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Intervention de Bruno le Maire

Réunion du 4 mars 2009 à 16h15
Commission de la défense nationale et des forces armées

Bruno le Maire, secrétaire d'état chargé des affaires européennes :

Le rôle de l'Union européenne ou de l'OTAN dans cette région du monde est subordonné à l'obtention d'un accord de paix entre les différentes parties. En l'absence d'un tel accord et d'un mandat des Nations unies, la présence de troupes sur le terrain est impossible. Je rappelle que la France n'envoie aucune troupe sur un théâtre extérieur sans mandat des Nations unies légitimant l'usage de la force.

Je reconnais que les remarques de M. Cazeneuve sont intéressantes, même si je ne partage pas les conclusions qu'il en tire. Je pense, pour ma part, qu'un écart trop grand entre nos décisions et nos postures politiques n'est jamais de bonne politique. Or, il se trouve que la France, sous tous les gouvernements, de gauche comme de droite, s'est engagée militairement dans l'OTAN, comme l'atteste la présence massive de ses troupes. Pour quelle raison ? Notre sécurité était en jeu et nous n'avions pas d'autre solution. Pour combattre le terrorisme et le régime taliban en Afghanistan, il fallait y envoyer des troupes aguerries, un certain volume de forces : seule l'OTAN était en mesure d'apporter un tel soutien et de monter rapidement une opération militaire de ce type.

À partir du moment où nous acceptons cette logique, il me semble raisonnable et normal d'accorder nos principes avec nos actes. De la même façon, nous avons retrouvé notre dignité et notre honneur dans les Balkans, notamment au Kosovo, en mettant fin à des comportements inacceptables de la part de troupes serbes que les Nations unies avaient été incapables d'endiguer – des troupes européennes auraient été tout aussi impuissantes – parce que nous avons eu recours à l'OTAN, sur la base d'un mandat des Nations unies. Sans revenir sur l'épisode tragi-comique de ce mandat, il se trouve que nous n'avons pu sauver l'honneur européen qu'avec le soutien des troupes de l'OTAN. Ne l'oublions pas !

Je sais me montrer pragmatique, et cette décision d'un retour dans le commandement intégré ne me gêne pas car elle permet de mettre en accord nos actes – qui ont contribué à sauver nos valeurs essentielles, notamment en Europe – et notre positionnement politique.

Quant au discours de New York de M. de Villepin, je pense qu'il aurait pu être tenu de façon identique si la France avait fait partie du commandement intégré. Nous défendons nos principes et nos valeurs lorsqu'ils sont menacés et que nous jugeons qu'il est de notre intérêt de les défendre. Comme vous le savez, au sein de l'OTAN, les décisions sont prises à l'unanimité, sur la base du consensus. C'est donc davantage une question de personnalité et de volonté que de présence, totale ou partielle, dans le commandement militaire intégré de l'Alliance.

J'en viens au Livre blanc européen. C'est une idée que nous avons toujours soutenue et que je continue à soutenir. Mais on ne peut pas dire que nous n'avons pas progressé sur ce sujet, car, pendant la présidence française de l'Union européenne, nous avons rénové la stratégie européenne de sécurité et l'avons précisée sur de nombreux points, notamment celui de la prolifération, balistique et nucléaire. Face à l'Iran et au terrorisme, nous nous sommes dotés d'une stratégie de sécurité européenne. Tout cela constitue le point de départ d'un Livre blanc européen dont j'estime, comme vous, qu'il est absolument indispensable.

Vous me demandez en quoi notre présence au sein de l'Alliance nous permettrait d'être plus influents. Regardez les effectifs : l'organisation au sein de l'OTAN compte 1 975 Allemands, un peu plus d'un millier de Britanniques et d'Italiens, mais seulement quelques dizaines de Français. Si nous obtenons les postes que nous visons au sein de l'OTAN et que nous sommes davantage présents dans l'Alliance, nous participerons davantage aux décisions de redéfinition du concept stratégique de l'Alliance, ce qui renforcera l'influence européenne au sein de cette organisation.

Pour mieux promouvoir la défense européenne au sein de l'OTAN, nous devons être crédibles vis-à-vis de nos partenaires, notamment les Britanniques et les pays d'Europe centrale et orientale. Pour cela, nous devons montrer patte blanche et prouver que nous sommes des partenaires fiables, capables d'accorder nos actes avec nos principes et d'assumer une pleine intégration au sein de l'Alliance tout en prônant une défense européenne forte et autonome.

S'agissant des opérations et de l'absence de progrès de la défense européenne durant la présidence française, je vous indique que nous avons lancé trois opérations : EULEX, Atalante et EUMM. Toutes trois portent sur d'importantes questions de sécurité, notamment celle menée en Géorgie, et nous n'avons pas à rougir des initiatives de l'Europe dans ce domaine.

En revanche, monsieur Cazeneuve, je vous rejoins sur un point : les progrès en matière d'Europe de la défense sont insuffisants. Je le crois sincèrement et me garderai bien de faire un discours doctrinaire sur ce sujet. Je pense qu'il y a eu des occasions manquées. Le sommet de Saint-Malo avait amorcé une dynamique mais, pour des raisons de politique intérieure britannique, celle-ci a été cassée. Ce sommet devait déboucher sur la mise en place d'un centre européen de commandement des opérations qui aurait suppléé les trois centres qui existent actuellement – le centre du Mont-Valérien, celui de Postdam et le centre de commandement britannique. Mais ce centre européen n'a pas vu le jour et les Britanniques en font toujours un point de blocage. Pour ma part, je tiens Tony Blair pour directement responsable de cet échec et je regrette que nous n'ayons pu aller jusqu'au bout sur ce sujet. De la même manière, sur le plan des équipements militaires et des budgets de la défense, il reste des progrès à faire.

Je vous rejoins également sur un point : l'histoire pèse lourd dans ce débat et c'est pourquoi la France doit reprendre sa place entière au sein de l'OTAN, car cela permettra d'assainir la situation et d'éviter les reproches inutiles. N'oublions pas que la première initiative européenne fut de construire la Communauté européenne de défense et que c'est ce qui a fait échouer la construction politique de l'Union européenne. Cet échec a marqué l'histoire de l'Europe. Nous voulions commencer la construction européenne par la défense. Ne parvenant pas à nous mettre d'accord, nous nous sommes rabattus sur l'économie. Mettre en place l'Europe de la défense pose des questions de souveraineté et de construction européenne extraordinairement complexes.

N'oublions pas non plus – je le constate tous les jours – que les États européens n'ont pas la même mémoire. Notre continent n'est pas un territoire uni. Nous reprochons à l'Europe de ne pas aller assez loin, de ne pas réagir assez vite, de n'être pas assez unie face à la crise, mais elle est différente des États-Unis, qui ont 200 ans d'histoire commune collective, de la Chine, qui a des milliers d'années d'histoire commune collective, du Japon ou de l'Inde. L'Europe est un continent qui ne cesse d'évoluer. C'est un ensemble constitué d'États Nations, de parties d'États Nations ou de provinces, qui les a rassemblés, qui s'est élargi et a fait revenir à lui des pays qui se sont trouvés sous domination soviétique pendant de longues années. N'oublions pas que la Slovaquie et la République Tchèque ne sont membres de l'Union que depuis 2004. Aujourd'hui, pour les Polonais, la menace, c'est la Russie, et la protection contre la Russie, c'est l'OTAN. Pour eux, la seule menace qui pèse sur l'Union européenne serait une invasion des troupes russes. Pour nous, la première menace vient de l'islamisme radical, du terrorisme, de la prolifération mais eux ne voient pas les choses de cette façon. Pour eux, la première des menaces, c'est une invasion russe, et ce qui s'est passé en Géorgie les conforte en ce sens.

Nous avons besoin de l'Alliance atlantique ; elle est aussi importante que l'Union européenne. Prenons en compte ces mémoires européennes et disons clairement à ces pays que, même si nous faisons partie de l'OTAN, nous sommes attachés à la construction d'une défense européenne autonome, parce que nos intérêts de sécurité sont différents de ceux des Américains. Nous serons plus crédibles et nous pourrons aller plus loin.

Je sais, monsieur Cazeneuve, que vous êtes maire d'une ville où l'industrie de la défense est largement implantée : à la faveur de la crise, il faut que nous progressions sur cette question, en particulier avec les Allemands.

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