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Intervention de Jean-François Mattei

Réunion du 25 novembre 2008 à 17h00
Commission des affaires étrangères

Jean-François Mattei :

C'est avec beaucoup de plaisir que je reviens à l'Assemblée nationale pour vous rencontrer. En accord avec votre président, je viens en effet vous présenter la Croix-Rouge française, ayant eu l'occasion de constater à plusieurs reprises au cours des six derniers mois qu'elle était assez méconnue, tant de nos gouvernants que des parlementaires.

Presque tout le monde connaît l'emblème de la Croix-Rouge. Les sondages montrent que sa notoriété est supérieure à celle de Coca-Cola. Mais aux questions posées sur son activité, les réponses sont plus hésitantes et évasives… Les gens citent en général l'action d'urgence et de secourisme, ainsi que son action internationale, mais peu parlent de l'action sociale, de l'activité de nos établissements et de notre rôle en matière de formation.

Créée en 1864, cinq ans après la bataille de Solferino, la Croix-Rouge française a depuis conforté sa vocation d'association caritative et humanitaire. Elle compte 50 000 bénévoles, 16 000 salariés, 660 établissements dans les domaines sanitaire, médico-social, social et de la formation avec, 40 instituts de formation aux soins infirmiers – où elle forme 12 % des infirmières et infirmiers de France – et 80 écoles formant aux métiers de l'action sociale – auxiliaires de gérontologie ou de vie sociale, par exemple. Elle est organisée sur le terrain en 950 délégations locales, 100 délégations départementales et 20 délégations régionales. Son budget est de 950 millions d'euros, mais il est très déséquilibré : 850 millions sont destinés aux établissements ; l'action caritative et humanitaire représente 100 millions, dont 40 millions financés sur ressources propres et 60 millions de cofinancements.

M'exprimant devant la Commission des affaires étrangères, je ne m'étendrai pas sur son action sociale. Je me bornerai à souligner que la Croix-Rouge française est l'un des quatre grands acteurs de l'aide alimentaire, qu'elle est probablement le premier pour les textiles et les vêtements, et qu'elle intervient dans quasiment tous les domaines – dont par exemple la lutte contre l'exclusion, contre l'illettrisme ainsi que son action dans les prisons.

Son action internationale repose sur 5 millions de ressources propres, auxquelles s'ajoutent 21 à 22 millions de financements que nous allons chercher auprès d'ECHO – office d'aide humanitaire européen –, de DIPECHO – programme de préparation aux catastrophes d'ECHO –, d'EuropeAid – office européen de coopération –, du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, de la Banque mondiale, d'OCHA – organisme de l'ONU chargé de la coordination des actions humanitaires –, de bailleurs privés, et enfin de l'État, qui apporte 2 millions au titre d'une convention passée avec le ministère des affaires étrangères. On arrive ainsi à 26-27 millions annuels, hors tsunami.

La Croix-Rouge française a un statut original, comme toutes les sociétés Croix-Rouge ou Croissant-Rouge. Ce n'est pas une ONG – organisation non gouvernementale –, contrairement à ce que beaucoup de gens croient, d'ailleurs au ministère des affaires étrangères, la Croix-Rouge a comme interlocuteur la MAAIONG – Mission d'appui à l'action internationale des ONG. Notre statut est issu des Conventions de Genève, lesquelles sont signées par les États. Cela nous donne un double visage : nous sommes auxiliaires des pouvoirs publics français, ce qui nous amène à intervenir localement à la demande du préfet, à l'occasion d'inondations ou d'un grave incendie par exemple, ainsi qu'à la demande du Gouvernement, lors de conflits à l'étranger, pour rapatrier des ressortissants français – comme nous l'avons fait au Liban, en Côte d'Ivoire ou en Géorgie ; et néanmoins, nous sommes une association totalement indépendante, dépourvue de tout parti pris religieux, politique ou philosophique.

Cette indépendance, cette liberté d'action, nous les devons à notre appartenance à une fédération, la Fédération internationale Croix-Rouge et Croissant-Rouge. Celle-ci regroupe 186 sociétés nationales, dont les dernières créées sont celles du Timor oriental et celle du Monténégro. Le Kosovo a fait une demande pour en créer une. L'ONU comptant 192 membres, quasiment tous, donc, ont une société Croix-Rouge ou Croissant-Rouge.

La Fédération, installée à Genève, est gérée par un conseil d'administration, auquel j'ai la chance d'avoir été élu par l'assemblée générale mondiale. Notre responsabilité est d'évaluer les sociétés nationales, afin de veiller à ce que leur fonctionnement soit conforme à nos principes et à nos missions, de coordonner les opérations en cas de catastrophe naturelle, de définir les orientations stratégiques et d'organiser la vie du mouvement, lequel réunit dans le monde 100 millions de bénévoles.

De nombreux États s'appuient fortement sur leur société Croix-Rouge ou Croissant-Rouge pour relayer leur politique de coopération ou de développement. Certains Etats scandinaves notamment, n'ont pas de ministre de la coopération, et la ligne budgétaire de celle-ci est confiée en gestion à la Croix-Rouge : la Croix-Rouge norvégienne, par exemple, est l'acteur de coopération du gouvernement norvégien. D'autres sociétés nationales sont des opérateurs de développement : c'est ainsi que la Croix-Rouge canadienne vient de recevoir du gouvernement canadien 20 millions d'euros pour lutter contre le paludisme en Afrique noire.

Beaucoup d'États veillent à assurer un budget pérenne d'intervention à leur société nationale, réellement reconnue comme un auxiliaire des pouvoirs publics. Entrent dans cette catégorie, outre les pays déjà cités, la Grande-Bretagne, les Pays-Bas et le Japon entre autres.

D'autres agissent d'une manière un peu plus indirecte, mais néanmoins très attentive. En Espagne, la Croix-Rouge est bien financée parce que l'État a créé une loterie nationale dont le produit lui est affecté. En Turquie, la source thermale donnée par le gouvernement turc au Croissant-Rouge lui rapporte tout l'argent nécessaire. En Islande, les trois cinquièmes du revenu des jeux vont à la Croix-Rouge – et les deux autres cinquièmes aux activités sportives.

Mais la Croix-Rouge française, je suis au regret de vous le dire, est l'une des plus mal, sinon la plus mal lotie de toutes les sociétés Croix-Rouge occidentales à cet égard. Nous n'avons aucun financement pérenne de l'État. Nous obtenons parfois des financements, aléatoires et incomplets, sur des projets, une fois qu'ils ont été validés par des commissions successives.

En matière de coopération, on pense à nous de temps en temps, mais pas du tout comme on le devrait. Premier exemple : trois mois avant la libération de Mme Ingrid Betancourt, j'avais programmé une visite en Colombie, où la Croix-Rouge française travaille depuis vingt ans ; mon homologue colombien m'ayant informé qu'il m'avait obtenu, sans que je l'aie demandé, un rendez-vous avec le président Uribe, j'ai demandé aux autorités françaises des éléments de langage, mais je n'ai eu aucune réponse ! Néanmoins ma visite, que j'ai préparée sur place avec l'ambassadeur de France, s'est extrêmement bien passée. Deuxième exemple : lors des cyclones en Haïti, j'ai appris dans le journal que notre ministre Alain Joyandet s'était rendu sur place ; dans le compte rendu fait par la cellule de crise, on citait diverses associations humanitaires actives et présentes dans le pays, mais on ne mentionnait absolument pas de la Croix-Rouge française, alors qu'elle a une mission là-bas depuis vingt ans et qu'elle a renforcé ses équipes au moment de la catastrophe ! Troisième exemple : pour la constitution du Centre de crise par le ministère des affaires étrangères, il a fallu que je revienne à la charge plusieurs fois pour que la Croix-Rouge ne soit pas oubliée. Enfin, quatrième exemple, vous-mêmes l'avez oubliée à l'occasion de vos travaux sur les OMD – Objectifs du millénaire pour le développement – fixés par l'ONU, alors que nous sommes dans ce champ un acteur majeur. Sachant bien qu'il ne s'agissait pas de votre part de mépris ou d'une volonté de nous marginaliser, j'en ai conclu qu'il était nécessaire d'expliquer davantage ce que nous faisons, et c'est ce à quoi je vais maintenant m'employer devant vous.

La Croix-Rouge française est dans le « top 5 » des 186 sociétés Croix Rouge, non pas en termes de financements, car nous avons peu d'argent, mais en raison de notre savoir-faire et de notre réactivité, qui nous conduisent à être aujourd'hui présents dans trente-six pays – après fermeture de missions dans des pays touchés par le tsunami.

Pour quels motifs sommes-nous présents ?

Ce peut être pour raison de guerre. C'est dans ce cas le CICR – Comité international de la Croix-Rouge – qui a vocation à intervenir, mais nous apportons notre contribution sous son drapeau s'il a besoin de nous. Nous intervenons également après les conflits : dans le sud du Liban, où nous sommes arrivés au lendemain du cessez-le feu, nous travaillons à améliorer les conditions de vie dans les sites sinistrés.

Ce peut être aussi pour cause de catastrophe. Dans ce cas, l'action est coordonnée par la Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge. C'est ainsi que lors du tsunami, la Croix-Rouge française s'est vu affecter une mission médicale au Sri Lanka et une mission d'alimentation en eau potable en Indonésie, à chaque fois dans une région précise.

Le plus important, ce sont les collaborations bilatérales avec nos sociétés soeurs. Nous sommes ainsi présents dans quasiment tous les pays d'Afrique noire francophones mais aussi anglophones, afin de mettre en oeuvre les programmes décidés en commun, notamment pour lutter contre le sida et contre la famine, pour faire progresser l'accès à l'eau potable et pour soutenir le développement. Avec ce mode d'intervention, nous n'encourons pas le reproche de néo-colonialisme que certains adressent parfois aux ONG : par exemple, si nous allons au Niger, c'est à la demande de la Croix-Rouge nigérienne, qui signe avec nous une convention, bénéficiant de la validation du gouvernement nigérien.

La Fédération ayant en outre un statut d'observateur à l'ONU, nous avons une activité diplomatique importante, à tel point que, de longue tradition, un diplomate du Quai d'Orsay est détaché à la Croix-Rouge. A l'occasion de tous mes déplacements, j'entre en contact avec le gouvernement, le Premier ministre ou le chef de l'État. La diplomatie humanitaire est une activité de plus en plus importante à la Fédération de la Croix-Rouge.

Dans quels domaines intervenons-nous ?

Le premier, c'est celui de la santé. J'ai relancé dès mon arrivée un grand programme, qui a été intitulé « Initiative santé » et qui comporte plusieurs axes : la lutte contre le sida, le paludisme, la tuberculose et d'autres infections ; le développement de centres de santé, ces pays souffrant de désertification médicale, d'autant plus dramatiquement que beaucoup de médecins émigrent chez nous et que le personnel infirmier préfère souvent ne pas quitter la capitale ; la formation du personnel soignant car, ayant en France quarante instituts de formation aux soins infirmiers, nous avons bien entendu établi, notamment avec l'Agence française de développement, des programmes de coopération dans ce domaine – nous sommes en train de reprendre tout le programme d'enseignement paramédical du Burundi, nous avons ouvert une école d'aides-soignants à Tétouan, au Maroc, nous faisons de même au Mali et au Congo – ; enfin, la santé communautaire, les bénévoles de la Croix-rouge ayant vocation à mener une action d'éducation, de prévention et d'accompagnement dans les villages.

Le deuxième, c'est l'eau et l'assainissement. Nous faisons des forages, nous creusons des puits, nous distribuons et développons l'alimentation en eau potable, nous construisons des latrines.

Le troisième, c'est l'alimentation et la nutrition. Nous intervenons actuellement au Niger en urgence, parce que la récolte de la saison passée a été épuisée avant l'arrivée de la nouvelle. Mais nous ne pouvons pas nous en tenir là : nous nous installons dans les villages pour développer le maraîchage, villageois ou familial, la monoculture produisant beaucoup de méfaits ; nous créons des banques de semences, nous établissons des petits programmes d'irrigation, nous développons le microcrédit.

Le quatrième, c'est la reconstruction et la réhabilitation. Après les cyclones en Jamaïque, nous avons été sollicités par la Croix-Rouge jamaïcaine car nous avons mis au point un système original d'accrochage des toits aux fondations. Après le tsunami, nous avons construit 5000 maisons et 2000 dispensaires, écoles et autres bâtiments.

Le cinquième, c'est la prévention, la réduction des risques de catastrophe et le renforcement des capacités de réaction. Nous venons ainsi de signer avec la Croix-Rouge birmane une convention pour cinq ans, avec l'aval du gouvernement birman : nous étions là depuis deux ans, à cause du tsunami, et après le cyclone Nargis on s'est tourné vers nous pour que nous formions la population tout le long du littoral.

Le sixième, très original, à tel point que Michel Barnier l'avait repris dans son rapport à la Commission européenne, c'est la mise en place de plateformes d'intervention régionale, où nous installons du matériel prêt à être acheminé dans la zone. Nous en avons créé trois, la PIROI – plateforme d'intervention régionale de l'Océan indien – à Saint-Denis de la Réunion, qui comporte plusieurs antennes, la PIRAC – plateforme d'intervention régionale Amérique – Caraïbes –, implantée à la Guadeloupe, avec des antennes en Martinique et en Guyane, et la PIROPS – plateforme d'intervention régionale pour l'Océan Pacifique sud –, que nous avons installée il y a dix-huit mois à Nouméa, en collaboration avec les Néo-Zélandais et les Australiens qui couvrent une autre partie de la zone.

Enfin, nous sommes prêts pour les urgences, telles que celles auxquelles nous avons dû faire face en Haïti, au Cachemire, lors du passage de Katrina, lors du tremblement de terre de Djakarta ou à la suite de tsunami.

Toutes ces actions, sans exception, s'inscrivent dans le cadre des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD).

OMD 1, réduire l'extrême pauvreté et la faim : nous y contribuons bien sûr par notre action en matière d'alimentation et de nutrition.

OMD 4, réduire la mortalité des enfants de moins de cinq ans : nous y contribuons bien entendu par notre action dans les domaines de la santé, de l'eau et de l'alimentation.

OMD 5, améliorer la santé maternelle : c'est l'un des aspects de notre action en matière sanitaire.

OMD 6, combattre le VIH-sida, le paludisme et d'autres maladies infectieuses : nous avons créé quinze CTA – centres de traitement ambulatoire –, dont cinq ont déjà été transférés au gouvernement du pays, après formation des équipes ; et nous sommes l'un des acteurs majeurs de la lutte contre le sida, y compris en garantissant l'accès aux antirétroviraux.

OMD 7, assurer un environnement durable : nous contribuons particulièrement aux actions permettant l'accès à l'eau et de l'accès au logement.

En huit ans, tsunami inclus, la Croix-Rouge française a dépensé 251 millions d'euros pour ses interventions internationales. Moins de 20 sont venus directement du Gouvernement français. En 2009, nous espérons atteindre 32 millions, auxquels s'ajoutera la dernière tranche « tsunami », de 12 millions.

En revanche, nous sommes assez fiers d'être le premier destinataire de fonds ECHO, devant la Croix-Rouge espagnole et la Croix-Rouge danoise, qui sont particulièrement dynamiques. C'est la conséquence de l'évaluation très favorable qui est faite de notre action.

Mais nous rencontrons des difficultés nouvelles.

Sans revenir sur l'état du budget de la politique française de coopération, je voudrais insister sur le fait que la France, à mes yeux, a beaucoup trop investi dans le multilatéral, au détriment du bilatéral. Partout où nous allons, les ambassades n'ont pas d'argent. Lorsque nous sommes allés en Birmanie avec 60 000 euros pour un projet de reconstruction d'une école détruite par le tsunami, l'ambassadeur a souhaité les inscrire en annexe du bilan de la France. J'ai naturellement accepté car nous ne demandons que cela ! D'une façon générale, rien n'empêche les pouvoirs publics français de faire valoir les 251 millions d'euros que nous dépensons à l'international. Nos volontaires ne demandent pas mieux que de se substituer à nos coopérants, dont le départ a des conséquences dramatiques – j'ai vu partir le dernier pédiatre de la maternité de Nouakchott... Mais encore faut-il qu'on nous le demande et qu'on nous donne un peu de moyens.

La première fois que j'ai rencontré Jean-Michel Severino, directeur général de l'AFD – Agence française du développement. –, la santé n'était pas encore considérée comme un élément indiscutable du développement. Elle en est pourtant un préalable absolu : comment des gens malades pourraient-ils travailler ? Désormais, la santé est bien reconnue comme un objectif ; nous avons commencé à travailler avec l'AFD. Certes, comparées à certains investissements de travaux publics, nos demandes sont fort modestes sur le plan financier, mais encore faut-il y répondre.

Autre difficulté : les grands bailleurs internationaux comme le Fonds mondial ou la Banque mondiale, désormais, financent directement les États, à charge pour ces derniers d'effectuer des reversements aux organismes qui travaillent chez eux. Le Niger a ainsi reçu du Fonds mondial 25 millions pour la lutte contre le sida, mais notre centre de traitement ambulatoire doit néanmoins prélever sur les ressources propres de la Croix-Rouge pour acheter les médicaments car il ne voit rien venir ! Au demeurant, les gouvernants ignorent que la France est le premier contributeur européen et le deuxième contributeur mondial du Fonds mondial.

Il se pose donc un vrai problème de visibilité, de lisibilité et de crédibilité de notre action. Il faudrait d'une part, sans bien sûr supprimer l'action multilatérale, la rééquilibrer au profit de l'action bilatérale, et d'autre part permettre à certaines grandes associations comme celle que j'ai l'honneur de présider de bénéficier directement de financements des bailleurs internationaux.

D'une façon générale, partout les diplomates déplorent l'effacement de la France. Certes la Croix-Rouge est indépendante, et elle est en droit de refuser de faire quelque chose qui ne correspondrait pas à son éthique. En revanche, pour tout ce qui touche à la coopération et au développement ou à l'urgence, il faut nous utiliser ! La Croix-Rouge française, c'est la France. Nous sommes souvent déjà sur place, il faut potentialiser nos moyens.

A mon avis, la spécificité des ONG est en train d'évoluer. Le foisonnement des ONG est un phénomène essentiellement français, qui s'est produit dans un contexte où la Croix-Rouge avait laissé passer le train de l'histoire. Force est de reconnaître qu'au moment du Biafra, elle n'a pas eu les bons réflexes. Les ONG ont comblé un vide, elles ont fait des choses formidables. Le problème, c'est que la plupart d'entre elles ont désormais un budget qui, de plus en plus, repose sur des fonds publics – fonds d'État, fonds de bailleurs européens et internationaux –, lesquels sont associés à des thématiques particulières. Leur action n'est donc plus du tout « non gouvernementale » au sens premier. En outre, elles ne peuvent plus s'installer dans un pays sans demander l'autorisation de personne : l'association Médecins sans frontières vient de se faire renvoyer du Niger parce qu'elle ne suivait pas le protocole de lutte contre la malnutrition du ministère de la santé nigérien. La dépendance par rapport aux pouvoirs politiques locaux est donc croissante. Or de ce point de vue, la Fédération internationale de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge possède un avantage.

Enfin, l'humanitaire est sans doute le meilleur moyen de nouer de nouveaux liens, qui pourront ensuite se prolonger par d'autres formes de relations. Je l'ai bien compris lorsque je me suis rendu dans les régions touchées par le tsunami, où j'ai été frappé de constater que les intervenants les plus actifs étaient Singapour, Hong-Kong, la Malaisie, la Corée, le Japon : on sentait bien qu'on était dans un espace géopolitique asiatique. De même, quand je suis arrivé au Liban le lendemain du cessez-le-feu, il y avait déjà, installés dans un grand hôtel resté debout, des représentants du Qatar, du Koweït, des Émirats arabes unis et de l'Arabie saoudite.

On voit donc aujourd'hui se développer la tentation de l'humanitaire d'État. On le comprend car l'action humanitaire a bonne presse, l'opinion publique l'apprécie. Mais on ne peut pas durablement confondre l'intervention politique, voire militaire et l'intervention humanitaire, l'intervention d'État et l'intervention individuelle. Je ne verrais donc que des avantages à ce que l'État pense qu'il a à sa disposition un auxiliaire des pouvoirs publics, capable d'intervenir pour le compte de la France et qui ne demande qu'à servir.

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