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Intervention de François Lamy

Réunion du 1er octobre 2008 à 9h45
Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois Lamy :

Je commencerai par répondre à la question de M. Cousin sur l'agriculture. Il y a eu longtemps au GATT puis à l'OMC, et il y aura encore longtemps, des débats sur le point de savoir si l'agriculture est une marchandise comme les autres.

Certains pensent qu'il n'y a pas de raison de distinguer les produits agricoles des pneus, des chaussettes et des voitures, la meilleure division internationale du travail étant celle qui permet de produire au moindre coût et pour le plus grand bénéfice des consommateurs dès lors qu'ils ont accès aux marchés ; il faut ouvrir ceux-ci et soumettre l'agriculture aux lois normales de la libéralisation des échanges. D'autres pensent que l'agriculture n'est pas un secteur comme les autres, pour des raisons de multifonctionnalité : les paysages, l'environnement, le rapport à l'alimentation, la culture ; et parce qu'une grande partie de l'agriculture de la planète n'est pas commercialisée, mais produite et consommée par certaines populations, uniquement pour survivre.

Les tenants de la première thèse sont plutôt parmi ceux qui ont des « avantages comparatifs » à la Ricardo : ceux qui produisent le mieux dans les meilleures conditions. Et ceux qui n'en ont pas sont plutôt favorables à la deuxième thèse.

Le compromis, tel qu'il s'esquisse à l'OMC, revient à éliminer des règles du commerce agricole ce qu'il y a de plus distorsif pour les échanges, à savoir : les pics tarifaires les plus élevés, les subventions les plus perturbatrices au profit de ceux qui ont des avantages comparatifs, de telle sorte que les uns et les autres y trouvent leur avantage ; à donner davantage d'accès aux marchés. Mais on le fait en tenant compte des sensibilités particulières de ceux qui, pour des raisons diverses, sont dans l'autre camp.

Si ce qui s'esquisse sur la table vient à aboutir, il restera, en matière agricole, des niveaux de protection douanière trois à quatre fois plus importants que ce qu'ils sont en matière industrielle, et des subventions d'un montant considérable qui n'ont pas leur équivalent en matière industrielle.

En matière de soutiens publics, les Américains et les Européens dépensent environ 80 milliards de dollars par an. Même si ces soutiens ne sont pas constitués uniquement de cash, ce montant ne va pas beaucoup diminuer. Ne diminuera que la partie des soutiens qui est perturbatrice des échanges – celle qui est liée au volume de la production, outre les subventions à l'exportation.

Ce n'est pas à moi de juger le cas français. Ce que nous pouvons tous constater, c'est que la France est un agro-exportateur puissant, dont le surplus est considérable : sur les États-Unis, ce surplus est de l'ordre de 2 milliards de dollars par an ; sur le Japon, il est de l'ordre de 1,5 milliard de dollars ; et sur la Chine, considérée comme une grande menace, il est de l'ordre de 400 millions de dollars. C'est notamment le cas pour tout ce qui ajoute de la valeur, c'est-à-dire pour tout ce qui coûte cher, indépendamment du fait que les matières premières de base sont ou non taxées. L'intérêt objectif français est que, sur tous ces produits-là, les droits de douane baissent ailleurs.

Il faut préciser que les deux tiers des exportations de l'économie française vont sur l'Europe, mais qu'en matière agricole, ce sont presque trois quarts qui y vont. Le premier enjeu de l'agriculture française est donc le marché européen. Et le producteur le plus efficace sur un marché n'a pas tellement intérêt à ce que les autres reçoivent trop de subventions.

Que la France exprime une position défensive en matière agricole s'explique par sa carte politique. Si c'est une position tactique pour obtenir davantage en disant que l'on a beaucoup à payer, je la comprends – de la même façon que je comprends la position de la négociatrice américaine ou du négociateur japonais.

Les quotas textiles ont constitué l'essentiel de la négociation du round précédent, de 1986 à 1994. Les pays en développement de l'après-guerre voulaient « avoir la peau » du système de protection spécifique en matière de textile–habillement, que les pays développés leur avaient imposé – notamment dans une perspective post-coloniale. Les pays en développement déclarèrent dans les années 80 que le textile et l'habillement seraient traités comme les voitures ou les puces électroniques des pays développés et qu'il fallait mettre fin à ce système de quotas, ce qui fut décidé en 1994. On décida également, pour les pays développés, d'une période de transition de dix ans – le double de ce qui se pratique habituellement.

Le fait est qu'un certain nombre de producteurs subirent l'impact de cette décision, aussi bien dans les pays développés que dans les pays en développement. Mais certains pays surent s'adapter. La Suède s'adapta formidablement bien, sans doute de par l' « effet canoë » – la solidarité étant plus grande sur les petits esquifs que sur les grands ! La Chine profita beaucoup de cette ouverture. Mais aujourd'hui, elle est attaquée par des pays comme le Cambodge, le Vietnam, le Bangladesh, le Pakistan, voire par l'Inde ou le Sri-Lanka.

Le système a abouti à une division internationale du travail différente. Le consommateur en a retiré des bénéfices et la production globale en textile–habillement a énormément augmenté. La consommation est incomparablement plus forte dans le monde qu'il y a dix ou vingt ans.

M. Emmanuelli a évoqué les 62 000 milliards de CDS. Mais on n'est pas là dans le périmètre économique de l'OMC. Pour ma part, je suis dans l'économie réelle, que j'ai qualifiée d' « économie de la fin de mois ». Qu'il faille des marchés financiers qui fonctionnent pour accompagner le développement de ce système de transactions réelles, sans doute. Qu'il faille réguler ces marchés financiers, j'ai déjà dit ce que j'en pensais. Néanmoins, dès lors que l'absence ou l'insuffisance de régulation de l'économie financière impacte négativement l'économie réelle, l'idée de promouvoir un certain nombre de sécurités paraît assez logique. Après, il faut se mettre d'accord sur ce que l'on veut, ce qui n'est pas simple dans la mesure où cela suppose des abandons de souveraineté dans les espaces où l'on entend instituer cette régulation.

Prenez l'exemple du Cycle de Doha : ce n'est pas sur une question d'architecture ou de corps de métier, mais sur une question d'ajustement final que l'on bute. Pourtant, ce n'est pas très compliqué, comparé aux problèmes liés au changement climatique. Jean Pisani-Ferry écrivait l'autre jour dans la presse française que la négociation de l'OMC était à la négociation sur le changement climatique ce que le certificat d'études est au concours d'entrée à Polytechnique ! Il a raison. L'OMC intervient dans une zone relativement éprouvée, explorée et repérée.

Venons-en au rôle du directeur général. À l'OMC, il y a un gros législatif, un gros judiciaire et un tout petit exécutif.

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