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Intervention de Jérôme Cahuzac

Réunion du 14 octobre 2008 à 15h00
Projet de loi de finances rectificative pour le financement de l'économie — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJérôme Cahuzac :

Madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes au moins d'accord sur un constat : l'urgence est là ! Nous savons, en effet, que la paralysie du crédit interbancaire – ce que l'on appelle la crise des liquidités – et les risques qui pèsent sur la solvabilisation des banques menacent non seulement le secteur bancaire, mais, au-delà, l'économie réelle qui est menacée, celle dont les acteurs peuplent nos circonscriptions. Le plus souvent, ce ne sont pas les grandes entreprises du CAC40 qui créent de l'emploi et de la richesse dans nos territoires, mais plutôt les PME, qui sans le concours d'organismes bancaires ne peuvent investir pour améliorer leur compétitivité et auront peut-être, pour certaines d'entre elles, des difficultés à boucler leurs fins de mois ou d'année, au point que leur existence pourra être mise en péril.

Oui, l'urgence est là, et nous reconnaissons qu'une action rapide était nécessaire. Sommes-nous pour autant d'accord avec l'analyse qui a été faite de la situation, avec les mesures retenues et le calendrier fixé pour leur application ? Contrairement à ce que vous avez affirmé, madame la ministre, je ne crois pas qu'il s'agisse de la crise des excès. Depuis le XIXe siècle et la révolution pasteurienne, on sait que la génération spontanée n'existe pas. Les excès ne sont pas survenus par hasard, ils sont la conséquence d'un système qui, s'il n'est pas remis en cause, produira d'autres crises, peut-être plus graves encore. Le système dont il est question est celui dans lequel les contraintes exercées sur la rémunération des agents économiques, notamment les salariés, ont pesé d'un poids tel que le pouvoir d'achat de ces populations ne leur a plus permis de se loger, de consommer, d'assurer leur avenir et celui de leurs enfants. La crise ne résulte donc pas d'excès, mais constitue le résultat naturel d'un système qui a contraint les Américains à l'endettement forcé pour se loger et pour consommer. L'endettement pour se loger étant engagé sur la valeur du bien immobilier acquis à cette fin, tout est allé très bien tant que cette valeur montait, mais tout s'est écroulé lorsqu'elle s'est mise à baisser – ce qui était inéluctable, car l'immobilier ne connaît jamais de hausse constante qui ne soit pas suivie d'un mouvement inverse, connu sous le nom de dégonflement de la bulle immobilière. Ce n'est pas la crise des excès, mais la crise d'un système qui, refusant de donner sa juste part au travail salarié du fait de la captation excessive par le capital de la valeur ajoutée produite, contraint à l'endettement – comme il l'a fait aux États-Unis et a commencé à le faire en France, avec toutes les conséquences qu'entraîne un endettement excessif. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

La France aurait pu connaître la même situation que les États-Unis : ainsi que l'a indiqué Jean-Pierre Brard dans le style fleuri que nous lui connaissons, l'une des promesses du candidat à la présidence Nicolas Sarkozy consistait à instaurer en France un crédit hypothécaire conçu sur le même modèle que celui utilisé par les Américains. Un des arguments utilisés était d'ailleurs que l'insuffisance des revenus d'un ménage ne devait pas constituer un obstacle à l'acquisition d'un logement. La France a donc failli adopter ce système, et l'aurait fait si l'explosion survenue entre-temps aux États-Unis ne l'en avait prévenue.

Nous craignons fort, madame la ministre, en vous entendant limiter les origines de cette crise à de simples excès – dont nous ne nions pas l'existence par ailleurs –, que vous ne sachiez pas préparer l'avenir, c'est-à-dire éviter que d'autres crises de même nature ne surviennent à nouveau. Vous préconisez, à l'article 6 de ce projet de loi, de rétablir les liquidités interbancaires. Sur ce point, je ne puis que vous donner raison, et il faut être quelque peu ignorant, voire malhonnête, pour affirmer que les 320 milliards d'euros prévus seront directement prélevés dans la poche des ménages. En réalité, les ménages n'auront pas à s'acquitter obligatoirement de cette somme en leur qualité de contribuables : c'est par le biais d'emprunts garantis par l'État que ceux qui le voudront, et eux seuls, apporteront leur contribution. Prétendre que ces 320 milliards d'euros pèseront sur le pouvoir d'achat des ménages n'est donc pas, me semble-t-il, la façon la plus honnête ni la plus lucide de critiquer cette mesure. En revanche, il est certain qu'en garantissant des emprunts jusqu'à un tel niveau, l'État contribuera à assécher l'épargne qui devrait profiter au secteur productif : l'argent utilisé pour assurer des emprunts d'État ne pourra être consacré au financement de l'économie réelle, sauf par l'intermédiaire des banques, avec le coût d'intermédiation que l'État y appliquera. Si elle ne conduira pas à prendre dans la poche des contribuables, cette mesure n'aidera pas pour autant au sauvetage d'entreprises confrontées à des besoins d'investissements majeurs.

La deuxième mesure, dont le coût s'élève à 40 milliards d'euros – ce qui porte à un total de 360 milliards d'euros le prix du « bon goût » des mesures adoptées, pour reprendre l'expression utilisée par Mme la ministre – ne devrait pas davantage amputer le pouvoir d'achat des Français. Il est même permis de penser que cette mesure n'aurait pas de conséquences sur les finances publiques ni sur l'économie, dès lors que les actifs obtenus en gage de ces 40 milliards d'euros verraient leur valeur augmenter sur les marchés. Il subsiste toutefois un risque – qui, pour être théorique, n'en est pas moins réel – de voir que les actifs donnés en contrepartie de ces 40 milliards d'euros n'aient pas la valeur que leur auront attribuée les éminents spécialistes chargés de se prononcer sur ce point, auquel cas l'État se verrait contraint d'inscrire le débit dans la colonne des pertes des comptes publics, augmentant d'autant la dette de notre pays.

L'urgence est là, mais si cela est vrai en matière financière, cela ne l'est pas moins en matière économique et sociale. Ce n'est pas, en effet, parce que la crise économique et sociale est bien plus ancienne que la crise financière – la première remonte au moins au début de l'année, si ce n'est bien avant, tandis que la crise financière aurait, estimez-vous, commencé il y a trois semaines – qu'elle serait moins urgente. Nous l'estimons, pour notre part, tout aussi prégnante. L'inflation, qui devait selon vous s'élever à 1,6 % en 2008, madame la ministre, atteindra en réalité au moins 3 %. Le pouvoir d'achat, qui devait progresser cette année, à en croire vos déclarations vibrantes d'enthousiasme et évidemment sincères, va au contraire régresser. Ni les retraités, grands oubliés de la politique gouvernementale, ni les salariés du secteur marchand, ni les fonctionnaires de l'État et des fonctions publiques territoriale et hospitalière ne verront leur pouvoir d'achat progresser. L'urgence économique et sociale est donc incontestablement là, d'autant qu'après l'accalmie que nous avons connue ces derniers temps, une nouvelle hausse du prix des matières premières est programmée dans le cycle économique des prochains mois, en raison de l'activité de pays émergents tels que l'Inde ou la Chine.

Que faites-vous, madame la ministre, pour répondre à cette crise économique et sociale ? Beaucoup d'énergie, de mouvement et de mobilisation ont été déployés, ces derniers jours, pour juguler la crise financière – ce dont on ne peut que se féliciter. Mais pour ce qui est de la crise économique et sociale, qu'avez-vous fait pour que 2009 ne soit pas une année à croissance nulle, ou pour le moins très faible ? Vous qui annonciez 2,5 % de croissance cette année, alors que nous n'aurons que 0,8 % ! Vous qui bâtissez un budget sur la base d'une croissance de 1,5 %, alors que nous devrons certainement nous contenter de 0,2 % dans le meilleur des cas ! Comme l'a dit le président de la commission des finances, on reste un peu sur sa faim avec ce projet de budget qui nous sera présenté la semaine prochaine – un projet qui fut élaboré dans une autre époque que la nôtre, pour ne pas dire sur une autre planète ! Tous les paramètres de base sont à revoir, à tel point que l'on se demande si le projet de budget que l'on s'apprête à examiner correspond à un budget réel ou à un budget virtuel, si le Parlement va vraiment débattre de ce que sera la politique budgétaire de l'année prochaine, ou s'il n'est réuni que pour obéir aux échéances prévues par les textes constitutionnels.

Oui, nous sommes en droit d'attendre qu'il soit consacré autant de temps et d'énergie à la crise économique et sociale que ce qui l'a été ces dernières semaines pour combattre la crise financière. Que d'agitation en effet, avec les réunions du G4, du G8, du G20 ! Que d'annonces, dont la cohérence et la lisibilité ont d'ailleurs pu paraître contestables ! Tout cela aura tout de même abouti à l'adoption d'un plan reposant sur ce qui me paraît être une bonne stratégie – au demeurant définie par Gordon Brown. Félicitons-nous que les Britanniques ne fassent pas partie de la zone euro car, plutôt qu'à l'actuel président de l'Union européenne, la paternité du plan adopté reviendrait alors de plein droit au premier ministre britannique, initiateur de la stratégie développée en Grande-Bretagne avant d'être mise en oeuvre par les autres pays, notamment les États-Unis.

Rien, dans votre projet, ne vise à combattre les causes profondes des crises que nous traversons, ce qui est infiniment regrettable. Vous ne visez que l'urgence, à savoir les conséquences immédiates de la crise financière. Votre plan, tout en mobilisant 360 milliards d'euros, ne répond donc pas, pour autant, à ce qui constitue la préoccupation essentielle des Français.

J'ai entendu, notamment en provenance des bancs de la majorité, des appels à la responsabilité. Sachez que le groupe socialiste, radical et citoyen saura prendre ses responsabilités sur ce texte, et qu'il n'a pas besoin pour cela des déclarations méprisantes de Jean-François Copé, ni du venin craché avec ce qui ressemblait fort à de la délectation par un orateur du groupe UMP. Nous ne déposerons donc pas de motions de procédure ni même d'amendements, car nous avons, nous aussi, conscience de l'urgence qu'il y a à agir. Mais puisque vous nous enjoignez de prendre nos responsabilités – sur un ton malheureusement fort peu approprié –, permettez que nous vous demandions, à notre tour, de prendre les vôtres : qu'entendez-vous faire l'année prochaine, afin que l'inflation cesse de rogner le pouvoir d'achat ? Qu'allez-vous faire pour que l'augmentation de 25 % du minimum vieillesse devienne autre chose qu'une promesse électorale ? Qu'allez-vous faire pour que le pouvoir d'achat des salariés et des fonctionnaires progresse, comme le Président de la République et la majorité s'y étaient engagés ? Qu'allez-vous faire, dans l'hypothèse où les prix des matières premières repartiraient à la hausse, pour que cela cesse de peser sur les revenus des ménages ? Vous qui nous demandez de prendre nos responsabilités, mes chers collègues de la majorité, saurez-vous prendre les vôtres ? Car c'est vous qui faites le choix des politiques menées, et vous seuls qui avez le pouvoir de contraindre le Gouvernement à revoir sa copie ou à s'assurer de la direction à prendre. Nous qui prenons nos responsabilités, nous attendons que le Gouvernement et la majorité UMP qui le soutient prennent les leurs également. Il est trop facile d'appeler des voix dont vous n'avez pas besoin, alors que celles qui seraient fondées à le faire se refusent obstinément à désavouer les politiques menées précédemment – notamment celle relative aux heures supplémentaires –, dont tout le monde sait aujourd'hui qu'elles sont inadaptées ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Le débat sur une défiscalisation et une désocialisation des heures supplémentaires peut avoir lieu en période de croissance, mais convenez qu'affirmer que cette mesure reste bonne en balayant les objections d'un revers de main, alors que la récession menace, est plus délicat. Admettez que quand la récession est là – car elle est là – cette mesure devient totalement contre-productive pour qui veut vraiment lutter contre le chômage, car il est évident que les entreprises qui le souhaiteraient n'embaucheront pas mais proposeront à leurs salariés des heures supplémentaires. Et il n'y a pas de hasard : le chômage a augmenté dans notre pays avant l'explosion de la crise financière ; il continuera d'augmenter, lors même que la crise sera résolue grâce aux mesures que nous nous apprêtons à examiner.

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