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Intervention de Sophie Ernst

Réunion du 22 juillet 2008 à 15h00
Mission d’information sur les questions mémorielles

Sophie Ernst :

En 1997, on avait essayé de créer, au sein de l'Institut national de recherche pédagogique, l'INRP, un groupe, qui aurait pu acquérir, en liaison avec des historiens qui travaillaient au Centre de documentation juive contemporaine, le CDJC, la capacité de former, auprès des IUFM, au niveau local. Mais cela s'est avéré très difficile, par manque de sollicitations au niveau politique. L'institution n'a pas su accrocher sur un dispositif institutionnel efficace, à cause de ses lourdeurs.

Dans les années 2000, le Mémorial de la Shoah, qui est très laïque, avec des historiens très compétents, a fait un travail de formation des maîtres et a su s'imposer. Cela a créé un précédent. De nombreux autres groupes de mémoire ont désiré avoir leur dispositif mémoriel. D'où un effet d'entraînement, qui s'est calé sur le dispositif mémoriel juif, lequel, du point de vue des autres communautés, était au fond une minorité qui avait bien réussi.

Je ne critique pas les institutions communautaires, qui font très bien leur travail, mais elles sont en général dans des logiques revendicatives et militantes. Je ne vise pas tellement le cas du Mémorial, parce que je pense qu'en l'occurrence, tout a été fait pour qu'il réponde à toutes les garanties en termes de laïcité. Mais c'est tout de même un précédent qui pose un problème, dans la mesure où il a créé pour nous le devoir de réinstaller ces questions au niveau institutionnel de l'Éducation nationale, d'une façon qui soit assumée par la République et par la collectivité nationale.

Cela étant, il me semble que, en matière de formation des maîtres, nous sommes un peu en retard et faisons preuve d'archaïsme. Dans les années 2000, Lionel Jospin a décidé d'envoyer dans tous les établissements scolaires un petit livret suédois et une version réduite de « Shoah », le film de Claude Lanzmann. Ce fut assez mal ressenti par les collègues. À cette époque, on insistait déjà sur l'autonomie des établissements, sur le fait que les centres de ressources documentaires travaillaient avec les équipes pour décider eux-mêmes. Une telle initiative, qui avait un certain bien fondé, fut perçue comme régalienne et eut finalement assez peu d'effet. Ces dispositifs ne vivent que si les acteurs de terrain s'en saisissent ; et ils ne s'en saisissent pas de cette façon. Un autre dispositif, un peu plus tardif, a été mis en place pour organiser des formations de remise à niveau des connaissances dans le cadre de la formation continue.

Ces dispositifs pédagogiques supposent des partenariats avec certaines organisations locales : musées de mémoire comme la maison d'Izieu, archives départementales, et des articulations avec des commémorations ; j'ai lu très attentivement le compte rendu de l'audition de M. Kaspi par votre mission qui a abordé les commémorations nationales et qui a souligné l'importance de la déclinaison locale des commémorations.

Les maîtres s'appuient très souvent sur des associations qui travaillent avec des musées et qui sont fréquemment sollicitées pour des commémorations locales ; ces commémorations peuvent être extrêmement inventives. C'est l'occasion de solliciter les jeunes pour qu'ils produisent une oeuvre artistique, des lectures, des chansons, etc.

La pédagogie moderne demande une articulation avec des partenariats différents : associations comme le CIDEM, acteurs locaux, responsables politiques de collectivités locales. Il n'est pas facile de gérer tout ce monde-là, de faire en sorte que chacun remplisse son rôle, et de limiter parfois certaines ardeurs. Mais tout cela est passionnant. Lorsqu'ils sont bons, les projets pédagogiques sont extraordinaires et efficaces, notamment parce qu'ils débordent le cadre de la classe et que tous les adultes sont mobilisés.

C'est un peu cela que nous avions envie de faire au plan national, avec une petite équipe spécialisée dans ce type de partenariat, qui serait allée sur site, localement, travailler avec les spécialistes, les formateurs locaux pour les aider à mettre au point une déclinaison locale de la formation, qui puisse jouer sur ces réseaux, à différents niveaux : pas forcément délivrer des remises à niveau en termes de savoirs, mais pousser les enseignants à se mettre eux-mêmes à lire, etc. Les enseignants ont un haut niveau de formation, et lorsqu'ils sont motivés et entraînés par quelque chose d'intéressant, ils sont tout à fait capables d'aller chercher le savoir eux-mêmes. Mais il faut mettre en branle cette dynamique. Ce type de formation vaut la peine d'être étudié, par exemple, pour l'accompagnement de troisième génération.

Par ailleurs, cette réflexion sur des accompagnements de formation continue un peu dynamisants et faisant place à l'autonomie des enseignants, nous la menons avec nos partenaires européens. Je travaille régulièrement avec la Belgique et l'Italie. Certains, à l'INRP, travaillent avec d'autres pays. Les problèmes mémoriels et de commémoration négative se rencontrent en effet actuellement dans toutes les démocraties ; ils se déclinent au niveau de l'Éducation dans tous les pays, au-delà même de l'Europe, aux États-Unis ou au Japon. Travailler au niveau de la comparaison internationale permet de tester des modèles extrêmement différents, et de sortir de l'inertie dans nos manières de faire. En Belgique, j'ai eu l'occasion de travailler deux jours entiers sur la pédagogie de la Shoah ; nous étions trois intervenants et nous avons pu aller jusqu'au bout des questions qui font mal.

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