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Intervention de Daniel Garrigue

Réunion du 16 juillet 2008 à 9h00
Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDaniel Garrigue, Rapporteur :

, a rappelé qu'aux termes de l'article 88-4 de la Constitution, des résolutions peuvent être votées par chacune des assemblées sur les projets, propositions ou documents de l'Union européenne transmis par le Gouvernement au Parlement. Lorsque la délégation pour l'Union européenne adopte une proposition de résolution, elle est transmise à une commission permanente. La résolution adoptée par cette commission peut être inscrite à l'ordre du jour de l'assemblée, ce qui n'arrive, malheureusement, que très exceptionnellement : ces dernières années, seule la résolution sur la directive Services a été débattue dans l'hémicycle.

La délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne vient d'adopter une proposition de résolution sur les fonds souverains, après avoir examiné la communication de la Commission européenne du 27 février 2008 sur une « Approche européenne commune en matière de fonds souverains » ainsi que le Livre blanc sur l'amélioration du cadre régissant le marché unique des fonds d'investissement du 15 novembre 2006.

Les fonds souverains sont très présents dans l'actualité depuis quelques mois. Le Président de la République s'est exprimé plusieurs fois sur le sujet, ainsi que la chancelière allemande Angela Merkel. Des projets de prises de participation dans des entreprises à caractère stratégique, comme EADS, ont aussi été l'occasion d'en discuter.

Les fonds souverains appartiennent à des États disposant de forts excédents de balances des paiements, générés par des exportations de ressources énergétiques – pays du Golfe persique, Russie, Norvège – ou de biens et services dont les prix sont très compétitifs – Chine, Singapour. Ces pays cherchent des investissements de long terme qui leur permettront de faire face au tarissement de leurs ressources ou au renchérissement de leurs coûts de production. Ils peuvent également chercher des moyens d'action à l'échelle mondiale.

L'essentiel de ces fonds se trouve en Asie – Extrême et Moyen-Orient –, ce qui traduit un basculement de l'économie mondiale vers cette région, dont on ne mesure sans doute pas suffisamment l'ampleur. Il existe aujourd'hui une quarantaine de fonds souverains, qui totalisent environ 3 000 milliards de dollars.

Bien que cette somme soit considérable, ces fonds restent pour l'instant des acteurs financiers parmi d'autres : ainsi, les compagnies d'assurances gèrent au total 16 000 milliards de dollars, tandis que les banques disposent de 60 000 milliards de dollars. A l'inverse, les hedge funds disposent de capitaux deux fois moins importants que les fonds souverains : 1 600 milliards de dollars. D'autres acteurs publics puissants, comme des entreprises publiques ou des fonds de pensions, sont présents sur les marchés financiers mondiaux.

Toutefois, deux facteurs incitent à la prudence vis-à-vis des fonds souverains :

– d'une part, l'augmentation exponentielle de leurs capitaux : certaines évaluations estiment qu'ils totaliseront entre 15 000 et 30 000 milliards de dollars d'ici 2015 ;

– d'autre part, l'apparition chez eux d'une intention de prendre le contrôle d'actifs stratégiques ; ainsi, un fonds de Dubaï est très présent dans le secteur des ports et des voies maritimes ; il a échoué dans sa tentative de rachat de ports américains, mais il est très présent dans les infrastructures de Djibouti et en Mer Rouge.

Les réactions face à l'émergence des fonds souverains sont contrastées. D'un côté, ils ont une fonction de recyclage des capitaux à l'échelle mondiale qui est très positive, et qui a même joué un rôle essentiel lors de la crise de liquidités qui a frappé la finance internationale cette année. Cette fonction doit toutefois s'accompagner d'une amélioration de la transparence de leur gouvernance. C'est ainsi que les États membres de l'Union européenne et la Commission européenne devraient apporter une contribution commune aux travaux menés dans le cadre du FMI et de l'OCDE sur l'élaboration d'un code de conduite s'adressant aux fonds souverains.

Par ailleurs, ces derniers investissent dans le développement local de leurs pays d'origine. Toutefois, leurs législations nationales comportent des dispositifs faisant obstacle aux investissements étrangers dans certains secteurs. Le Secrétaire d'État américain au Trésor, M. Hank Paulson, a soulevé cette question lors de son récent déplacement dans les pays du Golfe, en demandant une certaine réciprocité sur les investissements étrangers.

Deux sujets doivent retenir davantage l'attention de l'Union européenne : le risque de prise de contrôle d'actifs stratégiques par les fonds souverains, et la nécessité pour l'Europe de se positionner dans les investissements futurs.

Plusieurs États se sont donné les moyens d'agir contre les risques de prise de contrôle d'actifs stratégiques. Aux États-Unis, le CFIUS – comité sur l'investissement aux États-Unis – examine les projets d'investissements et réalise une enquête s'il l'estime nécessaire ; la décision de bloquer un investissement étranger appartient au président des États-Unis, s'il l'estime nécessaire pour la sécurité nationale. Les enquêtes du CFIUS demeurent exceptionnelles. L'Australie dispose également d'une réglementation des investissements étrangers.

En Europe, le Royaume-Uni utilise ce type de dispositif de façon pragmatique. En France, le décret du 30 décembre 2005 protège les secteurs sensibles. En Allemagne, un projet de loi est en cours de préparation. Pour les pays de l'Union européenne se pose la question de la compatibilité de ces réglementations avec l'article 58 du Traité qui permet une enfreinte à la libre circulation des capitaux seulement si l'ordre et la sécurité publics sont menacés. Une procédure d'infraction contre le décret français de 2005 a d'ailleurs été engagée par la Commission européenne en avril 2006, mais elle semble gelée depuis lors. Il est donc souhaitable d'élaborer un dispositif à l'échelle de l'Union, sur la base duquel chaque État membre pourrait réagir dans le contexte national. C'est ce que recommandent les rapports de M. Hubert Védrine sur la France et la mondialisation, de septembre 2007, et de M. Laurent Cohen-Tanugi, sur « L'Europe dans la mondialisation », d'avril 2008.

Enfin, il est nécessaire que l'Europe se positionne dans les investissements du futur. Les fonds souverains sont aujourd'hui à même d'investir dans les secteurs stratégiques sur le long terme, comme l'énergie, l'espace et les transports. A titre d'exemple, certains fonds du Golfe ont un projet de financement du percement de la péninsule malaise. L'Europe doit de son côté essayer de canaliser des ressources pour investir dans ces secteurs. On connaît les limites du budget européen. Par ailleurs, les engagements de la Banque européenne d'investissement – BEI – sont orientés en priorité vers les nouveaux États membres de l'Union. Quant à la Caisse des dépôts et consignations, elle n'a ni les moyens ni la doctrine d'action lui permettant de jouer ce rôle, mais c'est un investisseur de long terme, et l'on peut envisager une coordination avec d'autres instruments ou organismes comparables en Europe afin de réaliser des projets communs.

L'Europe devrait trouver d'autres instruments de collecte pour canaliser ses ressources vers des investissements de long terme.

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