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Intervention de Christian Noyer

Réunion du 6 mai 2009 à 8h45
Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France et président de la Commission bancaire :

S'agissant des actifs toxiques, j'aborderai trois aspects : le montant des encours, le niveau de couverture des risques, enfin les pertes enregistrées depuis le début de la crise.

Les banques françaises sont exposées par le biais d'actifs qui, pour l'essentiel, ne sont pas des crédits hypothécaires à risque américains, les fameux subprimes, mais des produits structurés qui ont pour sous-jacents, au moins en partie, des crédits de ce type. Il s'agit de produits aux noms complexes, surtout des RMBS, c'est-à-dire des parts de titrisation adossées à des crédits hypothécaires, et des CDO, qui sont des obligations adossées à des parts de titrisation. L'encours net détenu par l'ensemble des groupes bancaires français à la fin de l'année 2008 était respectivement de 8,9 milliards d'euros et de 7,3 milliards d'euros. Il convient de mentionner une dernière catégorie d'actifs, les crédits à risque qui étaient couverts par des réhausseurs de crédit, dits monolines, c'est-à-dire des filiales de compagnies d'assurance américaines. La couverture ne neutralisait pas le risque sur les actifs toxiques mais le transférait sur ces assureurs ; les banques se croyaient assurées, comme on peut l'être en souscrivant un contrat d'assurance. Il se trouve que ces monolines, qui, en l'absence de tutelle fédérale, étaient soumis aux autorités de contrôle de chacun des États, n'avaient pas la capacité de résister à la vague de dépréciation qui s'est produite. Dans un premier temps, ils ont été recapitalisés, puis dégradés. Comme la qualité de leur garantie s'était réduite, il a fallu provisionner les actifs qu'ils étaient censés couvrir. L'exposition globale nette des banques françaises se montait, à ce titre, fin 2008, à 5,5 milliards d'euros. Pour l'ensemble des groupes bancaires français, on est arrivé à la fin de l'année dernière à un total de 21,7 milliards d'euros, actifs toxiques, au sens étroit du terme, qui constituent le noyau autour duquel tourne la crise, ce qui correspond à 0,3 % du total de bilan des groupes bancaires français au 31 décembre 2008.

Les banques étrangères qui publient le plus d'informations – Citigroup, Deutsche Bank, Barclays, Royal Bank of Scotland et HSBC – et forment un échantillon varié, font état chacune d'une exposition plus élevée que la plus exposée des banques françaises. Et, si l'on adopte une approche catégorie par catégorie d'actifs, on trouve toujours une banque étrangère plus exposée que la totalité des banques françaises. Par exemple, sur les produits monoline, Deutsche Bank porte plus de 6 milliards, Barclays plus de 9 milliards et Royal Bank of Scotland plus de 5 milliards. L'ordre de grandeur n'est donc pas le même en France.

Pour être complet, il ne faut pas oublier d'autres risques, notamment ceux qui sont liés aux opérations à effet de levier, les LBO et les CLO, et qui ont en général un sous-jacent européen. Les six grandes banques françaises en détenaient à la fin de 2008 environ 35 milliards d'euros, dont la valeur est ajustée, le cas échéant, sous notre contrôle. Ce sont pour l'instant des risques moins provisionnés car rares sont les cas où le risque final est élevé. Il arrive, dans la mesure où le cash flow a été surestimé avant la crise, qu'il faille revoir l'échéancier initial, souvent à cinq ans, et l'étaler sur huit ou dix ans. C'est ce que les banques font autant que faire se peut ; sinon, elles provisionnent.

Elles détiennent aussi des CDPC. Ce sont des entités qui ressemblent à des monolines, à ceci près que le risque porte sur des entreprises, et non plus sur de l'immobilier américain. La garantie porte sur des dérivés de crédit qui ont pour sous-jacent des crédits aux entreprises. Dans ce cas, le problème tient à la crise économique qui augmente le risque de défaillance du sous-jacent. Nous surveillons de près ce type de produit, mais le niveau de risque n'est pas le même que celui des monolines.

À côté des actifs toxiques, n'oublions pas non plus que la récession mondiale va se ressentir dans la qualité des portefeuilles de crédit des banques, avec l'augmentation des défaillances d'entreprises et de particuliers, les rééchelonnements et les renégociations de taux qui s'ensuivront. Les provisions ne peuvent qu'être ajustées trimestre par trimestre. Sur ce point, on ne peut rien reprocher aux banques, elles n'ont fait que leur métier en prêtant aux entreprises. Fin 2008, les montants étaient significatifs, mais modestes : les créances douteuses nettes de provisions atteignaient 1,15 % des crédits à la clientèle, contre 0,95 % l'année précédente. Au pic de la crise de 1994, le ratio était de 4,8 %, y compris notamment les encours sur les promoteurs immobiliers.

Quant à la couverture de ces risques, les banques françaises ont appliqué aux actifs dits toxiques un taux de décote objectivement fort. À la fin de l'année, ce taux avait encore augmenté sur les monolines, dépassant 61 % puisque les dépréciations étaient de 8,5 milliards d'euros pour un risque de contrepartie de 14 milliards d'euros. Individuellement, les taux oscillent entre 56 % pour Natixis-Banques populaires-Caisses d'épargne et 64 %-67 % pour la Société générale et la BNP-Paribas. Ils sont donc très élevés dans la mesure où, d'après nos informations, la Deutsche Bank a provisionné à 24 %. Cela signifie que, si elle avait provisionné comme les banques françaises, elle n'aurait pas dégagé un aussi bon résultat. La Barclays aurait provisionné les risques monolines à 17 % seulement. Avec un taux de plus de 60 %, les banques françaises ont, à notre avis, appliqué une décote sévère car la récupération ne sera pas nulle.

Les banques ont souffert également à cause des normes comptables qui imposaient une évaluation des actifs à la valeur de marché, c'est-à-dire à la casse, bien en deçà de la valeur de l'actif sous-jacent. Les règles ont été modifiées à l'automne dernier, en particulier l'IAS 39, pour permettre aux banques de reclasser les actifs qu'elles n'envisageaient pas de négocier rapidement dans leur portefeuille de titres de placement que l'on conserve en principe jusqu'à l'échéance. Dans ce cas, on maintient les provisions, quitte à les augmenter par la suite en fonction du risque de défaut. En outre, les banques françaises ont procédé à cette opération en général à la date du 30 septembre 2008, alors que certaines banques étrangères sont remontées au 30 juin, ce qui est moins prudent. Une telle méthode repose sur une analyse du risque fondamental, et non plus sur une valeur artificielle de marché, qui souvent n'existe plus.

Les dépréciations d'actifs supportées par les banques françaises au cours des deux exercices 2007 et 2008, ont représenté 25,5 milliards d'euros au titre des CDO, des RMBS, des monolines et des CDPC, de la faillite de Lehman Brothers – 1,9 milliard d'euros à elle seule – et de quelques risques sur les banques islandaises ou liés à la gestion d'actifs – soit 3,5 milliards d'euros pour ces deux catégories d'actifs. Cette somme se ventile entre 7,5 milliards pour le Crédit Agricole, 6,4 milliards pour la Société générale, 4,3 milliards pour BNP-Paribas, deux fois 3,1 milliards pour les Caisses d'épargne et les Banques populaires, à cause surtout de Natixis, et 1,1 milliard pour le Crédit Mutuel-CIC.

La somme de 25,5 milliards d'euros représente chez nous 16 % des fonds propres tier one avant le début de la crise, contre 33 % en Allemagne, 37 % en Grande-Bretagne et 86 % dans les banques suisses et américaines. L'impact de la crise chez nous est fort, mais bien moindre qu'à l'étranger.

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