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Intervention de Denis Tillinac

Réunion du 13 mai 2008 à 16h00
Mission d’information sur les questions mémorielles

Denis Tillinac :

Je vous remercie de votre accueil.

Ma seule légitimité pour m'exprimer sur ce thème est effectivement la présidence de ce comité d'étude visant, selon la municipalité de Bordeaux, à faire en sorte que les différentes communautés de la ville entretiennent des relations plus fraternelles. J'ai eu toute latitude pour le composer avec, certes, des historiens de toutes sensibilités mais également les principales autorités religieuses de la ville ainsi que des militants associatifs d'origines africaine, antillaise, guyanaise, haïtienne. Outre que je connais assez bien l'Afrique grâce notamment aux responsabilités que j'ai occupées à la francophonie, je ne suis pas directement impliqué dans la vie bordelaise ou aquitaine, ce qui permet d'avoir un certain recul. J'ai noté d'emblée la sensibilité à vif des minorités noires à la question de la traite négrière mais également leurs points de vue divers, voire antagonistes : les Antillais se perçoivent plus comme des descendants directs des esclaves quand les personnes originaires d'Haïti ont la fierté de compter parmi leurs ancêtres ceux qui ont établi la première république noire du monde en 1804 ; les Africains, quant à eux, ont des sentiments plus ambigus, tel Sénégalais, Guinéen ou Gabonais ignorant si ses ancêtres ont été victimes de la traite ou ont compté parmi ses organisateurs. A cela s'ajoute une assez grande résistance de la majorité sociologique gasconne ou d'origine européenne qui non seulement a perçu cette question mémorielle comme anachronique et lointaine mais qui a parfois été irritée, voire exaspérée, par un certain nombre de « lois de repentance ».

Cette étude devait selon moi faire le point sur les acquis historiques en la matière et elle devait être aussi largement diffusée – ce qui fut le cas grâce à la presse régionale et aux contacts que j'avais pris avec les associations de La Rochelle, Nantes, Bayonne, Bristol, Liverpool et Porto qui oeuvrent également sur cette question.

En tant que président, j'ai dû résister aux minimalistes qui estimaient que moins l'on parle de l'esclavage, mieux les Bordelais se portent, et aux maximalistes qui souhaitaient l'ouverture d'un bâtiment public sur les Chartrons ou à Bacalan afin d'entretenir en permanence le devoir de mémoire. J'ai également toujours dû prendre garde à ne pas dépasser la ligne rouge au-delà de laquelle il était possible de générer de la xénophobie, de l'agressivité ou de la crispation identitaire sur le dos des minorités.

J'en ai tiré comme conclusion qu'il ne faut pas trop légitimer la victimisation des minorités – cela revient à ouvrir la boîte de Pandore – et qu'il ne faut jamais oublier la majorité sociologique : une minorité est bien accueillie et bien intégrée quand la majorité sociologique est assurée d'une certaine supériorité symbolique. En outre, l'Histoire n'est pas une science exacte, les historiens se livrant à des disputes parfois assez vaines pour savoir qui, de Bordeaux ou de Nantes, avait été le principal port négrier ou pour évaluer la part de la traite négrière dans la prospérité de Bordeaux au XVIII° siècle. Laissons donc les controverses historiques aux historiens !

Je suis par ailleurs absolument solidaire des historiens – René Rémond, Mona Ozouf, Pierre Nora, Michel Winock, d'autres encore – qui ont signé, au nom de leur liberté d'expression, la pétition dénonçant les lois mémorielles. Légiférer sur les faits historiques peut en effet se révéler dangereux pour l'unité nationale, laquelle repose sur des consensus plus ou moins inconscients. Que se passerait-il par exemple si les politiques s'emparaient des récentes considérations historiques autour de la Révolution française et, plus particulièrement, de la question du « génocide » de Vendée, voire, des interrogations sur la genèse du totalitarisme que certains disciples de François Furet font remonter à Danton, Saint-Just et Robespierre ? De la même manière, quid de la Saint-Barthélemy, des Dragonnades, de la révocation de l'Édit de Nantes ? Un parlementaire peut fort bien demander à ce que les crimes de Lénine et de Staline soient considérés comme des crimes contre l'humanité et que leur négation ou leur minoration entraînent des poursuites pénales, mais des Français estimables et, parmi eux, des parlementaires ont aussi été influencés par Lénine, Staline ou Trotski. Qu'adviendrait-il ? De la même façon, que dire de la III° République ? On a appris à ma grand-mère à parler le français à coups de pieds dans le derrière et à coups de calottes ! Jules Ferry pourrait fort bien être considéré comme responsable d'un génocide culturel pour avoir assassiné quantité d'idiomes régionaux ! La colonisation de la Gaule par Jules César, quant à elle, a été d'une violence et d'une cruauté inouïes mais, pour reprendre la formule de l'article 4 d'une loi controversée, oui, à 100%, elle a eu des « aspects positifs » ! Faut-il débaptiser les rues qui portent le nom de M. Thiers parce qu'il a réprimé atrocement la Commune ? Faut-il débaptiser celles qui portent le nom de Clemenceau alors que l'on s'apprête à réhabiliter les mutins des tranchées de la Grande Guerre qu'il a fait fusiller ? Je ne sais personnellement que penser du « génocide » arménien, mais si je veux me spécialiser sur cette question, je ne tiens pas pour autant à avoir une épée de Damoclès au-dessus de ma tête. De même, il me semble prématuré de vouloir, en l'état, enseigner l'esclavage. Et lequel, d'ailleurs ? Celui pratiqué par les Occidentaux sur les Noirs d'Afrique ?

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