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Intervention de Martine de Boisdeffre

Réunion du 8 juillet 2008 à 15h00
Mission d’information sur les questions mémorielles

Martine de Boisdeffre :

Je parlerai des grands axes de la politique que nous essayons de mener à l'intention des chercheurs, mais je ne parlerai pas pour les institutions de recherche ou d'autres organismes ne relevant pas de ma compétence.

Les archives, certes, sont la source principale de l'histoire ; mais elles n'en sont pas la source exclusive. Il s'agit par ailleurs d'une source construite : les sources du passé sont construites à partir de ce qui est resté accidentellement, après des catastrophes, des oublis, des pertes. Si nous conservons et communiquons encore aujourd'hui des archives du VIIe siècle, aux Archives nationales, c'est parce qu'elles ont été sauvées, le plus souvent dans les fonds ecclésiastiques. Mais bien d'autres archives n'ont pas été sauvées. Notre mémoire et nos sources archivistiques ne sont pas exhaustives pour le passé. Elles ne peuvent pas non plus l'être pour aujourd'hui ni pour demain, car la production d'archives au niveau public est telle que nous sommes dans l'impossibilité de tout conserver – le principal travail de la direction des Archives de France étant d'assurer la sauvegarde, le traitement et la communication des archives publiques.

Le premier moyen d'aider les historiens est de constituer des fonds, par ce que nous appelons la collecte. Si nous ne collectons pas aujourd'hui les archives sur des nouveaux supports, nous ne fournirons pas les matériaux pour la recherche à venir. Aider les historiens, c'est d'abord collecter les archives publiques sous toutes leurs formes et à tous les niveaux de production : ministères, administrations centrales de l'État, collectivités territoriales. Nous devons tous – archivistes mais aussi élus et plus généralement tous ceux qui ont une responsabilité en matière d'action publique – veiller à ce que les archives soient bien collectées, puis conservées.

Au-delà des archives publiques, il y a les archives privées : celles que l'on acquiert, que l'on reçoit en dons ou en dépôt. Là encore, nous menons une politique délibérée et volontariste, tout en faisant des choix – nous n'avons pas les moyens de tout acheter. S'agissant, par exemple, des archives de la traite et de l'esclavage, nous avons pu montrer que depuis des décennies, les archivistes avaient recueilli, sauvé, acheté des archives privées sur ces thèmes. Il en est de même s'agissant des archives d'entreprises et des archives des mouvements sociaux.

Évidemment, notre politique évolue : quand on commence à s'intéresser au patrimoine industriel, on s'intéresse aussi aux archives de l'industrie. Lorsque les historiens ouvrent certains champs de recherche, les archivistes essaient de leur côté d'accroître et de développer les fonds en la matière. Inversement, le fait que nous donnions parfois l'impulsion dans tel ou tel secteur peut inciter la recherche historique à approfondir les sujets qui le concernent.

Avant tout, donc, il faut collecter des archives. Et je tiens à dire ici solennellement que ce n'est pas uniquement le travail des archivistes : tous ceux qui produisent des archives publiques doivent penser à les conserver. Si on ne le fait pas, par définition, on limite le champ de la recherche.

Une fois les archives collectées, on peut y accéder, passés certains délais. Mais quels délais poser ? Quelle pratique de dérogations adopter quand les délais ne sont pas échus ? Notre volonté est d'ouvrir au maximum l'accès aux fonds, même avec des dérogations, en veillant à maintenir un équilibre parfois délicat entre des exigences contradictoires : l'ouverture aux chercheurs ou, plus généralement, à tous nos concitoyens ; et la protection de certains intérêts.

Les archives sont constituées de fonds d'archives, de cartons, de « Cauchard », de « Dimab », qui sont beaucoup plus importants. Ce ne sont pas des livres que l'on feuillette, mais des centaines ou des milliers de documents que l'on doit consulter. Un chercheur peut être spécialisé sur certains fonds, dont il demandera la numérisation, mais pas sur d'autres. Plus généralement, comment aider toute personne qui veut accéder aux archives à s'y retrouver ? En rédigeant ou en élaborant des instruments de recherche, qui permettent de se guider au milieu de la complexité et de la richesse des fonds. C'est d'autant plus nécessaire que les fonds conservés dans les services d'archives publics français, archives nationales, archives territoriales, c'est-à-dire régionales, départementales ou municipales représentent aujourd'hui plus que la distance en kilomètres linéaires séparant Paris de Moscou. Il faut donc aider les chercheurs à se retrouver dans ces fonds.

Nous souhaitons mettre de plus en plus en ligne ces instruments de recherche, même si nous savons que nous ne sommes pas au bout de nos peines. Ainsi, le futur bâtiment des Archives nationales, à Pierrefitte-sur-Seine, comprendra une salle d'inventaires dématérialisés, une salle d'inventaires virtuels permettant aux lecteurs de consulter en ligne les instruments de recherche, d'ajuster et de préciser plus facilement leur démarche.

À côté des instruments de recherche, il y a les guides des sources, qui font le point sur toutes les sources concernant un sujet. Dans le cadre de réflexions et d'échanges menés depuis maintenant trois ans, nous avons publié en mars 2007, à la Documentation française, un guide des sources de l'histoire de la traite et de l'esclavage. On y décrit tout ce que l'on peut trouver comme sources sur le sujet, dans toutes les archives : archives de la défense, Archives nationales, archives territoriales, archives publiques et privées, archives des chambres de commerce et d'industrie. Il faudra de plus en plus mettre en ligne les guides des sources. Mais cela ne saurait qu'être progressif. Il y a tant de fonds, tant d'instruments que nous ne pouvons pas tout faire en même temps.

Comment établir des priorités ? En déterminant ce qui est le plus demandé. C'est exactement ce que l'on fait pour les numérisations d'archives. L'idéal serait d'avoir tout en ligne, mais vous imaginez bien que ce n'est pas pour tout de suite – et ce ne le sera peut-être même jamais. En revanche, prioriser, multiplier, étendre au maximum, répondre aux besoins prioritaires du public est possible.

Sur la numérisation et la mise en ligne, je rappellerai quelques chiffres s'appliquant à tout le réseau des archives : aujourd'hui, 110 millions de pages ont été numérisées par les services publics d'archives, dont plus de 60 millions sont en ligne. Les archives représentent 45 % du patrimoine culturel numérisé au sein du ministère de la culture et de la communication. Un effort considérable a été fait par les archives départementales, qui sont des services décentralisés, et donc par les conseils généraux. Une véritable campagne a été menée en priorité sur des documents réclamés par une part importante de notre public, les généalogistes. Le résultat est éloquent et le processus se poursuit.

Au-delà de la numérisation et de la mise en ligne, je tiens à souligner trois derniers points, à commencer par le travail que l'on peut faire dans le domaine de la valorisation culturelle : publications, expositions, action des services éducatifs et culturels dans les archives. Ces services initient nos enfants ou nos jeunes aux archives et leur donnent ainsi le goût de l'histoire.

Il faut également mentionner les célébrations nationales. Le Haut comité des célébrations nationales est placé auprès du ministère de la culture et de la communication depuis vingt ans. Il publie tous les ans une brochure qui recense les anniversaires de cinquante ans ou de ses multiples qui constituent ou peuvent aider à constituer une mémoire nationale, dans un sens plutôt fédérateur, autour d'éléments – bons ou mauvais – permettant l'émergence d'une conscience commune.

Mais penser la France sans l'Europe paraît très difficile. La publication par Kant de La critique de la raison pure est un événement qui peut être célébré au plan national, dans la mesure où elle a eu un impact très fort dans notre pays. La naissance de Mozart, en Autriche, a également pour nous une dimension nationale, dans la mesure où Mozart a donné certains de ses premiers concerts à Paris.

Enfin, avec mes collègues archivistes de l'Union européenne, nous avons lancé un projet de portail qui a reçu un financement de l'Union européenne et qui a pour objectif de mettre en ligne des archives des quatorze pays participants. Ce projet, piloté aujourd'hui par l'Espagne, illustre, au niveau européen, notre volonté d'ouvrir de plus en plus les archives à la numérisation et à la mise en ligne.

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