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Intervention de Olivier Fouquet

Réunion du 12 mars 2009 à 9h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république

Olivier Fouquet, président de la commission de déontologie de la fonction publique :

Je voudrais d'abord préciser dans quel état d'esprit j'ai accepté – bien volontiers – d'être auditionné par la commission des Lois.

Nous avons au Conseil d'État une règle de travail, qui a fait ses preuves : nous ne discutons jamais d'une question de droit avant de nous être mis d'accord sur l'exactitude matérielle des faits. En effet, s'il existe entre les membres d'une formation de jugement un désaccord sur les faits, il leur est évidemment impossible de se mettre d'accord sur la règle de droit applicable. Aussi, au Conseil d'État, quand apparaît à l'audience publique pareil désaccord entre la sous-section qui a instruit l'affaire et le rapporteur public, l'affaire est immédiatement rayée : on dit aux personnes concernées de revenir quand elles seront d'accord sur l'exactitude matérielle des faits. Quand, en tant que président de la section des finances, je recevais de nouveaux membres du Conseil d'État – qu'il s'agisse d'auditeurs issus de l'ENA ou d'anciens ministres nommés au tour extérieur –, je leur disais : « Si vous vous trompez sur des questions de droit, vous serez pardonnés et il y aura dix collègues pour corriger votre erreur. En revanche, si vous vous trompez dans votre analyse des faits, on ne vous le pardonnera pas. » Or, depuis près de trois semaines, je vois avec stupéfaction s'engager entre divers commentateurs, y compris des hommes politiques, des discussions que je qualifierais quasiment d'ineptes, dans la mesure où l'on n'a pas vérifié l'exactitude matérielle des faits.

La commission de déontologie de la fonction publique fonctionne depuis 1995. Elle a été présidée pendant douze ans par mon prédécesseur, M. Michel Bernard, président de section au Conseil d'État, qui a préparé la réforme de 2007. À l'origine, la saisine de la commission était obligatoire. Depuis la réforme, elle est devenue pour l'essentiel facultative, puisqu'elle reste obligatoire dans les seuls cas où la personne qui quitte le secteur public pour une entreprise a exercé effectivement des fonctions qui l'ont conduit à assurer le contrôle d'une entreprise, à passer des marchés avec elle ou à participer, sous quelque forme que ce doit, à des décisions favorables à une entreprise. Il faut dire que la commission croulait sous les dossiers, et que, s'agissant d'infirmières de CHU demandant à exercer en libéral, sa saisine paraissait inutile.

Comment cela se passe-t-il désormais ? Comme le précise le communiqué publié hier par la commission, c'est aux agents et à leur administration de prendre leurs responsabilités : la commission de déontologie sera saisie soit s'ils estiment être dans un cas de saisine obligatoire – c'est-à-dire s'il y a un risque pénal –, soit s'il existe un problème de déontologie. Par exemple, si le responsable des affaires culturelles d'une ville où sont organisés des festivals est recruté par une société britannique afin d'organiser des festivals dans la ville en question, il y a incompatibilité.

En définitive, le système n'a pas trop mal fonctionné jusqu'à présent, parce que même si l'agent ne veut pas saisir la commission, il est rare que l'administration prenne le risque de ne pas le faire en cas de doute. Toutefois, des informations étant quotidiennement demandées à notre secrétariat sur la jurisprudence et l'interprétation des règles de droit applicables, je n'exclus pas que certains agents aient décidé, avec l'accord de leur administration, de ne pas saisir la commission en dépit des doutes.

Lors de la discussion de la loi de 2007, on avait envisagé la transformation de la commission de déontologie en autorité administrative indépendante, disposant du pouvoir d'autosaisine. Finalement, le Gouvernement et les parlementaires y ont renoncé.

Dans le cas du secrétaire général adjoint de l'Élysée, j'ai reçu un appel téléphonique du secrétaire général de la Présidence de la République, qui m'a demandé un cadrage juridique sur la jurisprudence applicable aux membres des cabinets ministériels partant dans le secteur privé. Nous avons en effet, depuis l'origine, une jurisprudence particulière pour eux, dans la mesure où leur champ de compétence est défini en interne – et non de façon réglementaire –, avec des frontières souvent floues : un conseiller peut être amené, en cas d'absence, à s'occuper des dossiers d'un de ses collègues. J'ai donc réuni les informations nécessaires et M. le secrétaire général souhaitant une réponse écrite, je lui ai demandé de m'adresser sa question par lettre : habituellement, les consultations se font par courrier électronique, mais, compte tenu des personnalités en cause, j'ai trouvé plus digne de procéder ainsi. J'ai remis au président de votre commission cette lettre, qui me demandait un avis personnel sur le cadrage jurisprudentiel. J'y ai répondu par la même voie. À la suite de divers lapsus, auxquels je suis totalement étranger, j'ai demandé à M. Guéant de rendre publique ma lettre. Celle-ci ne posait aucun problème du point de vue du contenu ; toutefois, il ne s'agissait pas d'un texte destiné à la publication, mais d'une note rédigée par un conseiller d'État, dans le style du Conseil d'État – c'est-à-dire avec concision : il n'y a pas un mot de trop. Je doute qu'on ait pris la peine de la lire.

Son contenu est très simple. Elle débute par un rappel des textes applicables et par la précision, habituelle dans ce cas de figure, qu'un tel avis ne saurait engager la commission : celle-ci peut en effet toujours changer de jurisprudence, même si cela n'a jamais été le cas en quinze ans. J'y expose ensuite les principes de la jurisprudence relative aux membres des cabinets ministériels, tirés des conclusions de mon collègue Piveteau de juillet 2003, relatives au cas de M. Mettling, chargé de mission au cabinet de M. Strauss-Kahn, et parti au directoire des Caisses d'épargne après avoir suivi le rachat du Crédit foncier de France par celles-ci. Je poursuis en donnant des exemples jurisprudentiels très simples, tirés du dernier rapport publié, celui de 2007, et du premier, celui de 1995, de manière à montrer la continuité de la jurisprudence. Enfin, je termine en ces termes : « Il faut donc en conclure que si le secrétaire général adjoint a exercé les fonctions qui lui étaient confiées dans les conditions habituelles d'exercice de leurs fonctions par les membres des cabinets ministériels, la jurisprudence traditionnelle de la Commission lui est applicable. »

D'après le Larousse, « si » est une conjonction introduisant une condition à laquelle est subordonné soit une situation, soit un état. La phrase précédente induit donc, a contrario, que si le secrétaire général adjoint n'a pas exercé les fonctions qui lui étaient confiées dans les conditions habituelles d'exercice de leurs fonctions par les membres des cabinets ministériels, alors la jurisprudence traditionnelle de la Commission ne lui est pas applicable.

Une journaliste du Monde – me semble-t-il – a su analyser cette phrase correctement. Pourtant, s'est répandue ensuite une légende extraordinaire, qui soutenait que j'avais émis un avis favorable. Or il n'était ni favorable ni défavorable : je me situais en amont – d'autant que, dans la lettre que M. Guéant m'avait transmise, M. Pérol avait pris position en estimant, sous sa propre responsabilité, qu'il n'avait exercé aucun contrôle, ni passé de marché, ni pris aucune décision relative aux deux groupes concernés.

Je précise que la formulation que j'ai employée est conforme à la rédaction habituelle des notes et avis du Conseil d'État. Quand, par exemple, un régime fiscal est subordonné à certaines conditions, on ne va pas préciser dans le code général des impôts que si ces conditions ne sont pas réalisées, on n'a pas le droit à ce régime : cela va de soi ! De même, quand il y a une condition suspensive dans un contrat, il est implicite que si la condition suspensive n'est pas réalisée, le contrat ne pourra être exécuté. À la rigueur, quand une mère dit à son enfant de deux ans que s'il est sage, il pourra avoir des bonbons – sans sucre, naturellement – elle peut être amenée à préciser : « Mais si tu n'es pas sage, tu n'y auras pas droit » ; mais c'est qu'il a deux ans, et peut-être ne connaît pas exactement la signification de la conjonction…

J'ai consulté le vice-président du Conseil d'État, M. Sauvé, qui m'a dit : « Votre lettre est précise et dépourvue d'ambiguïté, il ne fait aucun doute que vous ne vous êtes pas prononcé sur le cas de M. Pérol ». Comme je préside en ce moment la section des travaux publics, j'ai lu par acquit de conscience cette même lettre aux trente membres de la section, qui ont été ahuris par l'interprétation que certains commentateurs en avaient donnée. Quant aux membres de la commission de déontologie, ils ont été ulcérés par une interprétation, qui, indirectement, conduisait à les mettre en cause. La commission a donc décidé de publier un communiqué – j'avais souhaité, par modestie, qu'il n'évoque rien me concernant, mais ses membres ont estimé que c'était nécessaire. En voici les termes : « La commission relève que dans la lettre d'information technique qu'il a remise à M. le secrétaire général de la Présidence de la République, à la demande de ce dernier, son président n'a pas porté d'appréciation sur la conformité à la déontologie d'une nomination précise mais s'est borné à en rappeler les conditions générales telles qu'elles résultent de la jurisprudence. »

Je voudrais rendre hommage aux membres de la commission. Il s'agit de hauts fonctionnaires, qui remplissent par ailleurs de très lourdes tâches. Nos séances de travail durent très longtemps : de neuf heures à seize heures, sans interruption pour déjeuner. Les membres de la commission viennent par dévouement, sans toucher aucune indemnité. Pour eux, cela représente le sacrifice d'une, voire deux journées de travail. C'est une contrainte très importante.

J'ai trouvé absolument scandaleux qu'alors qu'ils étaient tenus à un devoir de réserve, ils aient été harcelés sur leur lieu de travail et à leur domicile par des journalistes qui leur ont fait dire des choses qu'ils n'avaient pas dites. Comment imaginer qu'un membre de la commission de déontologie aurait pu prendre position, dans un sens ou un autre, sur le cas du secrétaire général adjoint de la Présidence de la République, alors que l'affaire n'avait pas été instruite ? C'est comme si, dans l'affaite Colonna, le président de la cour d'assises avait, avant même de réunir la cour, déclaré M. Colonna coupable ou innocent !

J'ai été encore plus scandalisé, ainsi que les membres de la commission, par la lettre que leur ont envoyée deux députés, pour leur demander de rendre un avis défavorable au dossier du secrétaire général adjoint de l'Élysée, alors que la commission n'était pas saisie de son cas. Quand bien même elle l'aurait été, imagine-t-on des hommes politiques intervenant auprès d'une commission déontologique indépendante afin que celle-ci prenne position dans un sens donné ? C'est ahurissant ! Je n'ai jamais vu cela. Il n'y a que dans les pays soviétiques que de telles choses se produisent !

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