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Intervention de Roselyne Bachelot-Narquin

Réunion du 24 septembre 2008 à 11h30
Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé, de la jeunesse, des sports et de la vie associative :

En proposant en juin dernier de faire le « 35 à 35 » pour redresser les comptes de l'assurance maladie, le directeur général de l'UNCAM (Union nationale des caisses d'assurance maladie) a suscité un débat sur l'avenir du régime des ALD, que la MECSS avait d'ailleurs anticipé.

Un émoi légitime a suivi cette proposition, avec laquelle j'ai exprimé mon désaccord en indiquant devant la représentation nationale que les médicaments remboursés à hauteur de 35 % prescrits dans le cadre d'une ALD n'étaient pas des médicaments de confort, mais d'accompagnement. J'ai donc réitéré mon attachement à la prise en charge de ces médicaments à 100 %, que le Gouvernement n'a pas l'intention de remettre en cause.

Ce débat n'aura cependant pas été inutile. La question de la prise en charge des personnes atteintes de pathologies chroniques lourdes et coûteuses est en effet au coeur de notre système de santé et de solidarité et de mes préoccupations.

Les ALD concentrent 64 % des dépenses de santé. Les dépenses de ce régime enregistrent une croissance en volume de 6 % par an et expliquent plus des trois quarts de l'évolution des dépenses sous ONDAM (objectif national des dépenses d'assurance maladie). D'ici une dizaine d'années, elles devraient représenter 70 % des dépenses de santé, d'où la tentation de revenir sur leur régime de prise en charge. Ne nous trompons cependant pas de combat en réduisant la question à une simple équation financière : le problème ne réside pas dans la croissance du nombre des bénéficiaires du régime, mais dans des prises en charge thérapeutiques inadaptées pour nombre de patients.

Au risque de choquer certains d'entre vous, je ne considère pas l'accroissement du nombre de personnes en ALD comme un drame. Je suis en revanche convaincue que l'augmentation des dépenses de ce régime n'est pas inéluctable.

Le régime des ALD permet aujourd'hui à plus de 9 millions de personnes de bénéficier d'une prise en charge à 100 % pour les dépenses en rapport avec leur maladie exonérante. S'il n'avait pas été instauré en 1945, beaucoup de nos concitoyens atteints de maladies longues et coûteuses ne pourraient accéder à des soins du fait d'un reste à charge trop élevé.

Ce régime représente donc un progrès social et médical considérable, et il convient de le préserver. Si le nombre de diabétiques augmente, il faut les soigner correctement et assumer la dépense.

J'observe d'ailleurs que si les dépenses liées aux ALD progressent, c'est aussi le cas de celles liées aux autres affections, même si leur rythme de croissance est un peu moins rapide. Et si le nombre des patients en ALD augmente, c'est d'abord parce que les maladies sont mieux détectées, à des stades plus précoces, et parce que des traitements plus efficaces permettent de mieux les soigner. Ce progrès médical continu justifie que le système des ALD soit revu périodiquement et que la HAS se prononce régulièrement sur la rénovation de ses critères d'entrée et de sortie, comme elle l'a fait en décembre dernier.

L'admission en ALD garantit en outre au patient de bénéficier d'un suivi plus adapté à sa pathologie, puisque la prise en charge financière se double d'un suivi adapté de la maladie, formalisé par un protocole de soins et un suivi coordonné par le médecin traitant. C'est ainsi que la HAS procède à l'élaboration de listes indicatives des actes et prestations nécessités par chacune des 30 ALD et que nous disposons de guides médecins et de guides patients.

Je refuse donc que l'on pointe du doigt le développement du régime des ALD comme le signe d'un échec de notre système de santé. C'est au contraire un signe de sa réussite !

Si ce système doit faire débat, c'est pour une autre raison : il n'est pas parfait. Depuis plusieurs années, les personnes en ALD sont confrontées à des « restes à charge » moyens plus élevés que celles qui ne sont pas en ALD. Ce régime masque en effet de profondes disparités entre les patients, les restes à charge pouvant aller de 0 à près de 3 000 euros. Certaines personnes en ALD ont des restes à charge très faibles, du moins sur une année, parce que leur maladie s'est stabilisée ou n'a pas encore atteint un stade invalidant, tandis que d'autres sont confrontées à des dépenses importantes pour des soins sans rapport avec leur maladie exonérante ou à des dépassements d'honoraires mal pris en charge par leur complémentaire. Cela n'empêche pas que des patients qui ne sont pas en ALD puissent être confrontés à des restes à charge élevés.

Ce constat appelle deux remarques. Si le reste à charge des patients en ALD est dispersé, son impact dépend surtout de l'affiliation à une assurance complémentaire, dont bénéficient 93 % des Français mais seulement 90 % des patients atteints d'une maladie chronique. Cela pose un vrai problème pour les autres, d'où la nécessité de progresser dans le développement de l'assurance complémentaire.

Par ailleurs, cette inéquité entre les assurés nourrit les propositions visant à ce que la « protection financière » soit détachée de la condition médicale, l'exonération à 100 % dépendant du montant du reste à charge de chacun. C'est le concept du bouclier sanitaire, qui a fait l'objet du rapport de MM. Raoul Briet et Bertrand Fragonard. Pour être viable, ce bouclier devrait être élaboré en fonction du reste à charge, mais aussi des revenus, afin d'instaurer plus d'équité entre les assurés. Cela équivaudrait à un changement de paradigme radical pour notre sécurité sociale, dans laquelle chacun paye selon ses moyens et reçoit selon ses besoins, changement en quelque sorte similaire à la proposition de mettre la CSG (contribution sociale généralisée) dans l'impôt sur le revenu.

Très lourde techniquement, cette solution aurait surtout des effets sur les assurés dépourvus de couverture complémentaire. En outre, le rapport n'a pas analysé la situation à l'hôpital, où les restes à charge sont parfois très élevés. Aussi ai-je demandé des analyses complémentaires à la CNAMTS (Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés) pour évaluer la faisabilité de cette solution, qui suppose entre autres que l'on puisse effectuer des croisements de données concernant les dépenses de santé, les restes à charge et les revenus des assurés. Cette analyse est attendue pour la fin de l'année, et vous en aurez connaissance.

Il s'agit donc d'un débat lourd, qui mérite une discussion large et dans la durée.

Je le répète, je ne crois pas que l'augmentation des dépenses liées aux ALD soit inéluctable. Pour maîtriser ces dépenses et préserver ce régime auquel nous sommes tous attachés, il faut penser différemment la prise en charge médicale et aller vers une prise en charge intégrée réunissant tous ceux qui travaillent pour le patient et le patient lui-même.

Je reste convaincue qu'il existe des marges de manoeuvre pour mieux soigner en maîtrisant un peu mieux la dépense de santé.

Je tiens à être claire sur un point : le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2009 ne comportera aucune mesure concernant les patients en ALD ou la participation financière des assurés respectueux du parcours de soins.

Ma stratégie vise en premier lieu à poursuivre les efforts entrepris en 2004 pour mettre à jour les ALD. La réforme de 2004 a confié à la HAS le soin de formuler des recommandations sur les critères médicaux d'admission et de sortie des ALD. La seule modification retenue à ce jour a concerné les affections psychiatriques de longue durée. Elle s'est traduite par une évolution beaucoup plus faible des effectifs du fait du resserrement des critères d'entrée.

Dans un avis publié en décembre 2007, la HAS a estimé qu'une mise à jour du régime s'imposait afin d'en recentrer le bénéfice sur les malades qui en ont vraiment besoin. En raison des progrès techniques et de l'amélioration des traitements, les premiers stades de certaines pathologies – par exemple l'hypertension artérielle – restent en effet bénins et relativement peu sévères.

Ces propositions sont intéressantes, mais il reste à ce stade très difficile d'isoler les cas d'hypertension sévère. En outre, la moyenne des dépenses de soins d'un patient hypertendu est sensiblement inférieure à celle des autres assurés de droit commun. Quelles économies pouvons-nous attendre d'une révision des critères d'entrée, sachant que le traitement d'un diabète équilibré ou d'une hypertension ne coûte pas grand-chose ?

En revanche, il n'en va pas de même s'agissant des critères de sortie des ALD. Aujourd'hui, on guérit d'un cancer. Doit-on rester en ALD toute sa vie ? Faut-il faire intervenir le critère du coût, qui peut baisser après la phase aiguë de la maladie ? Ce sera à la HAS de répondre à ces questions. Mais en toute hypothèse, le suivi des patients après la sortie du système devra être assuré.

La réforme de 2004 a instauré la « protocolisation » de l'entrée en ALD, mais cette logique doit être poussée à son terme pour permettre l'optimisation du recours au soin. Le protocole de soins définit, compte tenu des recommandations de la HAS, les actes et prestations nécessités par le traitement de l'ALD. Or, les listes très larges établies par la HAS ne permettent pas de guider les prescriptions des médecins selon une logique d'efficacité thérapeutique mieux adaptée et moins coûteuse pour les patients.

C'est sans doute là qu'existent les marges de manoeuvre les plus importantes. Aujourd'hui, nous soignons l'hypertension artérielle sans hiérarchiser les traitements, notamment l'utilisation des inhibiteurs de l'enzyme de conversion et des sartans. Tous les pays qui nous entourent le font et ont émis des recommandations médico-économiques en ce sens. Ce sont vraisemblablement quelques centaines de millions d'euros qui sont ici dépensés de façon « sous-optimale ». Je pourrais aussi évoquer les traitements du diabète ou le recours à de nombreux produits de santé.

Je souhaite donc que les recommandations médico-économiques de la HAS, attendues pour la fin de l'année, permettent de mieux hiérarchiser la liste des actes et prestations en indiquant par exemple systématiquement les traitements à utiliser en première, deuxième ou troisième intention.

Le respect de l'ordonnancier bizone, qui permet d'économiser 80 millions d'euros en moyenne par an, doit également être renforcé. Le bilan de cet ordonnancier est mitigé. La CNAMTS doit donc mettre en place des contrôles plus rigoureux des prescriptions de médicaments : ceux qui sont inscrits dans le haut de l'ordonnancier bizone, et qu'il est justifié de rembourser à 100 %, doivent être en rapport avec la pathologie de longue durée.

Je souhaite aussi que la CNAMTS travaille à la liquidation médicalisée de l'ordonnancier, comme cela se fait déjà dans le régime social des indépendants.

Je crois que nous ne ferons pas d'économies sans progresser dans la prise en charge des patients en ALD. Le problème des ALD est aujourd'hui souvent considéré sous le seul angle financier. Mais, seule l'amélioration de la prise en charge thérapeutique des patients concernés nous permettra de réaliser des économies.

Ma stratégie repose donc sur trois piliers. Il faut d'abord améliorer l'organisation du processus de soins pour les patients en ALD. Les modes de rémunération actuels des professionnels de santé, notamment du médecin traitant, ne sont pas adaptés à la continuité des soins. Le paiement uniquement à l'acte n'a pas de sens s'agissant de malades chroniques : il faut aller vers des rémunérations au forfait. À cet égard, le « forfait » annuel de 40 euros par patient en ALD prévu par la convention médicale de 2005 a apporté une mauvaise réponse à un vrai problème. Il se révèle en outre inflationniste, puisqu'il incite à inscrire les patients en ALD, mais sans réel effet sur leur suivi dans la durée.

La loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 a fixé le cadre permettant de mener des expérimentations de rémunération au forfait. Ce type de rémunération pourrait permettre de renforcer le suivi des patients chroniques et de mieux associer les organismes complémentaires. Je poursuis d'ailleurs les discussions avec les principales fédérations d'organismes complémentaires afin de bien encadrer les éventuelles modalités de leur intervention.

Il faut ensuite améliorer l'organisation du système de soins par une meilleure coordination entre les différents intervenants. Les travaux conduits dans le cadre de la préparation du projet de loi d'organisation de la santé dont nous débattrons dans quelques semaines permettront d'y apporter des réponses, notamment en ce qui concerne les soins primaires.

Enfin, et c'est peut-être le plus important, la prévention doit occuper davantage de place dans notre système de santé. Nous n'avons pas assez investi en ce domaine. Le Président de la République l'a rappelé la semaine dernière à Bletterans, en nous fixant comme objectif de faire passer de 7 à 10 % la part de nos dépenses de prévention – ce qui représente tout de même une augmentation de 50 %.

Les efforts doivent donc être poursuivis, dans la ligne du plan d'amélioration de la qualité de vie des patients atteints de pathologies chroniques.

J'ai confié le 29 novembre dernier à Mme Marie-Thérèse Boisseau la présidence du comité de suivi de ce plan. Le comité a constitué quatre groupes de travail : programme d'accompagnement des patients à l'éducation thérapeutique, rôle des aidants, accompagnement social des patients, proximité avec le terrain. Des propositions ont déjà été faites – par exemple l'intégration de l'éducation thérapeutique dans la formation médicale.

Il faut bien sûr aller plus loin. MM. Saout, Bertrand et Charbonnel viennent de me remettre un rapport sur le développement de l'éducation thérapeutique, qui a nourri mon projet de loi. Celui-ci vous proposera donc une organisation de l'éducation thérapeutique reposant sur plusieurs actions : l'identification des pathologies prioritaires au niveau national par le ministre de la santé ; l'élaboration d'un cahier des charges national ; et l'établissement d'une convention, au niveau régional, entre l'Agence régionale de santé, l'ARS, et les équipes d'éducation thérapeutique, sur la base du cahier des charges national et des besoins régionaux, à charge pour l'ARS de s'assurer du maillage territorial de l'offre en ville et à l'hôpital et de financer les programmes d'éducation thérapeutique.

La mise en place des agences régionales de santé va également permettre, en régionalisant les politiques de prévention, de mieux prendre en compte la répartition géographique des ALD – l'ALD est aussi un marqueur médico-social au niveau régional. Pour les pathologies graves, la géographie des ALD est en effet bien corrélée avec celles de la mortalité et des facteurs de risque. C'est le cas du diabète, du cancer du poumon, de la cirrhose du foie, de la sclérose en plaques, pathologies dont la fréquence est élevée dans la moitié nord du territoire métropolitain.

Nous devons exploiter toutes les nouvelles formes de prise en charge thérapeutique. J'ai récemment pris connaissance d'un document de la DREES (Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques) sur « l'impact du vieillissement démographique sur les structures de soins à l'horizon 2010, 2020 et 2030 ». Les analyses montrent que les effets du choc démographique sur notre système de soins peuvent être absorbés, notamment en ce qui concerne les pathologies chroniques comme les tumeurs et le diabète, à une double condition : la première, mieux coordonner le système de soins en développant la prise en charge d'aval – en soins de suite ou en médecine de ville –, ce qui permet de diminuer sensiblement le nombre d'équivalents journées par un raccourcissement de la durée des traitements à l'hôpital et d'améliorer l'offre en soins palliatifs ; la seconde, adopter, pour des pathologies comme le diabète, une politique de prévention très volontariste et une prise en charge plus précoce.

Je partage entièrement les conclusions de cette étude, et suis donc déterminée à poursuivre la modernisation du pilotage de notre système de santé. Le projet de loi « hôpital, patients, santé, territoires » permettra de mettre en place une meilleure organisation de notre système de soins avec la création des ARS.

Comme dans tous les pays qui nous sont comparables, nos dépenses de santé augmentent plus vite que le produit intérieur brut. Une gestion rigoureuse est donc nécessaire.

Il n'en reste pas moins que les pathologies chroniques ou aggravées sont le moteur des dépenses de santé, d'où l'importance des décisions que nous prendrons pour les réorganiser et mieux les prendre en charge.

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