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Intervention de Serge Klarsfeld

Réunion du 13 mai 2008 à 16h00
Mission d’information sur les questions mémorielles

Serge Klarsfeld :

Ma femme et moi sommes avant tout de simples citoyens qui n'avons jamais eu d'engagement politique. C'est en quelque sorte notre mariage, celui d'un Juif français ou d'un Français juif avec une Allemande protestante, qui nous a propulsés sur la scène européenne. Ma femme, en effet, voulant oeuvrer au rapprochement des jeunesses française et allemande, a été secrétaire de l'Office franco-allemand pour la jeunesse créé par le général de Gaulle et le chancelier Adenauer. Elle en a été révoquée pour s'être émue de ce que le chancelier Kiesinger avait été un actif propagandiste nazi chargé de faire le lien entre Goebbels et Ribbentrop quand le Président de la République fédérale d'Allemagne d'alors avait, lui, dessiné les plans des baraques des camps… A ce moment-là, nul ne semblait s'en soucier outre mesure, le général de Gaulle ayant fait par exemple du chancelier Kurt-Georg Kiesinger un grand officier de la Légion d'honneur. Ma femme et moi n'avons pas accepté cette situation. Nous avons donc mené campagne, Beate ayant été jusqu'à gifler le chancelier Kiesinger après avoir annoncé son intention d'agir de la sorte au nom de la jeunesse allemande. Ce dernier a finalement perdu les élections et c'est Willy Brandt, un authentique résistant, qui l'a emporté.

Le nouveau chancelier, allié au parti libéral démocrate, a ensuite nommé Ernst Aschenbach commissaire à Bruxelles. Or, ce dernier avait été le chef de la section politique de l'ambassade d'Allemagne à Paris pendant l'Occupation et il avait été impliqué dans les questions juives, comme en attestaient les documents dont nous disposions. Beate, à nouveau, a fait campagne en Europe jusqu'à ce qu'à ce que sa nomination soit annulée.

Nous nous sommes rendu compte, par ailleurs, que les criminels allemands qui avaient agi en France étaient non seulement impunis mais qu'ils jouissaient d'une certaine respectabilité. Ils ne pouvaient d'ailleurs pas être jugés en Allemagne puisque la France avait retiré toute compétence à ce pays sur les affaires non classées chez elle. Lorsque l'Allemagne a recouvré son indépendance, en 1954, la France a demandé leur extradition mais l'Allemagne a alors objecté l'article 16 de sa loi fondamentale disposant que les nationaux ne peuvent pas être extradés. La France a alors demandé qu'ils soient jugés mais l'Allemagne a argué que ce n'était pas possible puisque ces affaires avaient été jugées par contumace et qu'elles n'étaient donc pas classées en France. Ma femme et moi sommes une fois de plus entrés en campagne afin de faire ratifier un accord franco-allemand. Le parti libéral et le parti chrétien démocrate ayant refusé, nous avons agi illégalement pendant quatre ans en Allemagne afin de mobiliser l'opinion et d'obtenir enfin cette ratification. Quatre autres années ont été nécessaires pour la faire appliquer par la justice allemande et faire en sorte que les principaux organisateurs de la solution finale en France soient jugés.

Nous avons également écrit le Mémorial de la déportation des Juifs de France car il ne nous était pas possible d'assister au procès des bourreaux sans avoir recueilli les noms de toutes leurs victimes. Nous avons obtenu, au procès de Cologne, le jugement et la condamnation des principaux criminels. Je note qu'il s'agit-là du seul procès d'après-guerre qui ait donné entièrement satisfaction puisqu'il a permis de rapprocher Allemands et Français mais aussi Juifs et Allemands.

Nous avons aussi pris conscience du rôle de Vichy dans la solution finale alors que pas un mot ne figurait à ce sujet dans les manuels scolaires, les agrégés d'histoire chargés de leur rédaction se livrant à une manipulation visant à faire accroire que les Juifs arrêtés en France l'avaient été par la seule police allemande. Nous sommes donc repartis en campagne dès 1978 en déclenchant des procédures judiciaires contre certains responsables dont René Bousquet, Jean Leguay et Maurice Papon. Il a fallu plus de deux décennies pour aboutir, en dépit des polémiques et des obstacles - le Président de la République d'alors avait tenté de bloquer ces procédures - mais cela a permis aux Français de mieux connaître leur propre histoire. C'est ainsi qu'après le procès de Klaus Barbie, nous avons pu obtenir la condamnation de Paul Touvier et de Maurice Papon. En 1993, le Président Mitterrand a également pris un décret organisant une journée nationale de commémoration des crimes racistes, antisémites et contre l'humanité commis sous l'autorité de fait dite « gouvernement de l'État français ». En 1995, le Président Chirac a quant à lui reconnu la culpabilité de la France qui, avec la rafle du Vel'd'Hiv, avait commis l'irréparable. La commission Mattéoli a ensuite accompli un remarquable travail d'élucidation, de même que la commission d'indemnisation des victimes des spoliations. La Fondation pour la mémoire de la Shoah, dont le capital s'élève à 400 millions, permet quant à elle de financer de nombreux projets culturels, historiques ou mémoriels. La récente initiative prise par M. Sarkozy visant à confier aux écoliers la mémoire des enfants juifs déportés va également dans le bon sens.

Pour toutes ces raisons, les fils et filles de déportés considèrent que la France est à l'avant-garde des pays qui n'ont pas peur de se confronter avec leur passé.

S'agissant du rôle du Parlement, nous avons approuvé le vote de la loi Gayssot qui, loin d'attenter à la liberté d'opinion, aide à combattre une idéologie mortifère. Il importait, en effet, de protéger la sensibilité de tous ceux qui ont perdu un être cher dans la Shoah grâce à un arsenal de sanctions frappant négationnistes et révisionnistes. Cette loi, absolument nécessaire, était d'ailleurs réclamée par les magistrats eux-mêmes. Nous considérons qu'il en va de même de la loi reconnaissant le génocide arménien, de la loi de juillet 2000 instituant une journée nationale de commémoration des crimes racistes et antisémites et d'hommage aux Justes de France ou de la loi « Taubira », qui plus est dans un contexte où le peuple français est de plus en plus hétérogène, chaque population étant porteuse d'une mémoire spécifique, souvent douloureuse. Le renforcement de la cohésion et de l'identité nationales implique de reconnaître chacune d'entre elles. Cela doit être mis au crédit de la France.

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