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Intervention de Thierry Carcenac

Réunion du 8 avril 2008 à 12h30
Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaThierry Carcenac, Rapporteur pour avis :

, a commencé par déplorer la relative précipitation qui présidait à l'examen parlementaire de ce texte long de 31 articles, de façon d'ailleurs paradoxale puisque les problèmes qu'il doit régler – l'impact en droit interne de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme – avaient déjà été publiquement évoqués par M. Philippe Séguin, Premier président de la Cour des comptes, dès janvier 2006. C'est par fragments que le Parlement est ainsi appelé à se prononcer sur la réforme de la Cour et des chambres régionales et territoriales des comptes : statut et carrière des magistrats de la Cour en 2006, procédure juridictionnelle visant les comptables aujourd'hui, et demain sans doute, régime de responsabilité des ordonnateurs, extension du champ de la certification des comptes et renouveau des moyens d'audit des politiques publiques.

S'agissant du projet de loi examiné aujourd'hui, l'européanisation de notre droit et de nos procédures, et plus précisément l'influence de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme en matière de procès équitable sur le déroulement des instances contentieuses en droit interne, avait, depuis plusieurs années déjà, débordé le strict cadre des litiges de nature civile et pénale devant le juge judiciaire. En tant que juridiction administrative spécialisée cependant, la Cour des comptes, et avec elle le réseau des chambres régionales et territoriales des comptes, étaient demeurés quelque peu en retrait. Mais les stipulations de l'article 6 paragraphe 1 de la Convention européenne des droits de l'homme ont « rattrapé » les juridictions financières, la décision emblématique en l'espèce étant celle rendue le 12 avril 2006 par la Grande chambre de la Cour de Strasbourg, Martinie c France. Avec ce projet, c'en est donc fini, dans la lettre même de la loi, des spécificités bicentenaires de la procédure devant le juge des comptes : la règle du double arrêt, la possibilité d'autosaisine du juge, le caractère non systématiquement public de l'audience, l'absence de communication du rapport aux parties ou encore la présence du rapporteur et du ministère public au délibéré… D'aucuns pourraient regretter avec nostalgie l'oeuvre de Cambacérès ; il faut, bien au contraire, résolument moderniser la procédure dans son ensemble.

Pour ce faire, le projet de loi distingue plus nettement qu'aujourd'hui les procédures juridictionnelles des procédures administratives et, au sein des procédures juridictionnelles, il sépare nettement les actes de « poursuite » ou de mise en jeu de la responsabilité du comptable par le ministère public, l'instruction par le magistrat rapporteur, et le jugement, par une formation collégiale lorsqu'une charge a été soulevée ou par un juge unique dans le cas le plus fréquent d'absence de charge. Il réduit au passage, grâce à cette procédure à juge unique, les délais de jugement – ce qui pourrait d'ailleurs faire l'objet d'un indicateur de performance dans le projet annuel de performances correspondant. Il réserve au ministère public, dans tous les cas, l'enclenchement de la phase contentieuse ; il systématise l'oralité et l'audience publique ; il supprime, dès lors que le contradictoire prend cette forme nouvelle à l'audience, la règle du double arrêt ou du double jugement. À côté d'autres dispositions de coordination ou de réorganisation formelle du code des juridictions financières, certains articles du projet modifient le régime des amendes que le juge des comptes est susceptible de prononcer. En particulier, l'article 8 permet au juge de moduler le montant de l'amende pour gestion de fait selon des critères prenant mieux en compte la situation subjective du justiciable, et l'article 9 supprime la possibilité de remise gracieuse de ces amendes par le ministre chargé du budget. Cette caractéristique étonnante, pour reprendre les mots du Premier président Philippe Séguin, « d'un juge dont la décision [peut], de fait, être rapportée par un membre du pouvoir exécutif », disparaîtrait donc. Mais la remise gracieuse demeure, et dans des proportions autrement plus importantes, pour les mises en débet. À preuve les montants en cause à ce titre en 2006 : 262 débets ont été prononcés cette année-là, pour un montant global de plus de 42 millions d'euros, les sommes laissées à la charge des comptables s'étant, après remises gracieuse, établies à moins de 2 millions d'euros. L'illustration est ainsi faite de ce que le juge s'attache encore pour l'essentiel à la ligne de compte et que la prise en considération de la situation personnelle du comptable demeure dans une large mesure l'apanage du ministre.

On eût pu réformer la procédure sur ce point-là également, dès aujourd'hui ; s'il faut pour ce faire attendre un prochain texte, alors souhaitons que dans l'intervalle une réforme du Règlement de l'Assemblée nationale ait pu intervenir afin de permettre le renvoi d'un tel texte à la commission des Finances. Le contexte créé par la mise en oeuvre de la LOLF offre de solides raisons pour cela : déjà, il y a deux ans, notre collègue Jérôme Chartier, soutenu par la commission unanime, l'expliquait en tant que rapporteur pour avis sur le projet adaptant certaines dispositions statutaires et disciplinaires relatives aux magistrats de la Cour des comptes. Chaque année, les rapports spéciaux successifs de notre collègue Pierre Bourguignon sur la mission Conseil et contrôle de l'État évoquent la réorganisation interne d'une institution à l'autonomie renforcée et aux missions élargies par la LOLF. Aujourd'hui, comme l'illustre le projet de loi, on voit poindre un nouveau type de contrôle juridictionnel, un vrai contrôle des comptables, en même temps qu'un nouveau régime de responsabilité des ordonnateurs, l'ensemble formant l'aboutissement logique de la considérable modernisation de la gestion publique opérée par la LOLF. Dès lors, si la compétence de la commission des Lois n'est pas contestable dans l'état actuel de notre Règlement, son article 36 devrait être récrit afin que, comme l'a dit le Président de la commission des Finances, cette dernière se voie à l'avenir renvoyer les textes relatifs à la Cour des comptes et aux autres juridictions financières.

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