autre part, procéder progressivement au redressement de la situation de notre entreprise. Le limogeage de notre dernier président doit-il être pris comme la volonté de nommer un liquidateur et de faire ainsi disparaître le groupe SNPE alors que la situation économique est assurée grâce à l'indemnisation versée par Total ? Je remarque d'ailleurs que l'État semble se réjouir de ne pas être représenté dans ce procès autrement qu'au travers de la SNPE.

Nous espérons que, sur ce sujet, il n'y a pas eu de délit d'initié de la part de Safran.

Le personnel de SME est fier de son appartenance au groupe SNPE. Nos racines sont historiques autant que notre attachement à l'État. Monsieur le président, je me permets à cet égard de vous remettre trois livres : Les poudriers pendant la Résistance à Saint-Médard-en-Jalles, Histoire des moulins à poudre de Saint-Médard de la Révolution à nos jours et Les cent ans du syndicat de Saint-Médard-en-Jalles. Les stèles à l'entrée de nos usines où sont gravés les noms des personnels morts pour la France témoignent d'ailleurs de notre histoire et de notre implication. Les « poudriers » ne laisseront pas l'État les transformer en harkis du secteur de la défense ! Les nombreuses difficultés des personnels ont créé un très fort esprit de corps à l'intérieur du groupe ; à chaque fois nous avons su nous serrer les coudes, la solidarité a pu jouer pleinement, quel que soit le site. Ne vous trompez pas, le personnel de la SNPE a encore en mémoire le sacrifice toulousain dont il a fait l'objet de la part du Gouvernement.

Priver la SNPE de sa légitimité historique et scientifique dans le domaine des poudres et explosifs, avant même que son nouveau président-directeur général ait été en mesure de soumettre à l'État son diagnostic et ses propositions stratégiques pour l'entreprise, serait plus qu'une faute, ce serait une erreur, financièrement, socialement, stratégiquement et politiquement. Rien ne l'impose.

Tout changement ne doit-il pas se faire dans le respect des identités de chacun ? Il existe certainement des solutions pour la création d'un pôle de défense stratégique. Au moment où s'accélère le processus de décision concernant le projet tendant à rapprocher les activités stratégiques du groupe SNPE et de Safran en matière de propulsion et de matériaux énergétiques, aucun argument sérieux ne peut être avancé pour justifier la création envisagée, ou le passage de l'entité Herakles sous le contrôle de Safran.

Il ne s'agit pas là de plaider en faveur des intérêts de la SNPE, mais de se situer à un niveau supérieur, celui des intérêts de l'État.

Les modestes synergies industrielles d'un rapprochement entre chimistes et mécaniciens sont pour l'essentiel déjà mises en oeuvre au sein du groupement d'intérêt économique qui permet aux équipes de Safran et de la SNPE de travailler harmonieusement ensemble.

Sur le plan social, les statuts des personnels sont différents, les uns dépendant des conventions collectives de la chimie, les autres de la convention collective de la métallurgie. Un statut unique aura pour conséquences un coût non négligeable et, bien entendu, comme vous le comprendrez, un climat social dégradé. Avons-nous aujourd'hui, en cette année 2009 qui s'annonce difficile, les moyens de vivre une telle situation ?

Il n'y a rien à gagner sur le plan industriel à rapprocher les deux entités.

Enfin, mesdames et messieurs les députés, il vous faudra bien tenir compte de la décision du conseil constitutionnel en date du 29 décembre 2008 sur la loi de finances rectificative pour 2008, qui vous a demandé de revoir votre copie sur le régime d'octroi des garanties de l'État pour la dépollution de certains terrains de la SNPE.

Mesdames et messieurs les députés, vous avez à ce jour, et en toute sérénité, toutes les raisons de surseoir à l'inscription demandée.

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