Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Robert Badinter

Réunion du 4 novembre 2008 à 17h00
Mission d’information sur les questions mémorielles

Robert Badinter :

Le temps efface la mémoire, mais le devoir de mémoire existe. C'est pourquoi il appartient à ceux qui, pour des raisons diverses, ont un lien fort avec les événements de maintenir la flamme de la mémoire et d'éviter une concurrence des mémoires.

Le passage de la mémoire à l'histoire est ce moment où ceux qui ont vécu les événements ne sont plus. Quant à la transmission, c'est au premier chef un problème pédagogique et culturel.

Les crimes du passé éclairent le présent. C'est pourquoi je suis partisan – sans qu'il s'agisse de voter une loi ! – d'un enseignement qui dise l'histoire des crimes contre l'humanité. Cela saisit les enfants, mais ils le projettent sur le monde actuel, ils le vivent dans leur imaginaire comme une possibilité qu'il faut combattre.

De plus, je ne crois pas qu'on puisse se réconcilier sans qu'ait été fait le travail de mémoire. Il s'agit aussi d'un travail d'autocritique, et non pas seulement de la reconnaissance de souffrances. Jamais nous n'aurions pu construire l'Europe, réussite historique de notre génération, si les Allemands n'avaient pas accepté le travail fait notamment à Nuremberg. La mémoire n'est pas seulement revendication et rappel des crimes subis, elle est aussi prise de conscience de ses torts. S'agissant de nos amis arméniens, je continue à souhaiter qu'un Livre blanc puisse être établi avec les Turcs sous les auspices de l'Union européenne ou de l'UNESCO. Le « vivre ensemble » de Renan est aujourd'hui à l'échelle des peuples ; il suppose un travail de mémoire et d'histoire.

Quand on passe dans les cimetières du Nord de la France, on est saisi. Sans doute est-il difficile d'emmener les enfants dans les cimetières. Pourtant, à Rome, après avoir visité les hauts lieux de l'Antiquité et de la chrétienté, il est dommage de ne pas montrer le cimetière militaire français. Dans quatre tombes sur cinq reposent des musulmans, d'autres sont marquées de noms espagnols ou italiens ou juifs caractéristiques de la population d'Afrique du Nord.

Pour en revenir à notre sujet, le Parlement ne doit pas se laisser emporter par l'émotion, même si nous la comprenons parfaitement. Quant aux résolutions, c'est à l'occasion de la discussion de la loi organique que nous imaginerons l'usage que nous pourrions en faire. Il faudra les tenir hors du champ des confrontations politiques. Et en matière de reconnaissance nationale, il faudra se méfier de ce qu'une demande peut en appeler une autre. Soyons donc attentifs et prudents !

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion